Clio. Femmes, Genre, Histoire 36 | 2012 Costumes L’uniforme militaire au XIXe s

Clio. Femmes, Genre, Histoire 36 | 2012 Costumes L’uniforme militaire au XIXe siècle : une fabrique du masculin The military uniform in the XIXth century: a factory of the male Odile Roynette Édition électronique URL : http://clio.revues.org/10887 DOI : 10.4000/clio.10887 ISSN : 1777-5299 Éditeur Belin Édition imprimée Date de publication : 31 décembre 2012 Pagination : 109-128 ISSN : 1252-7017 Référence électronique Odile Roynette, « L’uniforme militaire au XIXe siècle : une fabrique du masculin », Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 36 | 2012, mis en ligne le 31 décembre 2014, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://clio.revues.org/10887 ; DOI : 10.4000/clio.10887 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. Tous droits réservés L’uniforme militaire au XIXe siècle : une fabrique du masculin Odile ROYNETTE Dans son article du Grand dictionnaire universel du XIXe siècle consacré à l’uniforme, Pierre Larousse enregistrait la diffusion dans la langue française de la place acquise en cette fin de siècle par la tenue dans la définition de l’identité militaire. Deux expressions, « endosser l’uniforme », c’est-à-dire devenir soldat, ou, à l’inverse, « quitter l’uniforme » et se retirer du service militaire, matérialisaient dans le vocabulaire l’identification établie entre une condition sociale, en passe de devenir exclusivement masculine1, et un ensemble d’objets matériels revêtus par ceux qui servirent sous les drapeaux, volontairement ou sous l’empire de la contrainte. Or cette identification, comme l’ont montré les travaux pionniers de Daniel Roche2, a une histoire qui interroge en profondeur les sociétés dont elle fut le théâtre. Apparu en France au milieu des années 1660 dans le sillage d’une consolidation de la monarchie absolue, dont il forme bien plus qu’un détail anecdotique, l’uniforme s’inscrit comme un objet à la croisée de l’histoire politique, sociale et culturelle des États qui l’imposent à leur armée. Il renseigne non seulement sur les relations entre le pouvoir civil et la société militaire, sur le degré de militarisation des sociétés, mais il offre également une voie d’accès à la compréhension de l’expérience corporelle du combat3. C’est donc au cœur du monde militaire qu’il introduit l’historien, puisque, en tant que « fait social total », comme le suggérait plus largement Nicole Pellegrin 1 Voir Lynn 2008, Steinberg 2001, Godineau 2004 et Mihaely 2005. 2 Roche 1989 : 211-244. 3 Audoin-Rouzeau 2008 : 259-261. 110 Odile Roynette à propos du vêtement4, il révèle le fonctionnement d’un groupe dans lequel – c’est l’hypothèse qui fonde cette contribution – les processus de construction de la différence sexuée passent, notamment, par le langage vestimentaire. Au XIXe siècle, l’armée n’est pas la seule institution à imposer l’uniforme à ses représentants et de nombreux détenteurs masculins de l’autorité publique, qu’ils fussent magistrats, avocats, agents de police, gardes forestiers, employés des douanes, s’en revêtent pour manifester l’ordre dont ils sont les garants. Pour autant, l’armée constitue alors un laboratoire des modèles de la masculinité et l’uniforme un des lieux où s’exprime et se construit la différence sexuée. Étudier ses transformations et les enjeux qui les sous-tendent au cours du XIXe siècle semble d’autant plus pertinent que, dans les pays qui adoptent le service militaire obligatoire, le port de l’uniforme devient une expérience sociale communément partagée, au moins parmi les hommes. Comment l’historien parvient-il à saisir les éléments constitutifs de cette culture matérielle qui échappe en partie au discours ? De quelles sources dispose-t-il pour reconstituer la manière dont l’uniforme fut investi par les soldats de fonctions qui dépassaient très largement la simple protection du corps ? Comment retrouver les impressions que le port de l’uniforme produisait sur autrui ? Questions très vastes, à dire vrai, auxquelles nous chercherons bien sûr à répondre, mais qui feront aussi l’objet de pistes de réflexion pour des recherches plus approfondies. L’uniforme, ce premier entour du corps militaire Avant l’arme, c’est l’uniforme qui constitue le premier élément matériel avec lequel le jeune soldat entre en contact lors de son arrivée sous les drapeaux. À la nudité première imposée à la recrue lors des opérations de sélection physique qui précèdent l’incorporation – en France le dénudement devant des membres du conseil de révision, revêtus quant à eux d’un uniforme (gendarmes, médecin militaire, intendant), reste intégral pendant tout le XIXe siècle et forme une des dimensions, hautement dévirilisante, de cette 4 Pellegrin 1993. L’uniforme militaire au XIXe siècle : une fabrique du masculin 111 première épreuve initiatique5 – succède la remise au magasin d’habillement des vêtements civils en échange des effets militaires, vêtements, chaussures et coiffure, première étape vers la transformation de la recrue en soldat. Cette nouvelle enveloppe corporelle, l’historien peut en décrire la nature et ses transformations grâce à l’uniformologie, cette spécialité, apanage des collectionneurs, que le chercheur en sciences sociales tend encore à considérer avec condescendance, alors qu’elle constitue une base indispensable à toute réflexion plus large6. Il peut aussi se tourner, notamment à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, vers les descriptions laissées par les médecins qui firent de l’habillement une des catégories à part entière de l’hygiène militaire. Nous privilégierons dans un premier temps ces textes qui, ordonnés par une logique médicale soucieuse de bien-être et de fonctionnalité, révèlent souvent, en creux, la présence d’autres systèmes de représentations, ceux des soldats et des combattants, qui obéissent à une rationalité différente dont l’uniforme constitue un révélateur. Pour les médecins, la question de l’uniforme comporte deux dimensions, celle du visible et celle de l’invisible, qui se répondent l’une l’autre, tant elles semblent investies, à leurs yeux, d’usages antithétiques. L’invisible, c’est avant tout le linge de corps qui, en France au début de la Restauration, se résume à trois chemises, à deux paires de bas, à trois paires de guêtres pour retenir un pantalon qui descend jusqu’aux malléoles et à deux mouchoirs7. Cette première 5 Même si la pratique du huis clos à partir de 1873 est censée en atténuer la brutalité. Voir Roynette 2000 : 189-198. Notons que la nudité n’était pas intégrale partout, notamment dans l’armée allemande à la même époque. Sur l’aptitude physique et sa mesure en Europe avant la Première Guerre mondiale, voir Hartmann 2011. 6 Voir Roche 1989 : 212. Pour la France la source la plus importante est le Carnet de la Sabretache, revue d’histoire militaire spécialisée dans l’uniforme, fondée en 1893 par le général Joseph-Émile Vanson. Elle paraît, avec une interruption pendant la Première Guerre mondiale, jusqu’en 1970, puis, sous différents titres (La gazette des uniformes puis Uniformes : le guide du collectionneur et de la reconstitution) jusqu’à aujourd’hui. 7 Roche 1989 : 222. Au début de la Restauration, le seul changement majeur dans l’infanterie est le passage de la culotte courte tenue par des guêtres qui 112 Odile Roynette strate, les médecins, amenés lors des visites médicales et des soins portés aux soldats à l’approcher de plus près, en dénoncent pendant tout le siècle la malpropreté, tout en s’efforçant d’inculquer aux hommes de nouvelles pratiques d’hygiène qui rencontrent des résistances, riches de sens pour notre sujet. Du côté des progrès, il faut ranger avant la guerre de 1870-1871 l’ajout parmi les effets réglementaires du caleçon8 permettant d’isoler du pantalon la partie médiane du corps, notamment les organes génitaux, ainsi que le port, venu de l’armée coloniale prescriptrice dans le domaine vestimentaire, de la ceinture de flanelle servant à maintenir l’abdomen, particulièrement en campagne. Après ce conflit, les améliorations apportées au linge de corps dans l’armée française sont minimes : on peut citer l’octroi de deux serviettes de toilette, qui évitent désormais aux hommes de s’essuyer avec leurs draps9. Mais les chaussettes, réclamées de longue date pour protéger les pieds du froid et des excoriations alors qu’elles sont réglementaires dès la fin du XIXe siècle dans l’armée allemande ou dans l’armée britannique, sont toujours absentes du paquetage du soldat français en 1914. Les rapports des hommes avec ce qui recouvre leur peau tout en demeurant invisible à l’œil nu demeurent empreints, selon les médecins, d’une négligence condamnable. Négligence des soldats eux-mêmes, qui, en garnison, se contentent volontiers du blanchissage hebdomadaire effectué moyennant une retenue sur leur solde, alors que la qualité de celui-ci laisserait grandement à désirer. Encore ce blanchissage ne concerne-t-il que les effets réglementaires et non ceux dont le soldat se dote à titre personnel, pour mieux se protéger du froid notamment. Ainsi du tricot et du gilet de flanelle d’un usage répandu au cours du XIXe siècle, mais dont l’entretien, laissé au bon vouloir des soldats, demeure de ce fait très aléatoire selon le docteur Alphonse Laveran10. L’introduction progressive de remontaient jusqu’au-dessus du genou au pantalon qu’une bride en étrier retient sous le pied. 8 Son usage fut introduit dans l’armée française au XVIIIe siècle par M. d’Argenson. Voir Quicherat 1875 : 586. 9 Vaidy 1818 : 35. 10 Laveran 1896 : 410. L’uniforme militaire au XIXe siècle : une fabrique du masculin 113 l’usage des bains chauds dans les casernes françaises à partir de 1879 contribue probablement, en raréfiant la crasse, à améliorer la propreté du linge de corps en temps de paix11. Mais elle ne révolutionne pas une situation fondée uploads/Histoire/ calea-barbatului-superior-by-david-deida.pdf

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  • Publié le Dec 09, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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