Journal des savants Seigneurie et féodalité [Robert Boutruche. Seigneurie et fé

Journal des savants Seigneurie et féodalité [Robert Boutruche. Seigneurie et féodalité. I. Le premier âge des liens d'homme à homme. Deuxième édition revue et augmentée. ] Robert Boutruche. Seigneurie et féodalité. I. Le premier âge des liens d'homme à homme. Deuxième édition revue et augmentée. Jacques Boussard Citer ce document / Cite this document : Boussard Jacques. Seigneurie et féodalité [Robert Boutruche. Seigneurie et féodalité. I. Le premier âge des liens d'homme à homme. Deuxième édition revue et augmentée. ]. In: Journal des savants, 1968, n° pp. 125-132; http://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1968_num_2_1_1176 Document généré le 12/04/2016 SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ Robert Boutruche. Seigneurie et féodalité. I. Le premier âge des liens d'homme à homme. Deuxième édition revue et augmentée. (Paris, Aubier, 1968, in- 16, 479 p. « Collection historique, sous la direction de Paul Lemerle... ») Le régime féodal est un phénomène complexe, mais qui répond à un certain nombre de réalités précises. Si certaines notions telles que le contrat bilatéral de fidélité, le service et la concession d'un bien pour ce service n'apparaissent pas dans un régime social, on ne saurait le qualifier de féodal. Partant de ces données irréfutables, M. Robert Boutruche a publié en 1959 un livre qui peut être considéré comme une des plus brillantes mises au point sur l'histoire sociale du haut Moyen Âge. Chercheurs, professeurs et étudiants ont, de toutes parts, fait à ce livre un tel accueil qu'une réimpression paraissait nécessaire. M. Boutruche a préféré en donner une nouvelle édition, remaniée et mise au courant des derniers travaux et qui, moins de dix ans après la première, atteste l'utilité de cet ouvrage et le souci scientifique de son auteur. Les études qui ont été publiées depuis 1959 — et dont beaucoup ont été suscitées par le livre de M. Boutruche — n'ont fait que préciser certains points et n'ont donné lieu qu'à un petit nombre de modifications ; l'ensemble du livre reste la remarquable synthèse parue naguère ; les vues exposées alors se sont révélées solides. Rappelons que ce livre commence par une introduction dans laquelle M. Boutruche fait l'histoire du terme « féodalité », qui, trop souvent, a été détourné de son sens véritable. Dans « féodalité », il y a le mot « fief » qui désigne une réalité précise, une institution bien définie. La féodalité est le régime social fondé sur le fief et c'est commettre une erreur que de l'étendre arbitrairement. M. Boutruche n'hésite pas à conclure : « Placer, en effet, sous la même étiquette non seulement tous les liens de dépendance, mais encore des sociétés et des institutions qui n'ont rien de commun avec la féodalité, c'est s'abandonner à la routine et encombrer une science de scories ; c'est 126 JACQUES BOUSSARD voiler sous la confusion des termes l'incompréhension des choses » \ On ne saurait mieux dire. Mais le lecteur est alors amené à reprendre le titre du livre d'un maître : « Qu'est-ce que la féodalité ? » 2 C'est à cet examen que nous convie l'ouvrage de M. Boutruche et il reprend l'étude de la lente formation de ce régime qui a recouvert tout le territoire de l'ancien Empire carolingien ; surtout, il s'attache à retracer l'évolution historique, depuis les origines lointaines du régime féodal. Son enquête fait une large place au climat générai des IXe et Xe siècles qui virent s'implanter cette forme de société. Marc Bloch écrivait que l'historien, en étudiant un phénomène, ne devait pas se laisser obnubiler par le problème des origines 3 : c'est vrai, mais comment connaître parfaitement un phénomène si nous n'observons pas son apparition, si nous ne cherchons pas ses causes ? C'est pourquoi le livre de M. Boutruche est une introduction indispensable à celui de Marc Bloch, La société féodale 4, qui expose ce que fut la féodalité classique, entre le xi* et le XIIIe siècle. M. Boutruche commence par un tableau de la vie économique du IXe siècle, terrain où naquit la féodalité. Il expose les diverses hypothèses émises depuis Pirenne5 sur la circulation commerciale dans l'Europe franque, les clarifie, mais s'interdit de prendre parti. Le lecteur averti trouvera peut-être que, sans se départir d'une prudence qui s'impose évidemment en pareille matière, l'auteur aurait cependant pu faire .une part plus large à l'étude de M. F. Himly 6, le seul historien qui ait émis l'idée féconde que le « monde occidental » et le « monde musulman » n'étaient pas des blocs monolithiques et que l'un et l'autre étaient partagés en régions dont le comportement politique et économique n'était pas forcément le même que celui des régions voisines ; c'est là, sans doute, la clé des études sur ce sujet et elle nous permet de faire par exemple, dans les vues de Pirenne, le partage entre la réalité historique et l'hypothèse éblouissante. Vient ensuite l'exposé des circonstances sociales qui ont permis le développement du régime féodal, l'étude des paysans et de leurs maîtres dans le cadre du domaine, celle du passage de la société du cadre domanial au 1. R. BOUTRUCHE, Seigneurie et féodalité, p. 25. 2. F. L. GANSHOF, Qu'est-ce que la féodalité ? 3e édition revue et augmentée, Bruxelles, 1957, in-16. 3. M. Bloch, Apologie pour l'histoire, ou Métier d'historien, Paris, 1949, in-8° (« Cahiers des Annales »), p. 5. 4. M. BLOCH, La société féodale, Paris, 1939, in-8°, 2 vol. («L'Évolution de l'Humanité»). 5. H. PIRENNE, Mahomet et Charlemagne, Paris-Bruxelles, 1937, in-8°. 6. F. HlMLY, V a-t-il eu emprise musulmane sur l'économie des États européens, du VIIIe au Xe siècle?, dans Revue suisse d'histoire, 1955, pp. 31-81. SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ 127 cadre seigneurial. Nous ne reviendrons pas sur l'exposé, fait de main de maître, de cette question qui est essentielle pour juger le climat général où s'est insérée la féodalité : c'est la question du contraste entre le régime domanial et le régime seigneurial, celui-ci s'instaurant lorsque les seigneurs, maîtres du domaine, disposent, en outre, d'une partie des droits régaliens et les confondent avec les droits de commandement qu'ils avaient sur leurs dépendants. M. Boutruche poursuit l'exposé de cette période de transition par l'étude de la vassalité et il montre que, là encore, il y a eu confusion entre les charges publiques et le lien créé par le serment, déjà féodal, que devaient prêter leurs titulaires, entre la rémunération des services rendus et l'instauration d'une seigneurie héréditaire fondée sur des biens naguère concédés en même temps que la charge et pour la durée de son exercice. On pourrait ajouter d'ailleurs que l'État conçu par Charlemagne, fondé d'abord sur le principe de la Gefolgschaft germanique et sur les débris de la notion romaine âi'auctoritas, fut ruiné du jour où le roi, puis l'empereur, crut le renforcer en instituant le serment obligatoire ; cette habitude du serment de fidélité devait remplacer l'autorité de l'État par le contrat librement consenti et, naturellement, toujours empreint d'un certain caractère temporaire et révocable. Peut-être aussi pourrait-on indiquer que, dans ce « monde mouvant et bigarré » 7, il est un facteur qui joua un rôle déterminant dans l'organisation des pouvoirs : le sentiment du lignage. C'est à juste titre que des érudits comme M. G. Tellenbach et ses élèves 8 ont étudié avec minutie les familles de la noblesse de l'époque carolingienne. Dans le tome I du Karl der Grosse9, publié en 1965, MM. K.-F. Werner, E. Hlawitschka, R. Wenskus ont donné le dernier état des recherches sur ce sujet. Associées à celles qui ont paru en Belgique et en France, ces études de détail montrent que l'implantation de dynastes locaux s'est faite dès la première moitié du IXe siècle et que, même si les descendants de familles illustres ont perdu les titres que procuraient à leurs ancêtres les hautes charges qui leur étaient confiées, les terres dans une région donnée, voire les abbayes, se sont transmises dans le lignage jusqu'au milieu du Xe siècle, moment où nous pouvons considérer la féodalité comme constituée. Cette solidarité du lignage est, pensons-nous, un élément 7. R. Boutruche, op. cit., p. 205. 8. Studien und Vorarbeiten zur Geschichte des Grossfrànkischen und Frûhdeutschen Adels, herausgegeben von G. TELLENBACH, Fribourg-en-Brisgau, 1957, in-8°. 9. Karl der Grosse, t. I, 2te Auflage, Dûsseldorf, 1965, in-4" : E. HLAWITSCHKA, Die Vor- fahren Karls des Grossen, pp. 51-82; K.-F. WERNER, Bedeutende Adelsfamilien im Reich Karls des Grossen, pp. 83-142 ; R. WENSKUS, Die Deutschen Stamme im Reiche Karls des Grossen, pp. 178-219. 128 JACQUES BOUSSARD extrêmement important de la formation des liens de dépendance, car à partir du moment où Charles le Chauve fut amené à engager les vassi dominici à entrer dans la vassalité des comtes, nous voyons se constituer, de l'extérieur, une armature sociale qui correspond à l'évolution interne des groupes humains. C'est certainement un aspect important de l'évolution qu'a retracée M. Boutruche, mais un aspect un peu marginal, car son propos était surtout de nous montrer l'évolution institutionnelle et juridique. Soulignons d'ailleurs qu'aucun exposé ne saurait être plus clair ni plus fortement pensé que ce tableau qu'il brosse de la première société féodale. M. Boutruche attire tout uploads/Histoire/ boussard-jacques-seigneurie-et-feodalite-de-r-boutruche-compte-rendu.pdf

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  • Publié le Jul 13, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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