Pierre Verlet Le commerce des objets d'art et les marchands merciers à Paris au

Pierre Verlet Le commerce des objets d'art et les marchands merciers à Paris au XVIIIe siècle In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 13e année, N. 1, 1958. pp. 10-29. Citer ce document / Cite this document : Verlet Pierre. Le commerce des objets d'art et les marchands merciers à Paris au XVIIIe siècle. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 13e année, N. 1, 1958. pp. 10-29. doi : 10.3406/ahess.1958.2705 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1958_num_13_1_2705 ÉTUDES LE COMMERCE DES OBJETS D'ART ET LES MARCHANDS MERCIERS à Paris au xvine siècle Lorsque Louis Coukajod publia en 1873 le Livre-journal de Lazare Duvaux, il fournit aux historiens des arts décoratifs, par sa magistrale introduction et surtout par l'édition des registres du grand marchand- mercier, un document capital. Peu après, René de Lespinasse ajoutait des textes de première importance en réunissant, dans la collection verte de la Ville de Paris, les statuts, règlements ou arrêts sur lesquels s'appuyait au xvine siècle le Corps des Merciers parisiens, auquel appaitenait Duvaux К Les papiers du Garde-Meuble de la Couronne et ceux des comtes de Provence et d'Artois aux Archives Nationales, de Mme du Barry aux manus- nuscrits de la Bibliothèque Nationale, des princes de Condé à Chantilly, les registres de vente de la manufacture de Sèvres, quelques catalogues de ventes du xvine siècle peuvent apporter encore sur ce sujet nombre de renseignements, pour la plupart inédits ou peu connus. Une série d'études s'imposerait, qui puiserait à chacune de ces sources des informations intéressantes sur les métiers d'art, les techniques et la société française de cette époque. Nous présenterons, tirées de notes nullement exhaustives il s'en faut, quelques remarques sur ce Corps, qui nous semble avoir eu dans le développement de l'art décoratif à Paris un rôle essentiel au point que nous serions tenté de dénommer certains de ses membres marchands d'objets d'art. Par un pléonasme, qui paraît presque volontaire, ils s'appelaient marchands-merciers, mercatores-mercatores. Ils constituaient, on le sait, à Paris, le troisième des Six-Corps de la Ville, où on le regardait « comme 1. Louis Courajod, Lime-journal de Lazare Duvaux, marchand-bijoutier ordinaire du Roy, 1748-1758, précédé dune etude sur le goût et sur le commerce des objets d'art au milieu du XVIIIe siècle..., Paris, 1873, 2 vol. — René de Lespinasse, Les métiers et corporations de la Ville de Paris, t. II, Paris, 1892, p. 232-285. — Voir aussi Jacques Sa vary des Bkislons, Dictionnaire universel de Commerce, d'Histoire naturelle et de* Arts et Metiers, nlle éd., t. Ill, Copenhague, 1761, col. 849-853. — Saint-Joanny, Registre des deliberations et ordonnances des marchands-merciers de Paris, 1596-1696, Paris, 1878. — Recueil d'ordonnances, statuts et règlemens concernant le Corps de la Mercerie, Paris, 1752. — Pierre Vidal et Léon Duru, Histoire de la corporation des marchands-merciers, grossiers, jouailliers..., Paris, s.d. [1912]. Ce volume consciencieusement écrit, s'attache principalement à la mercerie dans le sens moderne du mot, c'est-à-diie a la menue mercerie, et neglige le commerce des objets d'art. Lorsque nous citerons des textes publiés par Lespinasse ou commentés par Savary, nous éviterons d'en donner la référence dans les notes qui suivent. 10 LES MARCHANDS MERCIERS le plus puissant, le plus nombreux et dont le commerce est le plus étendu ». Ce Corps, précise Savary, « est considéré comme le plus noble et le plus excellent de tous les Corps des Marchands, d'autant que ceux qui le composent ne travaillent point et ne font aucun ouvrage de la main, si ce n'est pour enjoliver les choses qui se sont déjà faites et fabriquées... ». Ce qui explique la formule lapidaire, qu'on ne lit pas sans surprise dans V Encyclopédie : « mercier..., marchand de tout et faiseur de rien » 4 Leur rôle était en apparence tout de négoce ; ce qui n'excluait, nous le verrons plus loin, ni l'invention, ni la création artistique. Ils importaient ou faisaient travailler à leur profit d'autres corporations. N' œuvrant pas eux-mêmes de leurs mains, ils n'étaient pas obligés, comme les autres Corps, les orfèvres ou les drapiers par exemple, à « faire chef-d'œuvre ». Ils en tiraient orgueil. Ainsi que Га noté Emile Coornaert, « les gens de marchandise traitent de haut les mécaniques » 2. Le moyen âge avait montré leur importance, la diversité de leurs origines, bourgeois de Paris aussi bien que Brabançons ou Oultremontains, l'éclectisme et l'étendue de leur commerce. Ils vendaient alors principalement des tissus, dont beaucoup venaient de Lucques, de Venise et de Gênes, d'Arras, d'Angleterre, d'Irlande ou d'Allemagne, mais aussi des « pignes de boys » de Limoges ou les productions de Г « œuvre de forge de Thoulouze ». Charles IX, en soustrayant la visite de leurs marchandises aux jurés des divers métiers que celles-ci concernaient normalement, définit, en 1570, les grandes lignes de leur activité : « marchans grossiers, merciers et jouailliers, de manière que soubs cet estât de grossier ont esté comprins de tout temps les marchans de drap d'or, d'argent, de soye...., tapisseries, jouailleries, espiceries, merceries, cuivres de forges, fil de soye, quinqualleries, et autres semblables, auxquels il n'est permis de faire manufacture quelconque, mais seulement de vendre, achepter, estaller, parer et enjolliver de toutes espèces de marchandises ». L'activité des merciers du xvine siècle est comme annoncée et résumée dans ce texte. Henri IV, Louis XIII et Louis XIV confirment les statuts et privilèges des merciers parisiens. La puissance de ce Corps s'affirme dans les nombreux procès qu'il soutient et qui, dans la seconde moitié du xvne siècle, l'opposent, presque toujours victorieusement, aux charrons-carrossiers, menuisiers, tailleurs, plombiers, cloutiers, éventaillistes, pelletiers, papetiers, peaussiers, tabletiers, tapissiers. Les arrêts rendus par le Parlement ont pour principal objet d'assurer aux merciers, dans l'extraordinaire 1. Dictionnaire universel des Sciences..., t. X, Neuchâtel, 1765, p. 369. 2. Emile Coornaert, Les corporations en France avant 1789, Paris, 1941, p. 180. 11 ANNALES étendue de leur commerce, la liberté de vendre à Paris les ouvrages de tel ou tel métier, à charge pour les merciers de « les achapter et faire faire en cette ville et fauxbourgs par les maîtres dudit mestier, sans qu'ils en puissent faire eux mesmes, ny en faire faire par aucuns compagnons ». Les statuts des merciers de Paris au xvine siècle sont connus par les belles rééditions qu'ordonnèrent les gardes de ce Corps, outre les commentaires qu'en fournit Savary. Bornons-nous à résumer ici ce qui concerne le cadre du métier. Il fallait, pour devenir mercier, « être né François, avoir fait apprentissage pendant trois ans et servi les Marchands durant trois autres années en qualité de Garçon ». Il fallait également avoir payé les droits, qui se montaient à un millier de livres. La direction du métier était assurée par sept gardes, dont un grand-garde. Chaque année, au mois de juillet, les anciens, c'est-à-dire ceux qui étaient passés par la « garderie », et quatre-vingts autres marchands, qui étaient désignés à tour de rôle et ne pouvaient se récuser sous peine d'amende, élisaient le grand-garde et deux nouveaux gardes. La charge de grand-garde était donc annuelle ; celle de garde triennale. Nul ne pouvait se soustraire à ces honneurs, à moins d'être septuagénaire ou d'avoir « quelque aultre excuse légitime qui puisse donner lieu à ladite descharge ». Les gardes, qui présidaient aux admissions dans le Corps et qui veillaient à défendre les intérêts de la communauté, avaient pour principale obligation la visite des marchandises. Ils se réunissaient au Bureau des Merciers, rue Quin- campoix *. Les merciers payaient chacun 12 livres par an pour le droit de visite, plus 9 livres pour la visite des poids et mesures. Ces visites n'étaient pas limitées aux seuls merciers ; deux arrêts du Parlement, en octobre 1741 et janvier 1742, les avaient étendues aux marchandises destinées aux foires de Saint- Germain et de Saint-Denis 2. Le rétablissement des corporations, en 1776, après la suppression qu'en avait édictée Turgot, maintint les Six-Corps et plaça les merciers et drapiers au premier rang, avec un droit de 1 000 livres pour l'acquisition de la maîtrise. A côté de la corporation, prenait naturellement place la confrérie. Très anciennement fondée dans l'église du Saint-Sépulcre (entre la rue Saint-Denis et la rue Quincampoix), elle fut longtemps établie dans une chapelle de cette église dédiée au Saint- Voult de Lucques, comme pour rappeler sous ce vocable célèbre les origines transmontanes de nombreuses marchandises importées par les merciers ; le mauvais état de la chapelle avait forcé la confrérie à se transporter, à l'époque de Louis XIV, au maître-autel de l'église, moyennant une redevance annuelle de 250 livres 1. Hurtaut et Magny, Dictionnaire historique de la Ville de Paris, 1779, t. III, p. 529. 2. Lespinasse, op. cit. — ■ Fr. Olivier-Martin (V organisation corporative de la France d'ancien régime, Paris, 1938, p. 181) remarque que l'aune-étalon conservée par les merciers parisiens fut adoptée en province au xviii6 siècle. 12 LES MARCHANDS MERCIERS aux chanoines du Saint-Sépulcre. Ce rappel du commerce exercé par les merciers avec les pays étrangers se retrouve dans leurs armoiries. Celles-ci, comme celles des Six-Corps parisiens à l'exception des orfèvres, étaient composées de « trois vaisseaux équipés uploads/Geographie/le-commerce-des-objets-d-x27-art-et-les-marchands-merciers-a-paris-au-xviiie-siecle.pdf

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