Accueil Numéros #9 1. Moment mémoriel et enjeux disc... Entre histoire de la mé
Accueil Numéros #9 1. Moment mémoriel et enjeux disc... Entre histoire de la mémoire et m... Conserveries mémorielles Revue transdisciplinaire #9 | 2011 : Les représentations du passé : entre mémoire et histoire 1. Moment mémoriel et enjeux disciplinaires Entre histoire de la mémoire et mémoire de l’histoire : esquisse de la réponse épistémo-logique des historiens au défi mémoriel en France PATRICK-MICHEL NOËL Résumés Français English La discipline historique est rarement analysée sciemment à travers le discours que ses praticiens tiennent sur son savoir. Pourtant, cette « épistémo-logie historienne » est essentielle à sa compréhension puisqu’elle constitue le médium par lequel elle s’est définie, programmée et justifiée. Si l’épistémologie traverse l’histoire de la discipline, elle devient plus manifeste lorsque son savoir est questionné, comme depuis les trente dernières années en France par la révolution mémorielle. Portée par une série de facteurs, cette révolution lance un défi aux historiens en valorisant la mémoire contre l’histoire comme appréhension du passé. Pour le relever, l’épistémologie historienne s’est déclinée en deux initiatives issues de la dialectisation des concepts d’histoire et de mémoire rendue possible par leur désidentification radicale engendrée par la révolution mémorielle. Les historiens ont, d’une part, programmé un nouveau domaine de recherche en objectivant la mémoire : l’histoire de la mémoire. Les historiens ont, d’autre part, porté un nouvel intérêt au passé de leur discipline afin de mieux s’identifier comme groupe et légitimer leur pratique savante, extériorisant une mémoire de l’histoire. Objectivant et instrumentalisant la mémoire, l’épistémologie permet aux historiens de prendre la distance nécessaire avec elle pour que leur discipline maintienne son autonomie par rapport à elle, autonomie qui demeure sa présupposition principale comme savoir. Celui- ci, en plus d’être mis en oeuvre pour produire une connaissance du passé, est explicité via une épistémologie qui est aussi importante que l’infrastructure institutionnelle dans sa disciplinarisation. Son étude oblige à nuancer son prétendu refus – tant valorisé que dénoncé – chez les historiens. The discipline of history is rarely studied knowingly through the discourse that its practicians enunciate on their knowledge (savoir). However, the « epistemo-logy » of historians is essential to its comprehension for it constitutes the medium through which the discipline has defined, programmed and justified itself. If this epistemology cuts across the history of the discipline, it becomes more manifest when the basis of its knowledge are challenged, just like the last thirty years in France by the memory craze. Fostered by a series of factors, this craze favors memory over history when it comes to apprehend the past. In response to the challenge, the epistemology of historians subdivided itself into two initiatives resulting from the dialectisation of the concepts of history and memory rendered possible by the memory craze. Historians have programmed a new area of research by objectifying memory: history of memory (a). They also developed a new interest for the past of their discipline in order to better identify themselves as a group and to legitimize their scholarly practice (b). Objectifying and instrumentalizing memory, epistemology allows historians to take the necessary distance from it permitting their discipline to maintain its autonomy from memory, autonomy which forms its principal presupposition as a knowledge. Not only does this knowledge is executed in order to produce a knowledge (connaissance) of the past, it is also formulated via an epistemology which is as important as the institutional infrastructure in its disciplinarization. The study of the epistemology of historians nuances their so-called refusal – which is as much praised than denounced by them – to theorize their knowledge. Entrées d’index Mots-clés : commémoration, espace public, histoire, historiographie, mémoire Texte intégral Jamais […] les rapports entre histoire et mémoire ne seront apparus aussi incertains et ouverts. Maurice Aymard (2003 : 16) Une « phénoménologie méta- historiographique » La discipline historique française peut être objectivée selon plusieurs perspectives non mutuellement exclusives allant d’analyses littéraires (Rancière, 1992 ; Carrard, 1998), de réflexions philosophiques (de Certeau, 1975 ; Ricœur, 2000), d’études sociohistoriques empiriques se penchant sur sa réalité institutionnelle et professionnelle (Dumoulin, 1983 ; Amalvi, 2005) ou plus « archéologiques » (Delacroix et al., 2005). Ces différentes approches dont il est impossible de dresser un bilan ici1 nous renseignent toutefois peu ou mal sur le discours que ses praticiens ont tenu non sur le passé mais sur leur savoir en fonction duquel ils en produisent une connaissance. Nous ignorons presque tout de ce qu’il n’est pas abusif de nommer étymologiquement l’» épistémo-logie historienne »2, soit le rapport théorico-discursif – versus pratique – que les historiens entretiennent avec leur savoir, hormis qu’elle serait « une tentation qu’il faut savoir résolument écarter » (Chaunu, 1978 : 10), un « méta-discours normatif » masquant une pratique empirique défaillante (Bourdieu, 1995 : 114) ou une « langue de bois » (Carrard, 1998 : 211). On semble croire que la compréhension de la discipline historique requiert une analyse « of what historians are doing, not what they think they are doing » (Tucker, 2004 : 4). L’épistémologie en histoire mérite-t-elle qu’on s’y arrête ? 1 Il existerait un « empirisme anti-théoriciste » particulièrement « vivace » en histoire (EspacesTemps, 2004). La plupart des historiens, selon Jose Barrera, se représenteraientles « true historians » comme ceux qui « produce great historiographical works, leaving reflection on history to marginal areas » (2001 : 190). Arnaldo Momigliano soulignait que les « interrogations épistémologiques […] n’ont qu’une importance indirecte pour […] l’historien [qui] travaille en présupposant 2 qu’il est en mesure de reconstruire […] les faits du passé » (cité in Revel, 2001 : 39). Cette posture empiriste, souvent assimilée à celle de l’artisan (Prost, 1996 : 146-150), « se fonde sur la conviction que le bon historien se forme et s’affirme dans l’exécution » (Revel, 2001 : 24). Or, il reste, comme en attestent plusieurs anthologies (Hartog, 1988 ; Leterrier, 1997 ; Gauchet, 2002 ; Delacroix et al., 2003), que les historiens ont continuellement discouru sur leur savoir, montrant en cela que l’épistémologie n’est pas qu’une « tentation » récente (Hartog, 2000). Peut-elle être problématisée pour qu’elle puisse fournir un nouvel éclairage sur la discipline ? Répondant à l’appel de Jean-Yves Grenier (2001 : 73) pour qui il serait utile de « s’interroger sur le rôle de la réflexion épistémologique en histoire », ce texte la problématise au moyen de l’hypothèse voulant qu’elle soit une condition procédurale de la discipline, hypothèse que nous avons explorée ailleurs (Noël, 2010). C’est par l’épistémologie que les historiens peuvent articuler leur savoir pour en produire des représentations – souvent conflictuelles – permettant de définir, programmer ou justifier leur discipline. Georges Canguilhem soulignait à ce propos qu’il « n’est pas vain de s’interroger d’abord sur l’idée que se font de l’histoire […] ceux qui prétendent s’y intéresser au point d’en faire » (1983 : 9). Avant de déterminer ce qu’est l’histoire, il faut savoir que ses praticiens se sont déjà faits des représentations – pas forcément réalistes – de ce savoir-faire indépendamment de son effectuation empirique. 3 La prise en compte de cette réflexivité rapproche les historiens des philosophes dont la plupart prétendent déterminer normativement l’essence de l’histoire en vue d’établir sa (non-)scientificité sans pratiquement tenir compte, bien qu’ils disent qu’ils le font, de la pratique des historiens3 qui, de ce fait, les ignorent réciproquement (Chartier, 1998). Raymond Martin reconnaît en effet « the widespread and substantially justified belief among practicing historians that the work done over decades in the philosophy of history […] is largely irrelevant to their professional objectives » (1989: 28). Et même s’il programme une « empirical approach » à la philosophie de l’histoire qui partirait des « actual historical interpretations » pour que les historiens lui soient moins « hostile » (Martin, 1989 : 5-6), peu de philosophes ont mis en pratique cette prescription qui exige que la philosophie de l’histoire soit « founded on a thorough understanding of existing historiography » (Tucker, 2004 : 5). 4 Or, la pratique historienne ne se réduit pas à la production de recherches empiriques. Les historiens ne font pas que mettre en œuvre un savoir-faire, comme nous le laisse croire Elizabeth Clarke pour qui les historiens ont largement « ignored the epistemological issues »(2004 : 70). Paul Ricœur a bien su mettre en évidence la réflexivité des historiens en étant un des rares philosophes ayant dialogué avec eux, que cela soit avec Marc Bloch (Ricœur, 1967 : 37-50), Fernand Braudel (Ricœur, 1983-5) ou Michel de Certeau, Bernard Lepetit, Jacques Revel et Pierre Nora (Ricœur, 2000). Comme le souligne Christian Delacroix, son intervention épistémologique « est avant tout […]une dialogique avec les historiens eux-mêmes ; elle a l’intérêt de proposer […]un regard réflexif sur leurs pratiques […] qui peut être mis en interaction avec leurs propres efforts de réflexivité » (2005 : 122). En prenant au sérieux l’épistémologie des historiens, Ricœur est également lu par eux dont plusieurs seraient du même avis qu’Antoine Prost qui en fait le seul philosophe de l’histoire qu’ils « puissent lire sans avoir le sentiment qu’il parle d’une planète étrangère » (1999 : uploads/Histoire/ entre-histoire-de-la-memoire-et-memoire-de-l-x27-histoire-esquisse-de-la-reponse-epistemo-logique-des-historiens-au-defi.pdf
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- Publié le Nov 29, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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