Enzo Traverso Mélancolie de gauche La force d’une tradition cachée (XIXe-XXIe s

Enzo Traverso Mélancolie de gauche La force d’une tradition cachée (XIXe-XXIe siècle) 2016 Copyright © Éditions La Découverte, Paris, 2016. ISBN papier : 978-2-7071-9012-3 ISBN numérique : 978-2-7071-9370-4 Composition numérique : Facompo (Lisieux), Septembre 2016. En couverture : © Christopher Anderson / Magnum Photos Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. 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Essai sur Auschwitz et les intellectuels, Éditions du Cerf, 1997. Le Totalitarisme. Le XXe siècle en débat, textes réunis et présentés par Enzo Traverso, Le Seuil, 2001. La Violence nazie. Une généalogie européenne, La Fabrique, 2002. La Pensée dispersée. Figures de l’exil judéo-allemand, Éditions Léo Scheer, 2004. Le Passé : modes d’emploi. Histoire, mémoire, politique, La Fabrique, 2005. À feu et à sang. La guerre civile européenne 1914-1945, Stock, 2007, nouvelle édition poche Hachette-Pluriel, 2009. L’Histoire comme champ de bataille. Interpréter les violences du XXe siècle, La Découverte, 2011, La Découverte/Poche, 2012. Où sont passés les intellectuels ?, entretien avec Régis Meiran, Textuel, 2013. La Fin de la modernité juive. Histoire d’un tournant conservateur, La Découverte, 2013, La Découverte/Poche, 2016. Présentation Depuis le XIXe siècle, les révolutions ont toujours affiché une prescription mémorielle : conserver le souvenir des expériences passées pour les léguer au futur. C’était une mémoire « stratégique », nourrie d’espérance. En ce début de XXIe siècle, cette dialectique entre passé et futur s’est brisée et le monde s’est enfermé dans le présent. La chute du communisme n’a pas seulement enterré, une fois pour toutes, la téléologie naïve des « lendemains qui chantent », elle a aussi enseveli, pour un long moment, les promesses d’émancipation qu’il avait incarnées. Mais ce nouveau rapport entre histoire et mémoire nous offre la possibilité de redécouvrir une « tradition cachée », celle de la mélancolie de gauche qui, comme un fi l rouge, traverse l’histoire révolutionnaire, d’Auguste Blanqui à Walter Benjamin, en passant par Louise Michel ou Rosa Luxemburg. Elle n’est ni un frein ni une résignation, mais une voie d’accès à la mémoire des vaincus qui renoue avec les espérances du passé restées inachevées et en attente d’être réactivées. Aux antipodes du manifeste nostalgique, ce livre – nourri d’une riche iconographie : des tableaux de Courbet aux affiches soviétiques des années 1920, des films d’Eisenstein à ceux de Théo Angelopoulos, Chris Marker ou Ken Loach – établit un dialogue fructueux avec les courants de la pensée critique et les mouvements politiques alternatifs actuels. Il révèle avec vigueur et de manière contre-intuitive toute la charge subversive et libératrice du deuil révolutionnaire. L’auteur Enzo Traverso enseigne l’histoire intellectuelle à l’université Cornell d’Ithaca, New York. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, traduits en plusieurs langues, parmi lesquels À feu et à sang (Stock), L’Histoire comme champ de bataille ou La Fin de la modernité juive (La Découverte). Collection Sciences humaines À Michael Löwy Table Introduction Chapitre 1 - La mélancolie des vaincus Naufrage avec spectateur La gauche vaincue La dialectique de la défaite Généalogies Les antinomies de Walter Benjamin Le pari mélancolique Chapitre 2 - Marxisme et mémoire Entrée de la mémoire, sortie du marxisme Mémoire du futur Mythe et mémoire Le futur passé Chapitre 3 - Images mélancoliques. Le cinéma des révolutions vaincues L’histoire-caméra La restauration d’après guerre Révolutions coloniales Lieux de mémoire Ombres rouges Fantômes espagnols Souvenirs de Santiago U-topie Chapitre 4 - Spectres du colonialisme Marx et l’Occident La matrice hégélienne « Peuples sans histoire » Violence et révolte Héritages Clivages Chapitre 5 - La concordance des temps Portbou Paris Réinterpréter Marx Synchronies : 1940 et 1990 Historicisme Révolutions Utopie Conclusion Remerciements Liste des illustrations Introduction « Dans le match du siècle entre socialisme et barbarie, la seconde a pris quelques longueurs d’avance. Nous entrons dans le XXIe siècle avec moins d’espoir que n’en avaient nos aïeux au seuil du XXe. » Daniel Bensaïd, Jeanne de guerre lasse (1991) Cet ouvrage se propose d’explorer la dimension mélancolique de la culture de gauche, du XIXe au XXIe siècle. « Culture de gauche » est une notion hétérogène et ouverte, difficile à cerner. La gauche dont il sera ici question n’est pas définie en termes purement topologiques, selon une approche courante au sein des sciences politiques ; elle le sera plutôt en termes ontologiques : les mouvements qui, dans l’histoire, se sont battus pour changer la société en plaçant le principe d’égalité au centre de leurs projets et de leurs luttes1. Sa culture inclut non seulement une multitude de courants politiques mais aussi une pluralité de sensibilités intellectuelles et esthétiques. C’est pourquoi j’ai choisi d’analyser aussi bien des textes que des images. Les idées déposées dans des ouvrages théoriques, les documents politiques et les témoignages contenus dans des récits autobiographiques ou des correspondances y côtoient les affiches de propagande, les peintures et les films. Une place de taille sera réservée au marxisme, qui a dominé la culture des mouvements révolutionnaires du XXe siècle. La notion de « culture de gauche » recouvre donc, dans cet essai, un ensemble de théories et d’expériences, d’idées et de sentiments, de passions et d’utopies. La mémoire de la gauche est un vaste continent fait de victoires et de défaites : les premières exaltantes mais dans la plupart des cas éphémères, les secondes souvent durables. La mélancolie, elle, est un sentiment, un état d’âme et une disposition de l’esprit. Pour appréhender la culture de gauche il faut donc forcément aller au-delà des idées et des concepts. Au début des années 1980, l’irruption de la mémoire dans le domaine des sciences humaines a coïncidé avec la crise du marxisme, qui est resté pratiquement absent du « moment mémoriel » typique du début du XXIe siècle. La conception marxiste de l’histoire impliquait une prescription mémorielle : il fallait inscrire les événements du passé dans la conscience historique afin de pouvoir se projeter dans l’avenir. Il s’agissait d’une mémoire « stratégique » des luttes du passé, une mémoire orientée vers le futur. La fin du communisme a brisé cette dialectique entre passé et futur, et l’éclipse des utopies qui accompagne notre époque « présentiste » a conduit à la quasi- extinction de la mémoire marxiste. La tension entre passé et futur est devenue une « dialectique négative », mutilée. Ce contexte a favorisé la redécouverte d’une vision mélancolique de l’histoire comme remémoration (Eingedenken) des vaincus – Walter Benjamin en fut l’interprète le plus significatif – qui appartient à une tradition cachée du marxisme. Pendant plus d’un siècle, la gauche radicale s’est inspirée de la célèbre onzième thèse sur Feuerbach de Marx : les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, il faut maintenant le changer2. Lorsqu’en 1989 la gauche est devenue « sans abri spirituel » après avoir pris conscience de l’échec des tentatives passées de transformer le monde, ce sont les idées mêmes avec lesquelles on avait essayé de l’interpréter qu’il a fallu remettre en question. Et quand, une décennie plus tard, de nouveaux mouvements sont apparus qui proclamaient qu’« un autre monde est possible », ils ont dû réinventer leurs identités intellectuelles et politiques. Ils ont dû se réinventer en forgeant des pratiques – et même, à plusieurs égards, des théories – inédites dans un monde privé d’un futur visible, pensable ou imaginable. Ils n’ont pas pu, à la différence d’autres générations orphelines qui les avaient précédés, s’« inventer une tradition ». Le passage d’un âge de feu et de sang, qui, en dépit de ses innombrables défaites, demeurait intelligible, à une époque nouvelle de menaces globales sans issue prévisible s’est teinté d’une coloration mélancolique. Cela ne signifie pas nécessairement le repli dans un univers clos de chagrin et de souvenirs ; il s’agit plutôt d’un ensemble d’émotions et de sentiments qui enveloppent la transition vers une ère nouvelle. C’est la seule manière de faire coexister la recherche d’idées et de projets pour demain avec le deuil et la tristesse qui accompagnent la disparition des expériences révolutionnaires du passé. C’est la mélancolie d’une gauche, ni archaïque ni impuissante, qui ne veut uploads/Histoire/ enzo-traverso-me-lancolie-de-gauche-la-de-couverte-2016.pdf

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  • Publié le Jul 12, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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