L’Europe se trouve face à un tournant historique. Aura-t-elle le courage de met

L’Europe se trouve face à un tournant historique. Aura-t-elle le courage de mettre en œuvre une autre politique ? «Donnez-moi vos pauvres, vos exténués…»Ce sont quelques vers gravés dans le bronze, au pied de la statue de la Liberté dont la torche se dresse haut dans le ciel, à l’entrée du Nouveau Monde. Ils sont extraits d’un poème écrit en 1883 par Emma Lazarus, fille d’une famille de juifs portugais installée à New York, révulsée par les pogroms russes et sûre que son pays serait le refuge des réprouvés. «Donnez-moi vos pauvres, vos exténués, qui en rangs pressés aspirent à vivre libres. […] Envoyez-les moi, les déshérités, que la tempête m’apporte. J’élève ma lumière et j’éclaire la porte d’or !» Les autorités américaines ont choisi cet hymne à l’accueil, à la compassion et à l’humanité pour donner une devise à la statue de Bartholdi, érigée en 1886 à l’initiative de républicains français. Elles y ont vu le symbole de leur nation, où se réfugiaient tant d’Européens chassés par la violence, la discrimination et la misère du Vieux Continent. L’Europe d’aujourd’hui, vers laquelle convergent aussi des légions de «pauvres et d’exténués», aura-t-elle le courage d’imiter l’Amérique ? Ou bien, en lieu et place de la statue de la Liberté, construira-t-elle un autre monument : une clcôture de barbelés surmontée d’un mirador ? Si l’on use de ce ton quelque peu solennel, c’est que l’Europe se trouve face à un tournant historique. Trois conflits où les pays du Nord ont été impliqués à divers titres, ceux d’Irak, de Syrie et de Libye, auxquels s’ajoutent les exactions d’une dictature implacable, celle d’Erythrée, ont jeté sur les routes de l’exil des millions de réfugiés, comme l’avait fait en son temps le conflit yougoslave. Ces hommes et ces femmes aux abois voient dans l’Europe démocratique le refuge qui leur permettra de reconstruire leur existence brisée. Jean-Christophe Dumont, spécialiste des migrations à l’OCDE, évalue à plus d’un million le nombre de ces réprouvés qui frapperont cette année ou l’année prochaine à la porte du continent. Un chiffre réaliste, attesté par l’augmentation brutale des arrivées enregistrées depuis quelques mois, qui dépassent de loin celles constatées auparavant. Pessimiste, désabusé, rétracté par l’angoisse identitaire et le refus de l’avenir, le Vieux Continent peut choisir la fermeture. Tétanisés par la montée des partis nationalistes, les gouvernements s’ingénieront dans ce cas à ériger des barrières le long des frontières, à construire des murs de béton, à refouler sans ménagements ces réfugiés à leurs yeux trop différents. Cette politique, qu’une grande partie de l’opinion réclame, nierait les valeurs mêmes de l’Union européenne. Elle nierait aussi bien… la réalité. Quoi qu’en disent les démagogues à la Le Pen, ces murs n’arrêteront pas des réfugiés prêts à risquer la mort pour les franchir, comme le font ceux qui s’embarquent sur des cercueils flottants pour rallier Kos ou Lampedusa. Il faudra dépenser des milliards pour barricader l’Europe, tout en comptabilisant froidement le nombre des noyés hebdomadaires. Il existe une autre politique, plus conforme aux chartes dont on se réclame et dont le coût financier ne serait guère supérieur. Ouvrir les frontières sans conditions ? Certainement pas. Mais organiser et réguler l’accueil. Et d’abord celui des réfugiés, à qui les conventions internationales garantissent le droit à l’immigration et qu’il faut distinguer des migrants économiques. Une fois leur qualité attestée, les pays d’Europe, comme le font les Scandinaves ou bien, à un certain degré, l’Allemagne, doivent se répartir la tâche, ouvrir des centres d’hébergement décents, prévoir des actions d’insertion, utiliser les compétences de ces immigrés qui sont souvent formés dans leur pays et emplis d’ardeur professionnelle. Chassés de chez eux par la violence, ces arrivants n’ont d’autre but que de se faire une petite place au soleil. Nombre d’entre eux, comme le montre le précédent yougoslave, retourneront dans leur pays une fois la paix civile revenue. Réaliste et humaine, cette politique que préconisent nombre d’experts qui n’ont rien d’utopistes échevelés est la seule conforme aux valeurs qui nous réunissent, autant qu’à la logique du monde contemporain. Laurent Joffrin(directeur de la rédaction et de la publication) uploads/Geographie/ liberation.pdf

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