L'ÉQUIVOQUE DU SYMBOLIQUE Vincent Descombes La Découverte | « Revue du MAUSS »

L'ÉQUIVOQUE DU SYMBOLIQUE Vincent Descombes La Découverte | « Revue du MAUSS » 2009/2 n° 34 | pages 438 à 466 ISSN 1247-4819 ISBN 9782707158758 DOI 10.3917/rdm.034.0438 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2009-2-page-438.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Il n’est pas besoin d’une longue analyse statistique du corpus pour s’aperce- voir que le « symbolique » est une pièce maîtresse indispensable à la machinerie de ce discours savant sur l’homme. On s’atten- drait, dans ces conditions, à ce que ce concept ait fait l’objet d’un important travail d’élucidation. Or j’imagine n’être pas le seul à n’avoir jamais trouvé, dans les textes canoniques sur la question du symbolique, une défi nition satisfaisante de ce mot. Aurais-je mal lu mes classiques ? La question n’est pas là, car une lecture même insuffi sante montre bientôt qu’il y a non pas une, mais deux défi ni- tions du symbolique. Or, le point diffi cile n’est pas que symbolique ait plusieurs sens, car ces signifi cations ne sont pas sans rapport et il est possible, comme on va le voir, de les ordonner. Le point diffi cile est que le discours structuraliste, qui ne cesse d’invoquer ce symbolique, fait appel à lui comme à un terme univoque – « Le Symbolique » –, sans se soucier de sa polysémie qui est pourtant un fait reconnu. Ce discours ne parvient donc pas à libérer les possibilités ultra-structuralistes dont il est porteur. On peut bien 1. Cet article a été publié une première fois, sous ce même titre, dans Cahiers Confrontations, éditions Aubier, n° 3, 1980, p. 77-95. © La Découverte | Téléchargé le 28/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 93.22.151.129) © La Découverte | Téléchargé le 28/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 93.22.151.129) 439 L’ÉQUIVOQUE DU SYMMBOLIQUE appeler, en effet, ultra-structuralistes les conséquences extrêmes des prémisses structuralistes en tant qu’elles nous entraînent décidément dans un certain au-delà de l’anthropologie structurale. Le symbole La duplicité du symbolique n’est pas irréductible. C’est ce qu’a bien montré Edmond Ortigues dans sa thèse Discours et symbole. Dans certains contextes, le symbole est un signe radicalement arbitraire : tels sont les symboles chimiques, algébriques et tous les cas de notations ou de conventions d’écriture. Dans d’autres contextes, le symbole est un signe plus motivé que les autres : tel est le symbolisme au sens rhétorique, qui recouvre tous les cas d’expression indirecte. Cette seconde acception, si elle est seule retenue, donne lieu à une philosophie romantique : pour dire les choses qui se dérobent à l’expression directe et prosaïque, il faut faire appel à des symboles qui ont le pouvoir d’évoquer l’indicible par une analogie qu’on lui trouve dans le dicible. Aux yeux du structuralisme, c’est la première acception qui est la plus propre à nous faire comprendre ce qu’est un symbolisme. Dans le sym- bolisme purement conventionnel, on retrouve en effet la fonction sociale qu’indique l’étymologie du mot « symbole » : marque de reconnaissance qui a été convenue, à l’occasion d’un contrat quel- conque, entre plusieurs associés. Le symbolique permet la reconnaissance, il faut le définir comme une convention signifi ante, dans les deux sens où il est possible d’entendre cette expression de Lacan : convention qui est à l’origine de certains signes et signifi ants de cette convention. En retour, la défi nition mathématique du symbole permet d’arracher les symboles rhétoriques ou religieux à l’interprétation romantique. Ces grands symboles qu’on retrouve inévitablement dans les tra- ditions religieuses, les récits fabuleux et les littératures du monde entier, ne sont pas des « archétypes », c’est-à-dire des images qui auraient le pouvoir de nous transporter au-delà du langage. Ils sont les signifi ants qui initient ceux qui les échangent à la communauté humaine. De même, comme l’écrit Ortigues, la langue française n’est pas seulement un système de signes qui me permettent de parler des choses, c’est aussi un système symbolique qui fait de © La Découverte | Téléchargé le 28/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 93.22.151.129) © La Découverte | Téléchargé le 28/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 93.22.151.129) QUE FAIRE, QUE PENSER DE MARX AUJOURD’HUI ? 440 moi « un être-parlant-français, un membre de la communauté lin- guistique, devant être reconnu comme tel quoi que je dise1 ». La convention, l’alliance entre les hommes, le contrat sont ainsi les derniers mots d’une interrogation sur le symbolisme en général. En ce point se rejoignent les deux sens du symbole. Ortigues formule ainsi cette conclusion : « Le symbole n’existe efficacement que là où il introduit quelque chose de plus que la vie, quelque chose comme un serment, un pacte, une loi sacrée qui fait paraître la mort, la finitude et la conscience de la faute, non pas comme accidentelles, mais comme essentielles à la dignité ou à la singularité élective d’une destinée humaine. Alors que les symboles méthodologiques, comme l’algorithme, sont l’effet d’une convention préalable, les symboles traditionnels sont la source productrice des possibilités de toute convention, de toute liaison formatrice des sociétés proprement humaines dans la mesure où la fonction même de la parole oblige à intégrer la référence au mort (l’ancêtre, le dieu, l’absent) dans le pacte qui noue la relation entre les vivants2. » Notons pour y revenir plus loin deux affi rmations énigmatiques dans ce texte : pourquoi le serment ou le pacte révèlent-ils une essentielle « conscience de la faute » ? Pourquoi le pacte supposé par toute parole implique-t-il une « référence au mort » ? La théorie du symbolique – identité du symbolique et du social chez Lévi-Strauss, autonomie de l’ordre symbolique chez Lacan – est une doctrine du contrat social. C’est ici que les difficultés commencent. Qu’il faille défi nir le symbole en référence à la convention résulte du privilège reconnu au symbole pris dans le sens d’une écriture conventionnelle facilitant le calcul. Par exemple, l’usage est en algèbre de réserver les symboles littéraux à la représenta- tion des quantités, les premières lettres de l’alphabet désignant les quantités connues et les dernières les inconnues. Cette règle univer- sellement respectée est née de la « convention signifi ante » passée par Descartes avec son lecteur dans sa Géométrie. À l’origine de ces symboles a, b, c, d’une part et x, y, z, d’autre part, il y a le « je nomme x » de René Descartes. La convention donne effectivement naissance à la loi : règle d’écriture pour l’auteur qui promet de ne jamais symboliser une opération par une lettre, ni le connu par x 1. Le discours et le symbole, Aubier, 1962, p. 65-66. 2. Ibid. © La Découverte | Téléchargé le 28/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 93.22.151.129) © La Découverte | Téléchargé le 28/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 93.22.151.129) 441 L’ÉQUIVOQUE DU SYMMBOLIQUE ou y, et règle de lecture pour le public qui promet de comprendre de cette façon les formules qui lui sont proposées. On notera que les symboles qui sont des effets de la convention ne sont pas des signes de reconnaissance. Ils n’ont pas pour fonction de faire recevoir celui qui les utilise comme un affi lié ou un associé, mais de dénoter les quantités et les opérations. Les symboles issus de la convention n’étant pas les symboles de cette convention, ne sont donc pas expressément des symboles, au sens étymologique que le structuraliste aime à mentionner. Le vrai symbole est en réalité le mot de passe. Voici comment le défi nissait Lacan, dans un propos où il comparait le langage à un champ que polariseraient le mot et la parole : « Et pour nous acheminer du pôle du mot à celui de la parole, je définirai le premier comme le point de concours du matériel le plus vide de sens dans le signifiant avec l’effet le plus réel du symbolique, place que tient le mot de passe, sous la double face du non-sens où la coutume le réduit, et de la trêve qu’il apporte à l’inimitié de l’homme pour son semblable. Point-zéro, sans doute, de l’ordre des uploads/Histoire/ descombes-l-x27-equivoque-du-symbolique 1 .pdf

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  • Publié le Sep 30, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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