RÉVOLUTION NUMÉRIQUE ET RAPPORT AU PASSÉ Philippe Joutard Gallimard | « Le Déba

RÉVOLUTION NUMÉRIQUE ET RAPPORT AU PASSÉ Philippe Joutard Gallimard | « Le Débat » 2013/5 n° 177 | pages 145 à 152 ISSN 0246-2346 ISBN 9782070143269 DOI 10.3917/deba.177.0145 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-debat-2013-5-page-145.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Gallimard. © Gallimard. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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On remarquera, d’entrée de jeu, que les définitions de cette révolution n’évoquent jamais la ques­ tion, et jusqu’à présent il ne semble pas que ce problème ait été directement abordé. Non pas que les nouvelles technologies de l’information et de la communication aient laissé indifférentes les sciences humaines et sociales. L’efficace moteur de recherche d’Open Edition, par lui- même et par tout ce qu’il nous révèle, en apporte une preuve évidente à partir de multiples son­ dages. Faut-il rappeler que depuis la fin du siècle précédent se sont créées des Digital Huma­ nities dans lesquelles les historiens forment une des communautés les plus dynamiques au point de parler de Digital History ou d’histoire numé­ rique 1? D’ailleurs, dès 1999, Krzysztof Pomian évoquait ces mutations 2. Nombreuses sont les références sur l’apport des nouvelles technolo­ gies de l’information et de la communication en matière de sources et de documentation, et, plus largement, dans l’évolution du travail de l’histo­ rien, que celui-ci soit professionnel ou amateur éclairé. Le Débat s’est fait lui-même à plusieurs reprises l’écho du sujet, par exemple avec son récent numéro spécial sur le livre, le numérique et plusieurs dossiers, comme «Vivre avec le numérique» ou «Wikipédia, diffusion et déstabi­ lisation du savoir». Cependant, un «Labex» (Laboratoire d’ex­ cellence) intitulé «Les passés dans le présent, histoire patrimoine et mémoire» vient de se mettre en place à l’Université de Paris-Ouest Nanterre avec la collaboration de la Bnf, du musée d’Archéologie nationale de Saint-Ger­ main-en-Laye et du musée du Quai-Branly, qui se propose précisément, entre autres d’étudier ce sujet. En attendant les premiers résultats, cet 1. Serge Noiret, La «Digital History». Histoire et mémoire à la portée de tous, consulté le 17 août 2013. 2. Krzysztof Pomian, Sur l’histoire, Gallimard, pp. 384- 385. © Gallimard | Téléchargé le 12/11/2022 sur www.cairn.info via Université d'Avignon (IP: 86.229.121.249) © Gallimard | Téléchargé le 12/11/2022 sur www.cairn.info via Université d'Avignon (IP: 86.229.121.249) 146 Philippe Joutard Révolution numérique et rapport au passé raconter leur vie, de le faire plus facilement que par l’intermédiaire d’un journal, de mémoires manuscrits ou même de magnétophones. Ainsi le site Memor leur est entièrement consacré; créé au Piémont en Italie en 2007, il s’est ensuite étendu à d’autres pays dont la France 5; on y dépose son témoignage ou ceux que l’on a recueillis. L’attentant du 11 septembre 2001 à New York a suscité plusieurs collectes sponta­ nées ou sollicitées, comme différents Hurricane, à La Nouvelle-Orléans et, plus récemment, à New York. Cette pratique n’est que la suite logique de l’histoire orale qui, grâce au numé­ rique, connaît une diffusion plus grande et une meilleure conservation. Avec son téléphone, puis son Smartphone, chacun devient un temps jour­ naliste, reporter, photographe et même came­ raman. Les grandes chaînes d’informations le savent bien, qui sollicitent constamment le pas­ ­ sant et utilisent sa modeste production. Réseaux sociaux, forums chats, blogs offrent à qui le veut l’occasion de s’exprimer, créant de nouvelles archives sur la vie quotidienne, les subjectivités et les affectivités, à mi-chemin entre oral et écrit; proches de la conversation, mais sous une forme écrite. Pour ce dernier type de documents, on objectera leur caractère souvent éphémère et leur disparition. C’est ici qu’interviennent les insti­ tutions de conservation pour assurer la péren­ nité de ces traces. Ainsi, en France, le article se veut une simple contribution provi­ soire lançant la discussion. Une chance pour l’historien? Est-il besoin de répéter des évidences? La mémoire informatique possède une capacité expo­ nentielle à conserver des traces de ce qui s’est passé, sous des formes variées, non plus seule­ ment le papier et les écritures, mais le son et la parole et, mieux encore, les images animées. C’est même dans ce dernier domaine que la numéri­ sation est la plus efficace et la plus décisive, offrant une meilleure conservation sur la longue durée avec la possibilité de transfert de site à site et de multiplication des diffusions. C’est ainsi que la révolution numérique a donné à l’Ina­ thèque une dimension sans commune mesure avec le temps de l’argentique: il est aujour­ d’hui possible de visionner en ligne gratuitement plus de cent mille émissions télévisées 3. Ajoutons que la mémoire informatique est l’inverse de la mémoire humaine, individuelle ou partagée. Cette dernière est fondée sur l’oubli et la sélection des souvenirs qui seuls lui per­ mettent de se constituer, comme le rappelle, a contrario, la célèbre nouvelle de Borges, Funes qui n’oublie pas 4. L’informatique n’oublie rien, même quand on croit le document disparu. Cette surabondance de mémoire répond à la frénésie de tout conserver et à la dangereuse illusion de l’exhaustivité. L’époque contemporaine, avant même le numérique, avait déjà vu se diversifier les sources, particulièrement non écrites, mais les nouvelles technologies de l’information et de la communi­ cation, à côté de leur aptitude à la conservation, ont aussi la faculté de créer de nouvelles traces. Elles offrent la possibilité, à ceux qui voudraient témoigner sur un événement ou simplement 3. Myriam Tsikounas, «Comment travailler sur les archives de la télévision en France», Sociétés et représentations, printemps 2013, n° 35, Archives et patrimoines visuels et sonores (numéro coordonné par Marie France Chambat- Houillon et Evelyne Cohen), p. 134. 4. Philippe Joutard, «L’oubli, constructeur des mémoires collectives» dans François Dosse et Catherine Goldenstein (sous la dir. de), Paul Ricœur, penser la mémoire, Éd. du Seuil, 2013, pp. 235-249. 5. http ://www.memoro.org avec ensuite une déclinaison pays par pays. Voir sur ces pratiques avec d’autres sites, S. Noiret, La «Digital History», op. cit., pp. 32-33. © Gallimard | Téléchargé le 12/11/2022 sur www.cairn.info via Université d'Avignon (IP: 86.229.121.249) © Gallimard | Téléchargé le 12/11/2022 sur www.cairn.info via Université d'Avignon (IP: 86.229.121.249) 147 Philippe Joutard Révolution numérique et rapport au passé effets sur les archives plus anciennes. Il suffit de consulter le site des Archives de France à la rubrique «en ligne» pour mesurer l’effort gigan­ tesque fait en la matière à propos, en particulier, des registres paroissiaux, puis d’état civil: plus de 90 % des départements ont commencé la numérisation et, pour beaucoup d’entre eux, elle est très avancée. Sont aussi numérisés des recensements, des cadastres ou des registres notariaux, parfois même des correspondances ou des fonds iconographiques. La consultation rapide de nombre de sites d’archives départe­ mentales est impressionnante. La numérisation des fonds imprimés est tout aussi avancée, par­ ticulièrement en ce qui concerne la presse en France (Gallica), mais aussi outre-Atlantique. Inutile de rappeler l’entreprise lancée par Robert Darnton (la Digital Public Library), longuement abordée dans le numéro spécial du Débat 7, sans parler des numérisations de Google Books ou plus modestes, celles d’universités québécoises sur les sciences sociales. Les sites du ministère de la Culture, Joconde, sur les objets des musées ou «L’histoire de France par l’image» sont aussi bien consultés. Moins connue, l’importance des sources orales sur le web en dehors des grandes institu­ tions: Véronique Ginouvès, la directrice de la phonothèque de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme d’Aix-en-Provence, vient d’en montrer la richesse, qu’elles soient patri­ moniales, scientifiques ou commémoratives 8. Les unes et les autres nous renvoient à la période dépôt légal d’Internet (l’archivage du web) a été mis en place par un décret du 19 décembre 2011, dans la continuité de la grande tradition étatique, commencée au temps de François Ier en 1537. La Bnf et l’INA l’ont en charge conjoin­ tement, en utilisant de grands robots d’archi­ vage. Mais le travail avait commencé bien avant. C’est non pas l’exhaustivité qui est recherchée mais la représentativité. Sur ce point, rien de nouveau: les archivistes pratiquent depuis long­ temps la sélection des documents sur les fonds de masse comme la Sécurité sociale, selon ce même principe. La uploads/Histoire/ deba-177-0145.pdf

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  • Publié le Jan 05, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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