JEAN-JACQUES MARIE BERIA Le bourreau politique de Staline TALLANDIER Éditions T
JEAN-JACQUES MARIE BERIA Le bourreau politique de Staline TALLANDIER Éditions Tallandier – 2, rue Rotrou, 75006 Paris www.tallandier.com © Éditions Tallandier, 2013 EAN : 979-10-210-0302-6 DU MÊME AUTEUR Staline, Paris, Seuil, 1967. Les Paroles qui ébranlèrent le monde. Anthologie bolchevique (1917-1924), Paris, Seuil, coll. « L’histoire immédiate », 1968. Les Bolcheviques par eux-mêmes, en collaboration avec Georges Haupt, Paris, Éditions François Maspero, 1969. Le Trotskysme, Paris, Flammarion, 1970. Trotsky et la Quatrième Internationale, Paris, PUF, collection « Que sais-je ? », 1980. Le Goulag, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1989. Derniers complots de Staline. L’affaire des blouses blanches, Éditions Complexe, coll. « Histoire », 1993. Les Peuples déportés d’Union soviétique, Bruxelles, Éditions Complexe, 1995. Trotsky, Paris, Éditions Autrement, 1998. Staline, Paris, Fayard, 2003. Lénine, Paris, Balland, 2004. Le Trotskysme et les trotskystes, Paris, Armand Colin, coll. « Histoire au présent », 2004. Cronstadt, Paris, Fayard, 2005. La Guerre civile russe, 1917-1922. Armées paysannes, rouges, blanches et vertes, Paris, Éditions Autrement, coll. « Mémoires », 2005. Trotsky : révolutionnaire sans frontières, Paris, Payot, coll. « Biographie Payot », 2006. Voyager avec Karl Marx – Le Christophe Colomb du Capital, La Quinzaine littéraire- Louis Vuitton, 2006. Le Dimanche rouge, Paris, Larousse, 2008. L’Antisémitisme en Russie, de Catherine II à Poutine, Paris, Tallandier, 2009. Khrouchtchev : la réforme impossible, Paris, Payot, 2010. Lénine : la révolution permanente, Paris, Payot, 2011. INTRODUCTION Le 26 juin 1953, Lavrenti Beria, est arrêté sur ordre des autres dirigeants du Kremlin, enfermé dans une salle de garde, puis transféré dans le bunker de l’état-major de l’armée. Celui qui fut le chef du Guépéou-NKVD (la police politique), donc de l’espionnage soviétique et du goulag, membre, pendant la guerre, du comité d’État à la Défense, puis maréchal de l’armée, membre du bureau politique, chef du comité atomique soviétique, ministre de l’Intérieur et premier vice-président du Conseil des ministres, est qualifié d’espion britannique. Accusé d’avoir comploté pour prendre le pouvoir, rétablir le capitalisme, liquider l’Allemagne de l’Est et rendre une partie des conquêtes territoriales de la Seconde Guerre mondiale aux pays vaincus, il est jugé à huis clos et fusillé le 23 décembre 1953 pour tous ces crimes – sans rapport avec ses forfaits réels. L’instruction de son procès commence comme une farce. Dès le 1er juillet, à la veille de l’ouverture du plénum du comité central, réuni pour condamner Beria qui en est membre mais n’y est pas convoqué, Roman Roudenko, ancien procureur soviétique au procès de Nuremberg, nommé procureur de l’URSS le 29 juin, interroge son garde du corps Sarkissov. Les questions portent exclusivement sur les aventures féminines de Beria, dont Sarkissov déclare détenir une liste de vingt-sept noms, sur les viols qu’on lui impute, sur la syphilis qu’il a contractée auprès de prostituées et sur les avortements qu’il a imposés à quelques-unes de ses maîtresses. Roudenko ne fait pas la moindre allusion à un complot, dont ce garde du corps n’aurait pu manquer d’être au moins informé. Le 3 juillet, Nicolaï Chataline, secrétaire du comité central, consacre l’essentiel de son intervention au plénum à lire ou résumer de longs extraits de l’interrogatoire de Sarkissov, et à énumérer en détail les pièces de lingerie féminine, trouvées, soulignera-t- il, dans le cabinet de travail de Beria (11 paires de bas d’origine étrangère, 11 combinaisons, 7 tricots de soie, des mouchoirs, etc.). L’évocation de la liste des vingt- cinq femmes (qui, d’ailleurs, contient trente-neuf noms) suscite les rires complaisants de la salle[1]. Khrouchtchev et consorts ne trouveront jamais d’autres armes de son complot que ces bas et ces combinaisons. Ainsi, d’emblée, les adversaires de Beria imposent la vision durable, quoique écornée (on le sait depuis la chute de l’URSS), d’un Beria monstre et maniaque sexuel, pour qui son garde du corps rabattait des jolies filles qu’il violait sauvagement dans son hôtel particulier. Thadeus Wittlin, l’auteur de sa première, mais très fantaisiste, biographie, rédigée en 1972 et rééditée en 2013 à Paris sans mise à jour, raconte en détail le viol de la jeune Nina, âgée de 16 ans, qui ne s’en est apparemment pas rendu compte. Elle donnera en effet de leur rencontre un récit beaucoup plus platonique et épousera Beria. Beria était un « monstre », déclarent la fille de Staline Svetlana Allilouieva, le biographe russe de Staline Dimitri Volkogonov et l’historien Anton Antonov-Ovseenko. Khrouchtchev le qualifie même de « bête sauvage jésuitique ». Le journaliste Simon Sebag Montefiore dénonce dans Beria « un comploteur-né, […] un dangereux prédateur sexuel, un subtil intrigant, doublé d’un psychopathe et d’un pervers sexuel […] au sadisme exceptionnel », que « l’on imagine aisément versant du poison dans des gobelets de vin ou tranchant la gorge d’un ennemi, après avoir séduit une courtisane » ; d’ailleurs, prétend-il, « Staline était dégoûté par ses airs flagorneurs et par sa cruauté[2] ». C’est tout dire. Lors de la conférence de Yalta en février 1945, lorsque Roosevelt, au cours d’un repas, lui demanda : « Qui est cet homme assis en face de l’ambassadeur Gromyko ? », Staline répondit : « Ah, c’est notre Himmler. C’est Beria[3]. » André Gromyko se dit « frappé par la justesse de [cette] comparaison. Ces deux monstres se ressemblaient non seulement sur le fond mais aussi dans l’apparence extérieure : Himmler était le seul membre de l’entourage de Hitler à porter un pince-nez. Beria était le seul dans l’entourage de Staline que l’on ne puisse se représenter sans pince-nez[4] ». L’argument est décisif : même pince-nez, même combat ! Ni James Byrnes ni Edward Stettinius, les deux conseillers de Roosevelt à Yalta, ne rapportent la phrase citée par Gromyko. Si elle est authentique, Staline aurait alors repris, sans le savoir, une comparaison entre les deux hommes, faite peu avant par le général soviétique Vlassov, partisan convaincu de Staline passé du côté des nazis et que Himmler reçoit le 16 septembre 1944. Vlassov ne peut cacher son étonnement. Il se représentait « Himmler… grand chef de la police allemande… Reichsführer-SS… comme un tchékiste sanguinaire à la Beria […]. Eh bien, c’est un petit bourgeois, produisant une impression de simplicité, de modestie, […] un agriculteur, un paysan comme moi et il aime les animaux[5] ». Pour Emmanuel d’Astier de La Vigerie, qui reprend la comparaison, Beria est le pire des deux : « Il a derrière ses lunettes sans monture le regard vitreux de Himmler, mais […] dans son uniforme de maréchal des forces armées soviétiques, il a une corpulence et des appétits personnels que n’avait pas Himmler[6]. » Himmler, cependant, n’était qu’un exécutant docile et borné de Hitler, un fonctionnaire de la solution finale, dénué de toute initiative, et même de toute idée politique ; Beria, lui, a été, de 1938 à la mort de Staline en mars 1953, un rouage essentiel du système stalinien, qu’il a ensuite tenté d’amender, voire de réformer, avant de payer de sa vie cette tentative avortée. Pourtant, pour renforcer l’image du simple bourreau, on enrichit ses forfaits réels de crimes imaginaires. Les historiens Popov et Oppokov l’accusent d’avoir fait assassiner le secrétaire du PC de Leningrad, Serge Kirov, en 1934, le premier secrétaire du PC arménien Khandjian et Lakoba, président de la république autonome d’Abkhazie en 1937 ; après l’avoir empoisonné, « Beria rendit la veuve folle en introduisant un serpent dans sa cellule[7] ». Ils lui imputent aussi le meurtre de Salomon Mikhoels, président du comité antifasciste juif, en janvier 1948, puis celui du Français Yves Farge, compagnon de route du PCF, mort dans un accident de voiture le 31 mars 1953. On lui attribue même parfois la mort de Staline. La description physique complète le portrait moral. Le général Volkogonov semble effrayé par « l’homme au pince-nez, aux yeux de lézard, qui ne cillent jamais […], des yeux de bourreau[8] ». Sakharov trouve la main que lui tend Beria « d’une froideur de mort[9] ». Ainsi Caligula, à côté de Beria, ne serait qu’un plaisantin, Néron un amateur, et Gengis Khan un dilettante. Son nom est vite devenu le symbole même et quasi unique du système policier et concentrationnaire au point qu’on lui attribue souvent la direction de la Sécurité d’État pendant les dernières années du règne de Staline, alors qu’il l’a perdue en 1943[10]. Lorsqu’en 1967, le dissident ukrainien Valentin Moroz, déporté pour quatre ans au goulag en Mordovie, en dénonce la sauvagerie, il intitule son récit Rapport de la réserve Beria (alors mort depuis quatorze ans). Beria était certes un bourreau. Le 27 février 1944, en Tchétchénie, dans le village de Khaïbakh, le commandant du NKVD Gvichiani, jugeant intransportables les sept cents et quelques vieillards, femmes et enfants qu’il doit emmener à Grozny pour être déportés au Kazakhstan avec tous les Tchétchènes, les entasse dans les écuries du kolkhoze baptisé « Beria » en l’honneur de son chef, et met le feu. Ils brûlent tous vifs. Beria, chargé d’organiser la déportation des Tchétchènes déclarés collectivement traîtres par Staline, le félicite et le fait décorer pour cet exploit. Un criminel donc, mais un criminel très politique. Le 4 avril 1953, uploads/Histoire/ beria-le-bourreau-politique-d-marie-jean-jacques.pdf
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- Publié le Mai 25, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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