Perspective Actualité en histoire de l’art 2 | 2010 Antiquité/Moyen Âge Qu’est-

Perspective Actualité en histoire de l’art 2 | 2010 Antiquité/Moyen Âge Qu’est-ce que l’art protohistorique ? What is protohistoric art? Henri-Paul Francfort, Christoph Huth, Ricardo Olmos, Miklós Szabó et Stéphane Verger Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/perspective/1092 DOI : 10.4000/perspective.1092 ISSN : 2269-7721 Éditeur Institut national d'histoire de l'art Édition imprimée Date de publication : 31 décembre 2010 Pagination : 195-214 ISSN : 1777-7852 Référence électronique Henri-Paul Francfort, Christoph Huth, Ricardo Olmos, Miklós Szabó et Stéphane Verger, « Qu’est-ce que l’art protohistorique ? », Perspective [En ligne], 2 | 2010, mis en ligne le 07 août 2014, consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/perspective/1092 ; DOI : https://doi.org/ 10.4000/perspective.1092 L’art protohistorique DÉBAT PERSPECTIVE 2010/2011 - 2 195 Débat Travaux Actualité L’art protohistorique est un art constamment actuel. Dès lors qu’il fut en- tendu – mais il fallut du temps pour que cela advienne – qu’il n’était pas une copie maladroite de l’art classique, de même que les sociétés proto- historiques n’étaient pas de pâles copies des premières civilisations histo- riques, il tint une place à part dans le panorama des arts anciens. De l’une de ses manifestations les plus spectaculaires, l’art celtique, on fi t un art d’anti-académisme, de résistance contre le classicisme, toujours prêt à in- carner la création spontanée. Il est clair qu’il s’inspire de l’art grec, mais il en est l’opposé esthétique et philosophique, comme l’écrit André Breton en 1955 : « Il importe peu que le choix du statère de Philippe II comme prototype de la plupart des monnaies gauloises ait été décidé par une cir- constance fortuite […], le trait de génie a été de le considérer d’un œil neuf qui l’arrache à sa rigidité, le sensibilise au point de lui faire supporter, dans les limites de ses deux faces, toute l’énigme du monde » 1. Il y a là quelque chose d’incompréhensible à l’aune de l’art clas- sique, une esthétique étrange, inclassable, dont Georges Bataille rend déjà compte de manière provocatrice : « Les ignobles signes et gorilles équi- dés des Gaulois, animaux aux mœurs innommables et combles de laideur, toutefois apparitions grandioses, prodiges renversants, représentèrent ainsi une réponse défi nitive de la nuit humaine, burlesque et affreuse, aux plati- tudes et aux arrogances des idéalistes » 2. C’est cette transfi guration du réel, que Breton n’hésite pas à rapprocher de l’art de l’alchimiste dont il croit voir comme l’essence dans les médailles gau- loises, qui fait de l’art celtique, comme des autres arts protohistoriques, un art toujours actuel. Paul-Marie Duval qualifi a ainsi les célèbres petites statuettes de danseuses en bronze « gallo-romaines » du dépôt de Neuvy-en-Sullias, habi- tuellement considérées comme des versions abâtardies de la plastique médi- terranéenne, comme des œuvres « qu’on croirait nées d’hier ou de demain » 3. Et cette dernière réfl exion est loin d’être un lieu commun lorsqu’il l’écrit en 1955 : l’art celtique, et plus généralement les arts « protohistoriques » européens, furent alors, parmi les arts « primitifs », les derniers qui inspirèrent fi nalement Qu’est-ce que l’art protohistorique ? Points de vue d’Henri-Paul Francfort, Christoph Huth, Ricardo Olmos et Miklós Szabó, avec Stéphane Verger Henri-Paul Francfort, directeur de recherche au CNRS et spé- cialiste de l’archéologie de l’Asie centrale des âges du bronze et du fer, travaille sur l’art des steppes et l’art rupestre centrasiatiques, ainsi que sur l’art des sociétés proto- urbaines de l’âge du bronze. Christoph Huth, professeur d’ar- chéologie protohistorique à l’Al- bert-Ludwigs-Universität de Fri- bourg, est l’auteur de nombreuses publications sur la représentation humaine pendant la protohistoire et sur l’archéologie des religions aux âges du bronze et du fer. Ricardo Olmos, directeur de recherches au Consejo Superior de Investigaciones Científi cas et directeur de l’Escuela Española de Historia y Arqueología à Rome, travaille sur l’iconographie ibérique et sur le commerce et la réception de la céramique attique dans la Péninsule ibérique. Miklós Szabó, professeur d’ar- chéologie classique et proto- historique à l’université Eötvös Loránd de Budapest, dirige le chantier hongrois de Bibracte. Il s’intéresse en particulier aux terres cuites archaïques de Béotie et à l’art et l’archéologie des Celtes. Stéphane Verger, directeur d’études à l’EPHE, s’intéresse aux différentes formes de contacts entre les cultures méditerra- néennes et les sociétés protohisto- riques au Ier millénaire avant J.-C. ANTIQUITÉ 196 DÉBAT PERSPECTIVE 2010/2011 - 2 les artistes, bien après ceux de l’Afrique noire et des civilisations précolombiennes. Ne décèle-t-on pas dans certaines sculptures de Max Ernst, comme Moonmad (1944), une inspiration directe – peut- être involontaire – de certains objets en bronze de l’art celtique insulaire ? Loin d’être imperméables à ces visions par- fois hermétiques et provocatrices, les protohisto- riens en ont à l’occasion tiré des enseignements. Ainsi, pour rester dans les études d’art celtique, le premier grand spécialiste européen de la dis- cipline, Paul Jacobsthal – auteur en 1944 de l’ou- vrage encore fondamental Early Celtic Art (1944) – qui était lui-même un archéologue classique et un historien de l’art grec, s’intéressa dès 1932 aux travaux de Wilhelm Micheels, un peintre autodidacte, amateur de géométrie gothique et créateur d’ornements à base de jeux de cercles 4 ; des expéri- mentations qui découlèrent de cette relation naquit une longue lignée de re- cherches sur la Zirkelornamentik des Celtes. C’est aussi ce lien organique entre arts protohistoriques et arts actuels que met en lumière Henri-Paul Francfort lorsqu’il rapproche les manifesta- tions les plus spectaculaires de l’art néolithique « des conceptions très ac- tuelles de la théorie et de la pratique de l’art : abstraction, installation, per- formance » (voir ci-dessous). Il faudrait aussi comprendre tout ce que les travaux de Christopher Tilley 5 doivent à la monumentale créativité du Land Art, qui lui-même a parfois trouvé son inspiration, implicitement ou explicite- ment, dans l’imposante géométrie paysagère de l’art mégalithique (fi g. 1) 6. C’est que fi nalement les arts protohistoriques, comme les arts actuels, se renouvellent constamment : tantôt au gré de découvertes d’œuvres tou- jours plus surprenantes, qui se succèdent chaque année et bouleversent souvent nos manières d’appréhender le sujet ; tantôt grâce aux innovations touchant les techniques de fouilles et le choix des terrains explorés par les archéologues protohistoriens, qui traquent désormais les installations éphémères ou les vestiges fugaces d’ornements corporels et portent volon- tiers un regard esthétique sur leurs découvertes, mêmes les plus triviales. Les arts protohistoriques, comme les arts actuels, n’ont certes pas fi ni de nous émerveiller [Stéphane Verger]. Stéphane Verger. Entre l’art préhistorique et l’art antique, cela a-t-il un sens pour vous de définir un art « protohistorique » du néolithique et des âges des métaux ? Si oui, comment le définiriez-vous ? Sinon, pourquoi ? Ricardo Olmos. Tertium non datur ? La formulation dichotomique de la question exige une prise de position initiale, un « oui » ou un « non » catégorique. Elle interdit de se situer sur le terrain ambigu du « oui, peut-être », du « ça dépend ». Mais je pencherais plutôt pour le tertium exclusum. Je crois en l’histoire dans ses interrelations infinies, en la fluidité entre les périodes et leurs connexions, et non pas en leur cloisonnement académique et formel. Cette dichotomie découle de l’histoire récente du terme lui-même. L’art « proto- historique » est l’expression d’un long processus épistémologique, principalement euro- péen, à cheval sur deux cadres temporels – la préhistoire et l’Antiquité – que l’érudition 1. Gabriel Verger, installation « La Pierre des Fades – La Pierre des Fées » autour du tertre funéraire néolithique B de La Boixe (Cha- rente), 1995. L’art protohistorique DÉBAT PERSPECTIVE 2010/2011 - 2 197 du XIXe siècle avait délimités de manière trop rigide en se fondant sur le critère différenciateur de l’écriture. Cet instrument créait une ligne de dé- marcation dans le processus de l’histoire occidentale, un avant et un après ; elle marquait une hiérarchie culturelle entre ceux qui la possédaient et les autres. Depuis le début, l’« art antique » appartient à des régions culturelle- ment privilégiées : l’Égypte et le Proche-Orient, d’une part, et le centre clas- sique méditerranéen construit par la Grèce et Rome, d’autre part, dont la suprématie, par ailleurs, était âprement discutée au XIXe et XXe siècles 7. Tout ce qui était contemporain de ces cultures aurait été anecdotique et barbare (au sens étymologique de « langage répétitif et mal articulé, incompréhen- sible »). Bien qu’appartenant à une époque révolue, cette vision de la pré- histoire comme un univers totalement différent domine encore aujourd’hui. Mais il existe des mondes fl uides, aux limites imprécises, dans l’histoire humaine, qui grandissent à mesure que la recherche s’affi ne et que les ques- tions se diversifi ent. L’un de ces multiples espaces trouve, dans notre culture occiden- tale et européenne, le nom de « protohistoire » ou « Frühgeschichte ». La protohistoire vient s’inscrire dans la construction de l’histoire antique dès le XIXe siècle. Au passage du XIXe au XXe siècle, nous assistons à un imparable processus de développement géographique, temporel et conceptuel de ce que l’on entendait par « art antique ». L’Histoire de l’art dans uploads/Histoire/ art-protohistorique 1 .pdf

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  • Publié le Aoû 12, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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