Perspective et temps verbaux : problèmes de traduction Lina Avendaño Anguita Un

Perspective et temps verbaux : problèmes de traduction Lina Avendaño Anguita Universidad de Granada Résumé. Cet article analyse autant les particularités du fonctionnement verbal liées à la perspective narrative et / ou à la situation d’énonciation que les problèmes de traduction qui en découlent. L’attention est surtout portée sur les équivalences du pretérito perfecto simple et du pretérito perfecto compuesto, car si ces temps et leurs homologues français ont des valeurs linguistiques similaires, ils véhiculent cependant des effets de sens divergents que le texte source impose. Plus souple et plus versatile que le passé simple, le pretérito perfecto simple renferme souvent une ambiguïté que seul le point de vue adopté permet de lever. Et effectivement, traduire la langue de l’autre oblige à pénétrer et à rendre le regard de l’autre. Perspective et temps verbaux : problèmes de traduction Lina Avendaño Anguita Universidad de Granada Nous avons cru utile d’attirer l’attention sur quelques particularités de certains temps verbaux qui, associés à la perspective narrative et / ou à la situation d’énonciation, contribuent à établir un effet de sens spécifique. La difficulté à traduire le temps sans trahir le sens affiché dans le texte source correspond souvent chez nos étudiants universitaires à une optique purement morphologique ou chronologique – les temps représentant le temps. Mais ni le temps physique du monde, ni le temps chronique, ni même l’approche linguistique du temps « organiquement lié à l’exercice de la parole, qui se définit et s’ordonne comme fonction du discours »1, ne suffisent à expliquer certaines occurrences de tiroirs verbaux sollicitées par la perspective narrative. Cette faille dans l’analyse de la temporalité verbale envisagée en termes de point de vue est cependant compensée par une linguistique textuelle apte à renouveler une vision réductrice de l’activité langagière. C’est là une tendance qui incitait déjà Harald Weinrich à accorder aux temps verbaux « la fonction de donner du relief à un texte en projetant au premier plan certains contenus et en en repoussant d’autres dans l’ombre de l’arrière-plan »2. Quoique cette perspective soit tentante, il serait toutefois dangereux de considérer qu’un temps verbal possède en propre la particularité de communiquer un point de vue quel qu’il soit, indépendamment de tout contexte, puisqu’ « aucun temps n’est exactement superposable à un temps d’une autre langue et que chaque temps se comporte avant tout comme élément du système temporel de sa langue »3. Par conséquent, si un temps verbal n’est pas étranger à l’expression d’un certain point de vue dans les textes narratifs, sa traduction devra forcément comprendre l’effet de sens qui en découle. Or, plus les langues sont proches, plus le risque de correspondances temporelles trop hâtives, et donc erronées, grandit. Sur ce point, nous ne pouvons que partager l’affirmation de Michel Le Guern pour qui, du moment que « le système des temps est […] l’une des structures les plus caractéristiques d’une langue donnée, projeter ce que l’on sait d’une langue sur une autre ne peut que conduire aux plus grosses bévues »4. Ainsi, confrontés à une phrase telle que salió a pasear y compró el periódico, nos étudiants ont tendance à proposer instinctivement une traduction mais ils ont du mal lorsqu’il s’agit de justifier leur choix. Et là, leur réflexion les mène à n’envisager qu’une différence de critères simplistes qui relierait le passé simple à l’écrit et le passé composé à l’oral, ce qui n’explique rien, dirait Benveniste. Ils sont d’autant plus embarrassés que des énoncés du genre llamó a la mujer a la que atropelló ne peuvent admettre le passé simple pour traduire atropelló sans porter atteinte à l’enchaînement narratif. Dès lors, puisque « l'équivalent de la traduction à l'original ne résulte pas d'une simple équation linguistique »5, la traduction des temps 1 Émile BENVENISTE, Problèmes de Linguistique Générale, t. 2, Paris : Gallimard, 1974, p. 73. 2 Harald WEINRICH, Le temps, Paris : Éd. du Seuil, 1973, p. 107. 3 Ibid., p. 81. 4 Michel LE GUERN, Sur le verbe, Lyon : P.U.L., 1986, p. 25. 5 Edmond CARY, Les grands traducteurs, Genève : Éd. Georg, 1963, p.34. verbaux s’appuie forcément sur des équivalences susceptibles de rendre un effet de sens particulier révélé dans le texte source. Si en restant fidèle aux fondements de toute fiction, l’interprétation temporelle d’un texte narratif se doit de témoigner à la fois du type d’énonciation et de la perspective narrative impliquée dans la traduction, elle n’est pas étrangère à ce que Harald Weinrich appelle la métaphorique temporelle6. Sans tendre à l’exhaustivité, nous tenons à relever quelques exemples qui nous confortent dans cette perspective, à commencer par les problèmes de traduction qu’impliquent le pretérito perfecto simple et le pretérito perfecto compuesto7. Alors que le passé simple et le pretérito perfecto simple comprennent des valeurs similaires en langue, ils entraînent cependant des effets de sens divergents. Le rapprochement passé simple / pretérito perfecto simple ou passé composé / pretérito perfecto compuesto dénote bien la faculté de ces temps à évoquer, au même titre, deux types de textes – le récit et le discours –. Sur ce point, les temps se valent dans une langue et dans l’autre comme nous le constatons dans la traduction de l’incipit de Corazón tan blanco de Javier Marías : No he querido saber pero he sabido que una de las niñas, cuando ya no era niña y no hacía mucho que había regresado de su viaje de bodas, entró en el cuarto de baño, se puso frente al espejo, se abrió la blusa, se quitó el sostén y se buscó el corazón con la punta de la pistola de su propio padre […]8 Je n’ai pas voulu savoir, mais j’ai su que l’une des enfants, qui désormais ne l’était plus et revenait à peine de son voyage de noces, entra dans la salle de bains, se mit devant la glace, ouvrit son corsage, ôta son soutien-gorge et chercha le cœur du bout du pistolet de son père […]9 Mais la proximité de ces temps ne se limite pas à nous instruire sur l’attitude de locution. Le passé simple et le passé composé s’assimilent, en effet, à leurs homologues espagnols, lorsqu’ils figurent deux types de diégétisation spécifique10 : « Dans le cas d’une diégétisation liée, l’ancrage temporel se fait par rapport à la déixis (hier, l’an passé) et le temps pivot est le passé composé diégétique. Dans le cas d’une diégétisation autonome, l’ancrage temporel est totalement coupé de la déixis 6 H. WEINRICH, Estructura y función de los tiempos del lenguaje, Madrid: Gredos, 1974, p. 141. 7 L’hétérogénéité terminologique n’est que le reflet d’approches différentes du temps verbal : pretérito et ante-presente (Andrés BELLO, Gramática de la lengua castellana destinada al uso de los americanos, Santiago de Chile: 1847), pretérito indefinido et pretérito perfecto (REAL ACADEMIA ESPAÑOLA, Gramática de la lengua castellana, Madrid: Espasa-Calpe, 1931), pretérito perfecto absoluto et pretérito perfecto actual (Samuel GILI GAYA, Curso superior de Sintaxis española, México: Ediciones Minerva, S. de R. L., 1943), pretérito perfecto simple et pretérito perfecto compuesto (REAL ACADEMIA ESPAÑOLA, Esbozo de una nueva gramática de la lengua española, Madrid: Espasa- Calpe, 1973). 8 Javier MARÍAS, Corazón tan blanco, Barcelona: Anagrama, 1992, p.11. 9 Alain et Anne-Marie KERUZORÉ, (trad.), Un cœur si blanc, Paris : Rivages Poche / Bibliothèque étrangère, 1993, p. 11. 10 Françoise Revaz propose trois modes énonciatifs : « direct, lié, autonome. Le premier mode –mode direct – relève de l’interaction entre deux interlocuteurs (je-tu/vous). Son ancrage est déictique (« moi, ici et maintenant ») et ses temps pivots sont le présent déictique et l’impératif. Les deux autres modes – lié et autonome – sont des modes diégétiques, dans la mesure où, dès que l’on évoque un événement hors de l’actualité immédiate, on opère effectivement une diégétisation » (Françoise REVAZ, « Passé simple et passé composé : entre langue et discours », Études de linguistique appliquée, nº102 (avril- juin), 1996, p. 190. (il était une fois, en ce temps-là) et le temps pivot est le passé simple »11. Les divergences d’usages temporels autrement essentiels n’en sont pas moins évidentes dans les deux langues. La gramática descriptiva de la lengua española relève ainsi ces propos de Guillermos Rojo et d’Alexandre Veiga: « canté expresa el enfoque más libre y espontáneo para un proceso pasado »12. En effet, le pretérito perfecto simple rend compte d’un processus révolu, qui a lieu soit dans une période de temps révolue soit, au contraire, dans une période relativement proche dans le temps. Ce principe de flexibilité fournit des exemples aussi différents que ceux-ci : Llegó el jueves a las 10h La primera semana vivió en un hotel El jueves no viniste Los fenicios establecieron colonias13 Unifiant ces énoncés malgré leur diversité temporelle, le pretérito perfecto simple véhicule une constante qui situe l’action exprimée hors du présent de l’énonciation. Outre que le passé simple, quant à lui, exprime « un fait complètement achevé à un moment déterminé du passé, sans considération du contact que ce fait, en lui-même ou par ses conséquences, peut avoir avec le présent »14, cette réduction du uploads/Histoire/ dialnet-perspectiveettempsverbauxproblemesdetraduction-4027086.pdf

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  • Publié le Jui 29, 2022
  • Catégorie History / Histoire
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