1 Cet article a été publié en décembre 2007 dans Les Cahiers des Anneaux de la
1 Cet article a été publié en décembre 2007 dans Les Cahiers des Anneaux de la Mémoire, n° 10 : Les Ports et la traite négrière, Nantes, p. 34-63. Bernard MICHON La traite négrière nantaise au milieu du XVIIIe siècle (1748-1751) Cet article constitue le dernier jalon d’une enquête collective débutée en 1992 à l’Université de Nantes au sein du Centre de recherches sur l’histoire du Monde atlantique (CRHMA), devenu depuis le Centre de recherches en histoire internationale et atlantique (CRHIA). Sous l’impulsion de plusieurs enseignants-chercheurs – Christian HERMANN, Guy SAUPIN et Jacques WEBER – une quinzaine de mémoires de maîtrise (actuel master 1) ont été consacrés à l’étude de l’activité de traite négrière du port de Nantes durant le XVIIIe siècle1. Amorcée dans les années 1980 par Serge DAGET, cette recherche avait l’ambition d’aboutir à une synthèse globale approfondie2. Ce projet universitaire a bénéficié en outre de l’engouement suscité par l’exposition Les Anneaux de le Mémoire, installée au Château des Ducs de Bretagne à Nantes du 5 décembre 1992 au 29 mai 19943. Une telle entreprise trouvait sa justification dans l’absence d’ouvrage de référence consacré à la traite négrière nantaise depuis celui de GASTON-MARTIN, publié au début des années 19304. Bien que d’un apport scientifique indéniable, l’étude réalisée par ce pionnier souffre de deux handicaps principaux : d’une part, la documentation utilisée se limite aux fonds de l’Amirauté de Nantes (rapports des capitaines et journaux de bord) ; d’autre part, le choix des bornes chronologiques de son étude se révèle infondé, surtout d’ailleurs pour 1774. Influencé par les conclusions de Léon VIGNOLS, GASTON-MARTIN considère que l’année 1 La liste de ces travaux est donnée à la fin de l’article. Ils sont consultables à la bibliothèque du CRHIA au département d’histoire de l’Université de Nantes. 2 L’historien a largement contribué à faire sortir de l’ombre le thème de la traite négrière à Nantes, en particulier par l’organisation d’un grand colloque international : DAGET S. (éd.), De la traite à l’esclavage du Ve au XIXe siècle, Actes du colloque de Nantes (juillet 1985), 2 tomes, Paris, CRHMA, Société française d’histoire d’outre- mer, l’Harmattan, 1988. Dans la foulée, il a dirigé, en collaboration avec Jacques FIÉRAIN, plusieurs mémoires universitaires : SAUGERA É., Histoire d’un négrier nantais « La Bonne Mère » 1802-1815, maîtrise d’histoire, Université de Nantes, 1987 ; BOUCAUD S., Les armements nantais : Afrique, Amérique (1814-1822), maîtrise d’histoire, Université de Nantes, 1987 ; CORMERAIS P., Éléments partiels de statistiques sur les expéditions négrières nantaises au XVIIIe siècle à partir du Répertoire de Jean METTAS, maîtrise d’histoire, Université de Nantes, 1988. 3 Les Anneaux de la Mémoire, Nantes-Europe - Afrique - Amériques : itinéraires de l’exposition, Nantes, CIM Corderie Royale, 1992. 4 GASTON-MARTIN, Nantes au XVIIIe siècle : l’ère des négriers (1717-1774), Paris, Félix ALCAN, 1931, (réédition Karthala en 1993). 2 de la fin du règne de LOUIS XV marque un tournant dans l’histoire négrière. Il estime que les campagnes anti-esclavagistes française et anglo-américaine commencent à agir sur les opinions publiques, tandis que la préparation de la guerre de revanche contre l’Angleterre a virtuellement débuté. Cette option fait passer GASTON-MARTIN à côté de la décennie 1780, la plus intense du siècle pour le trafic négrier. Près d’un demi-siècle plus tard, la publication posthume des recherches de Jean METTAS, effectuées dans le cadre d’un doctorat d’État malheureusement inachevé, sous la forme d’un répertoire des expéditions négrières françaises entreprises au XVIIIe siècle, a constitué un évènement majeur pour les chercheurs s’intéressant à ces questions5. Ces deux volumes représentent une très solide base de départ pour toute étude de la traite française, mais ils doivent être vérifiés et complétés. L’auteur a par exemple débuté son étude en 1707. Or, la plupart des ports français ont commencé leurs armements négriers dès le XVIIe siècle. Si la date de 1688 était par exemple communément retenue comme celle du premier armement du port de Nantes6, des recherches récentes ont mis au jour de possibles tentatives bien antérieures grâce aux archives notariales7. De plus, en dehors des fonds parisiens, Jean METTAS n’a pas eu le temps pour le cas nantais d’approfondir ses dépouillements au-delà des sources des rôles d’armement et de désarmement du système des Classes ainsi que des rapports des capitaines au long cours faits devant les officiers de l’Amirauté. En mobilisant plus largement la documentation disponible, il est possible d’avancer par exemple le nombre de 118 armements négriers entre 1763 et 1766, alors que METTAS retient celui de 116 expéditions8. Depuis, la thèse d’Olivier PÉTRÉ-GRENOUILLEAU, soutenue en 1994, n’a pas complètement comblé ce manque historiographique à l’échelle du port ligérien, dans la mesure où l’historien a centré sa réflexion sur le milieu des négociants négriers nantais et sur 5 METTAS J., Répertoire des expéditions négrières françaises au XVIIIe siècle, 2 tomes, Paris, Société française d’histoire d’outre-mer, édité par DAGET S. et M., 1978-1984. Le premier tome est entièrement consacré aux expéditions nantaises. 6 PÉTRÉ-GRENOUILLEAU O., Nantes au temps de la traite des noirs, Paris, Hachette, collection « La vie quotidienne », 1998, p. 39. 7 MICHON B., « Une expédition négrière d’un navire de Nantes en 1657 », Revue d’Histoire Maritime, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, n° 6, 2006, pp. 165-172 ; TANGUY M., Étude d’une famille de grands marchands nantais au XVIIe siècle : les LIBAULT, master 1 d’histoire, SAUPIN G. (dir.), 2007, pp. 153-155. Les trois frères LIBAULT, grands marchands nantais très investis dans la droiture antillaise, paraissent avoir expédié au moins deux navires en direction des côtes africaines à la fin des années 1650. 8 GODARD L., Le renouveau de la traite négrière nantaise entre 1763 et 1766, maîtrise d’histoire, WEBER J. et HERMANN C. (dir.), Université de Nantes, 1993 ; METTAS J., Répertoire…, op. cit., t. 1, pp. 426-493. 3 leur culture économique9. Il n’existe donc aucune étude d’ensemble des expéditions négrières nantaises et de leurs mécanismes, à l’instar des travaux réalisés sur La Rochelle, Saint-Malo ou Bordeaux10. Ainsi, douze mémoires proposent une étude minutieuse d’une période chronologique relativement brève (entre cinq et dix années) de l’armement négrier nantais11 ; les étudiants devaient en effet s’efforcer de regrouper le maximum de sources archivistiques mobilisables sur le sujet, y compris les minutes notariales. Toutefois, une séquence chronologique n’avait pas été abordée : j’ai eu l’opportunité de m’y intéresser12. Finalement, toutes les expéditions négrières nantaises que l’on peut recenser entre 1688 et 1793 ont fait l’objet de fiches très détaillées. Parallèlement, trois autres mémoires ont été consacrés aux capitaines négriers nantais. La période manquante débutait en 1748 pour prendre fin en 1751. Elle est caractérisée par une vigoureuse reprise des armements négriers nantais après la fin de la guerre de Succession d’Autriche, formalisée par la paix d’Aix-la-Chapelle signée le 18 octobre 1748. La France était intervenue directement dans le conflit, ouvert huit ans plus tôt à propos de la Succession d’Autriche, en déclarant la guerre à l’Angleterre le 15 mars 1744 et à l’Autriche le 26 avril suivant. Au début de la guerre, le Secrétaire d’État à la Marine depuis 1718, le comte de MAUREPAS (1701-1781), soulignant l’importance du commerce de mer comme la source principale de la richesse et des revenus des États maritimes, plaide en faveur d’un fort investissement naval de la monarchie, dans le but notamment de protéger les colonies françaises et leur précieux commerce. À propos de la traite négrière, il rappelle que les « nègres » que « le pays [la côte de l’Afrique] fournit […] sont absolument nécessaires pour 9 PÉTRÉ-GRENOUILLEAU O., Milieu maritime et monde moderne. Le milieu négrier nantais du XVIIIe siècle à 1914. Contribution à l’étude des rapports entre dynamique sociale et histoire, thèse d’histoire, CROIX A. (dir.), Université de Rennes 2, 1994. Une version abrégée de cette étude a été publiée : L’argent de la traite. Milieu négrier, capitalisme et développement : un modèle, Paris, Aubier, 1996. 10 DEVEAU J.-M., La traite rochelaise, Paris, Karthala, 1987 ; ROMAN A., Saint-Malo au temps des négriers, Paris, Karthala, 2002 ; SAUGERA E., Bordeaux port négrier. Chronologie, économie, idéologie, XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, Karthala, 2002. 11 Un article publié dans le premier numéro de la revue était issu d’un de ces mémoires : HERVÉ B., « Quelques aspects de la traite négrière nantaise 1772-1778 », Cahiers des Anneaux de la Mémoire, n° 1 : La traite esclavagiste, son histoire, sa mémoire, ses effets, Paris, Karthala, 1999, pp. 45-57. 12 Ce travail a pu être mené à bien grâce à un contrat de recherche effectué dans le cadre du programme de recherche ATTP (CPER 2004-2007) à l’Université de Nantes. 4 nos colonies »13. Le développement du système ou de l’économie de plantation est en effet fondé sur le recours toujours plus massif à la main-d’œuvre servile déportée depuis le continent africain pour assurer la mise en valeur des terres coloniales, les perspectives offertes par les engagés européens ayant rapidement montré leurs limites. L’historien Paul BUTEL met bien en évidence la montée en puissance du commerce colonial de la France dans la première moitié du XVIIIe siècle : « L’essor uploads/Histoire/ bernard-michon-nantes-et-la-traite-negriere.pdf
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- Publié le Dec 15, 2021
- Catégorie History / Histoire
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