Cet ouvrage collectif est né du constat qu’au Maghreb, un large courant de l’ar
Cet ouvrage collectif est né du constat qu’au Maghreb, un large courant de l’architecture contemporaine a été conçu par des maîtres-d’œuvre1 à partir de modèles de l’architec- ture traditionnelle et du patrimoine local. Si l’ensemble de la production architecturale des XIXe et XXe siècles ne fait toutefois pas systématiquement référence au passé maghré- bin, le phénomène qui voit des maîtres-d’œuvre engager une réflexion sur le patrimoine des pays, des régions, des villes, dans lesquels ils interviennent, est resté une constante pendant près d’un siècle : il semble connaître ses premières manifestations en Algérie dès les années 1870-1880, notamment dans la production de l’architecte Benjamin Bucknall (J.-J. Jordi, J.-L. Planche, 101-107) et il est encore d’actualité aujourd’hui au Maghreb, où les revues d’architecture (Vies de Villes en Algérie, Architecture du Maroc ou encore Archibat en Tunisie) présentent des maîtres-d’œuvre qui revendiquent s’inspirer de leur patrimoine « national » pour créer une architecture « typiquement » algérienne, maro- caine ou tunisienne. Comment comprendre cette posture qui consiste à introduire dans la production bâtie tel ou tel référent traditionnel ou patrimonial ? Cette appropriation s’apparenterait-elle à une revendication identitaire, à l’affirmation d’une idéologie ou serait-elle, plus sim- plement, le reflet de débats architecturaux visant à produire une architecture adaptée aux attentes et aux modes de vie des usagers ? Ce phénomène, qui se développe dans des contextes politiques, sociaux et culturels bien différents en fonction des époques et des géographies, ne semble pas, a priori, répondre aux mêmes finalités quand il a lieu dans un contexte colonial ou postcolonial. Peut-on lire ce processus de la même façon quand il concerne une société européenne coloniale, qui s’inspire de la culture locale du Maghreb, et quand il touche une société maghrébine contemporaine présidant à sa destinée politique, depuis qu’elle a accédé à son indépendance ? 1 Dans cet ouvrage, nous emploierons l’expression maître-d’œuvre, dans le sens où il est communément utilisé dans le milieu de l’architecture et dont Jean-Marie Pérouse de Montclos donne la définition dans son Architecture : vocabulaire (1989, 21) : « Celui qui conçoit et dirige la construction d’un édifice. Le maître-d’œuvre n’est pas toujours un homme de l’art : l’entrepreneur, par exemple, est quelquefois maître-d’œuvre ». Des influences traditionnelles et patrimoniales sur les architectures du Maghreb contemporain Myriam Bacha I n t r o d u c t i o n 2 [« Architectures au Maghreb (XIXe-XXe siècles) », Myriam Bacha (dir.)] [ISBN 978-2-86906-260-3 Presses universitaires François-Rabelais, 2011, www.pur-editions.fr] Après avoir évoqué cette problématique du point de vue historiographique, nous revien- drons dans une première partie sur la pratique qui consiste à s’inspirer de la tradition et du patrimoine dans la production architecturale, en montrant tout d’abord comment elle est, au même titre que le concept de patrimoine, importée par les sociétés coloniales au Maghreb. Cette partie débutera par une mise au point portant sur les phénomènes de patrimonialisation qui ont touché les différents pays du Maghreb ; puis nous analyse- rons les conditions de genèse et de développement d’une architecture pensée à partir de modèles traditionnels et patrimoniaux, en étudiant les logiques des acteurs qui recyclent le passé matériel dans un dessein politico-idéologique. Dans une deuxième partie, seront évoquées les modalités selon lesquelles, dans le cadre de l’entretien et de la réhabili- tation des centres anciens protégés, maîtres-d’œuvre et maîtres-d’ouvrage, influencés par des contraintes touristiques et économiques, recréent et inventent une architecture en puisant dans un répertoire patrimonial imaginé. Enfin, dans la dernière partie de cet ouvrage, nous reviendrons sur une problématique qui fait depuis longtemps débat dans le milieu des praticiens de l’architecture et qui a rejailli sur celui de la recherche : nous nous demanderons si le fait de s’inspirer de l’ancien est une pratique qui a autorisé l’innovation, si la créativité des maîtres-d’œuvre en a été stimulée ou si, au contraire, leur inventivité s’en est trouvée bridée. L’analyse des trajectoires professionnelles de plusieurs architectes permettra d’aborder les différentes solutions constructives et déco- ratives expérimentées par les maîtres-d’œuvre ayant engagé une réflexion sur le renou- vellement de l’architecture par le patrimoine. Dans cet ouvrage, notre objectif est d’éviter de tomber dans l’écueil dépeint par Edward Saïd dans son ouvrage Orientalism (1978) qui révèle que le savoir orientaliste participe de l’appareil idéologique de domination politique. Notre dessein vise à sortir de sa vision simplificatrice et partisane, (P.-R. Baduel, 2005, 190) en étudiant comment les sociétés maghrébines ont développé leurs propres pratiques constructives. En décryptant les ten- sions ou les complicités qui pouvaient opposer ou réunir les différents acteurs politiques, sociaux et artistiques de ces pays, nous essaierons de comprendre quel sens donnent les différentes sociétés actives au Maghreb aux XIXe et XXe siècles à la pratique qui consiste à faire référence à la tradition et au patrimoine. Cet ouvrage ambitionne ainsi de saisir les mécanismes selon lesquels plusieurs courants de l’architecture du Maghreb se sont constitués en s’appuyant sur des objets traditionnels et patrimoniaux porteurs de diffé- rents discours, de différentes mémoires. Ainsi, loin de concerner l’ensemble des architec- tures du Maghreb, cet ouvrage se focalise donc sur la production porteuse de référents traditionnels et patrimoniaux, tant pendant la période coloniale que postcoloniale2. Perspectives historiographiques de la problématique Au Maghreb, les architectures élevées à l’époque coloniale par des maîtres-d’œuvre euro- péens, pour beaucoup d’esthétique européenne, ont longtemps été considérées comme des produits d’importation. Tout un courant de l’architecture communément caracté- risée de « coloniale » a, jusqu’aux années 1970-1980, été considérée par les chercheurs 2 Cette publication présente le résultat de travaux menés par une équipe de chercheurs maghrébins et européens réunis dans le cadre d’un programme initié par l’Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain (IRMC) de Tunis, centre sous tutelle du ministère des Affaires étrangères et européen- nes et du CNRS (USR 3077). M y r i a m B a c h a 12 1 [« Architectures au Maghreb (XIXe-XXe siècles) », Myriam Bacha (dir.)] [ISBN 978-2-86906-260-3 Presses universitaires François-Rabelais, 2011, www.pur-editions.fr] comme décontextualisée et intégrant de façon anecdotique des éléments faisant référence à la culture locale. Pourtant, les recherches entreprises depuis cette période, en resserrant la focale sur plusieurs villes du Maghreb et du Moyen-Orient (M. Culot et J.-M. Thiveaud, 1992 ; J.-L. Cohen, M. Eleb, 1998), ont proposé de nouvelles grilles d’analyse et de lecture de ces productions. Ces travaux ont révélé que l’architecture et l’urbanisme maghrébins des XIXe et XXe siècles ne pouvaient plus être envisagés uniquement sous le seul angle de rapports unilatéraux entre « colonisateur » et « colonisé », ni sous celui « des transferts de la métropole à la colonie (M. Volait, 2005b, 116) et que « les interactions entre les pro- positions de ces hommes et les réalités locales » constituent des outils d’analyse efficaces (C. Bruant, S. Leprun, M. Volait, 1996, 11). Ces travaux ont permis de réévaluer la part des savoir-faire locaux hérités et celle des modèles exogènes de cette production. Si la plupart des différents courants architecturaux qui ont vu le jour en Europe à l’époque coloniale se sont également développés au Maghreb (l’Art nouveau, l’Art déco, le modernisme), les spécimens nord-africains sont donc néanmoins porteurs de spécificités locales témoi- gnant de l’histoire, de la formation et de l’expérience de leurs maîtres-d’œuvre. Toutefois, une autre partie de la production architecturale de l’époque coloniale, que l’on pourrait qualifier d’orientaliste, de régionaliste ou de méditerranéenne, s’est aussi référée à l’architecture maghrébine locale en intégrant des éléments constructifs ou décoratifs inspirés des différents courants architecturaux antérieurs à l’ère coloniale. Le dévelop- pement de courants architecturaux, nés de l’observation et de l’intégration d’éléments constructifs et décoratifs du patrimoine local, est loin d’être un phénomène propre au Maghreb. Si cette pratique a été bien étudiée pour l’Europe où, depuis la Renaissance, et notamment au XIXe siècle, l’histoire de l’architecture s’est construite à partir d’une relecture de l’architecture et du patrimoine de l’Antiquité grecque, romaine, voire de l’époque médiévale (R. Middleton, D. Watkin, 2003), au Maghreb, la question a été abor- dée de façon dispersée, et jamais de façon diachronique. Hormis quelques exceptions, la recherche, qui a jusqu’à présent quasiment uniquement porté sur la période coloniale, a rarement abordé la question de la place du patrimoine dans l’architecture au sein des sociétés maghrébines indépendantes (K. Mechta, 1991). Les causes du développement d’une architecture s’inspirant du patrimoine ont connu un début de clarification pour l’époque coloniale mais l’on ignore comment cette pratique a été développée dans les sociétés maghrébines tant avant qu’après leur indépendance. L’historiographie, portant donc essentiellement sur l’époque coloniale, montre qu’à cette période le recours à un vocabulaire inspiré du patrimoine local s’apparente à un geste politique de domination comme le démontre l’ouvrage intitulé Arabisances de F. Béguin (1983), qui a largement participé à véhiculer ce paradigme. Plus largement, des travaux plus récents, notam- ment ceux de Zeynep Celik, ont eu tendance à développer des théories essentialistes sur l’ensemble de l’architecture et de l’urbanisme de production coloniale et à montrer comment, en Algérie, les formes architecturales et urbaines témoignent de la politique ségrégationniste coloniale (1997 ; 2009). Toutefois, uploads/Histoire/ des-influences-traditionnelles-et-patrimoniales-sur-les-architectures-du-maghreb-contemporain-pdf 1 .pdf
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- Publié le Aoû 18, 2022
- Catégorie History / Histoire
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