ESSAI DE SOCIOLOGIE CAHIERS DE LA NOUVELLE JOURNÉE 32 Luigi STURZO Essai de soc

ESSAI DE SOCIOLOGIE CAHIERS DE LA NOUVELLE JOURNÉE 32 Luigi STURZO Essai de sociologie Traduit de J'italien par Juliette BERTRAND LIBRAIRIE BLOUD & GAY DU Mt!:ME AUTEUR L'ITALIE ET LE FASCISME, Félix Alcan, 1927. LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE ET LE DROIT DE GUERRE, Bloud et Gay, 1930. IL CICLO DELLA CREAZIONE. POEMA DRAMMATICO IN QUATTRO AZIONI, Bloû,d et Gay, 1932. NIHIL OBSTAT : Parisiis die 17° Oct. 1935. ST. MAGNIN, cens. dep. IMPRIMATUR : Lutetiae Parisiorum die 18° Octobris 1935. V. DUPIN, v. g. INTRODUCTION SOCIOLOGIE ET HISTORICISME 1. La société est une projection multiple, simultanée, continue des individus; la sociologie est]' anthropologie sociale. 2. La société se réalise dans le devenir. 3. Le processus humain et l'histoire. 4. L'historicisme selon notre conception. 1. - Nous n'avons pas l'intention de discuter sur la nature scientifique de la sociologie et sur son étendue. C'est là un thème inépuisable et sur quoi on pourra écrire pendant long- temps, soutenant le pour et le contre. Nous prendrons le terme de sociologie au sens d'étude de la vie sociale dans ses facteurs, dans sa complexité. Deux méthodes peuvent être suivies: la méthode expéri- mentale, qui consiste à étudier de façon analytique les faits sociaux, à en relever les éléments constants, à en déduire leur nature et les lois qui les régissent ; la méthode historique, qui consiste à étudier les synthèses sociales et leurs facteurs dans leur unité concrète et dans la dialectique du processus humain. Nous préférerons la seconde méthode, qui nous introduit au cœur de la réalité, qui nous la fait vivre dans son intégrité, en tant qu'il n'y a pas de nature vivante qui ne soit en même temps unité concrète et processus: telle est l'histoire. Nous ne méconnaissons pas les avantages qu'offre la sociologie expé- rimentale comme moyen de recherche et pour recueillir des matériaux; mais ces matériaux isolés de leur cadre historique ne seraient que des éléments muets, comme ceux d'un corps disséqué auquel manque la vie. Aussi pour nous n'y a-t-il pas de vraie sociologie qui ne soit « historiciste », en ce sens que la structure sociale de l'humanité n'est que sa propre « concré- tisation ». et que celle-ci offre un processus qui se déroule dans le temps, et par suite est historique. Nous savons bien que les sociologues positivistes n'acceptent pas une pareille conception, qu'ils regarderaient comme un mélange hybride et antiscientifique. Pour eux ce que nous appelons sociologie « historiciste» ne serait pas autre chose 6 ESSAI DE SOCIOLOGIE que la partie descriptive de la sociologie, mise en lumière par l'histoire des divers facteurs sociaux, ou bien une spéciale philosophie de l'histoire, mais bien différente de la sociologie scientifique. Ils étudient le fait social comme une donnée statique, comme un organisme fixe, dont ils analysent la struc- ture. Ils conçoivent l'histoire comme un moyen de recherches et d'inductions, comme une description des facteurs, comme une collection de preuves, non pas toujours décisives, des dé- ductions générales auxquelles ils arrivent par l'étude directe de l'organisme social. Leur point de départ consiste en ce que la société serait un organisme réel, avec sa structure et sa vie propres, ou un mécanisme dont les forces se développent sous l'empire du déterminisme des lois bio-psycho-sociologiques. D'où la ten- tative de créer une mécanique, une biologie et une psychologie sociales. Mais le jeu de l'analogie ne peut créer une science; parler, par exemple, de biologie sociale, revient seulement à transporter les données biologiques dans le domaine social, à l'aide de ressemblances analogiques ou imaginaires. La pré- tendue psychologie sociale elle-même ne peut aboutir qu'à un retour perpétuel ou à une aide demandée continuellement à la psychologie individuelle. La vraie psychologie nous con- duit infailliblement à supprimer tout fondement à la conception d'un organisme social, existant par lui-même, distinct des éléments qui le composent, et à réduire les phénomènes de psychologie collective aux sources mêmes et aux caractères propres de la psychologie humaine individuelle. Mais les sociologues positivistes n'abandonnent pas pour au- tant toute conception organistique ou mécanique de la société. Selon eux, l'organisme social, même expurgé des analogies bio-psychiques, reste la véritable cause déterminante de toutes les activités humaines, telles que la langue, la religion, la morale, le droit, l'art, la politique, l'économie. L'organisme social serait donc le terme ultime, irréductible à tout autre. Cette conception, qui dépasse l'expérimentation positive et devient une thèse philosophique sur la société, ne peut satisfaire notre sens logique, qui ne trouve pas de raison de s'arrêter nécessai- rement à la structure sociale, comme au terme dernier irré- ductible, mais au contraire voit des raisons d'aller plus avant. En fait, la structure sociale suppose un facteur primordial qui l'a fait être telle qu'elle est; - en tant que la société, avec ses variétés, avec son évolution perpétuelle, ne serait que la manifestation, toujours en devenir, d'une réalité inté- rieure. Aussi, parallèlement à la sociologie positiviste, une conception s'est développée que nous pourrons appeler conception métaphy- sique de la société. La société ne serait pas conçue, de façon matérialiste, comme un organisme bio-psychique ou comme un INTRODUCTION: SOCIOLOGIE ET HISTORICISME 7 mécanisme réglé par le jeu de l'association, mais plutôt comme principe, volonté, force, idée, esprit, qui s'actue de lui-même et se réalise dans les formes diverses de la vie humaine. Selon cette deuxième conception, l'histoire, comme expression unique et complexe du devenir, occupe une position prédominante. L'historicisme et le positivisme, chacun sous des impulsions diverses, ont surgi l'un et l'autre comme une réaction contre le rationalisme « des lumières» et l'individualisme humanitaire; ils ont été, respectivement, dans le domaine philosophique et scientifique ce qu'en art ont été le romantisme et le natu- ralisme. L'historicisme s'orienta vers une conception plus ou moins idéaliste de la société. En servant, comme la biologie et la psychologie, à faire approfondir l'étude des facteurs sociaux et à l'amplifier par les recherches effectuées dans le domaine de la langue, de la religion, de l'art, des lois, de la politique et de l'économie générale, il mit en pleine lumière la continuité de l'histoire comme processus de devenir social. La sociologie positiviste et, pareillement, celle qu'on appelle métaphysique, en attribuant à la société (sous quelque nom qu'on la désigne: État, nation ou classe), une entité propre- ment dite et une valeur existant en soi font de l' « abstrac- tionnisme »; c'est-à-dire qu'elles déduisent, soit de la réalité bio-psychique des individus, soit de leur développement histo- rique, l'existence d'un principe extra et supra-individuel, à caractère moniste. Selon nous, la base sociale ne se trouve que dans l'individu humain, pris dans son caractère concret, dans sa complexité, dans son irréductibilité originelle. La société n'est pas une entité ou un organisme extérieur et supérieur à l'individu. L'homme est à la fois individuel et social, sa potentialité indi- viduelle et sa potentialité sociale ont une racine unique dans sa nature sensitive rationnelle. Il est individuel au point de ne participer à aucune autre vie que la sienne, d'être une per- sonnalité incommunicable; et il est tellement social qu'il ne pourrait exister ni développer aucune faculté, ni sa vie même, en dehors des formes sociales. L'individualité prise en soi, comme distincte de la société, opposée à la société, n'est qu'une abstraction logique créée pour déterminer les éléments constitutifs et fondamentaux de l'individu; pour les mêmes raisons, c'est une abstraction logique que la société prise en soi, comme distincte de l'indi- vidualité, opposée à l'individualité. Il est évident que dans le concret il n'y a ni individu hors de la"société, ni société sans individus; il y a seulement des individus en société. Le prin- cipe d'association est intérieur à l'individu et il est complé- mentaire de sa réalité individuelle. Il n'existe pas de principe d'association extra-individuel et par suite extra-humain, 8 ESSAI DE SOCIOLOGIE subsistant en soi et qui, de lui-même, informerait la société. La société est une résultante des individus, et ce qui constitue la raison d'être des différentes formes sociales se trouve en puissance dans chaque individu, et devient acte de par ces énergies individuelles en coopération ou plutôt en action et en réaction mutuelles. C'est pourquoi la réalisation concrète de la vie sociale ne diffère de celle de la vie individuelle qu'abs- traitement et de par des attributions de fins et de significations. Il n'en est pas moins vrai que tout acte de l'individu est, en soi-même, « associatif», implique une relation entre individus. La simple pensée, même avant qu'elle se manifeste, quoique pure- ment individuelle, a un caractère associatif: il ne saurait y avoir de communication ni, par conséquent, de société sans pensée. La société n'est autre chose que la pensée commu- niquée et devenue acte. Il n'y a donc rien dans l'activité hu- maine qui n'ait valeur associative, bien qu'originellement individuel. Rien d'humain n'est appelé à l'être qui ne réclame une forme quelconque d'association. Il est difficile à beaucoup d'esprits, de concevoir le passage de l'individuel au social sans aucun élément extérieur donnant à la société sa réalisation et sa caractéristique. Aussi parlent-ils. des fins sociales comme de fins objectives, existant en soi. uploads/Histoire/ essai-de-sociologie.pdf

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  • Publié le Mar 12, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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