Revue d’histoire moderne et contemporaine Catherine Durandin, Histoire des Roum
Revue d’histoire moderne et contemporaine Catherine Durandin, Histoire des Roumains Stefan Lemny Citer ce document / Cite this document : Lemny Stefan. Catherine Durandin, Histoire des Roumains. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 44 N°4, Octobre-décembre 1997. pp. 714-716; https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1997_num_44_4_1893_t1_0714_0000_3 Fichier pdf généré le 10/04/2018 714 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE rappeler l'incendie du Palais de Justice si bien évoqué par Canetti ou Doderer. Le récit de la seconde guerre mondiale, bien centré sur l'Europe centrale, égrenne ses lieux sinistres, Auschwitz, Katyn, Lidice. La politique de la Hongrie et du régent Horthy est appréciée avec les nuances nécessaires. Pour les procès staliniens de Tchécoslovaquie, le nom de London aurait pu être ajouté à ceux de Slânsky et Clementis, Aveu oblige1. L'ouvrage ne peut que se clore sur les interrogations du temps présent. Pour conclure, disons l'utilité de l'ouvrage pour les xixe et xxe siècles, regrettons l'insuffisance de la cartographie et déplorons que la première partie n'ait manifestement pas été relue. Claude Michaud. Catherine Durandin, Histoire des Roumains, Paris, Fayard, 1995, 573 p. Rares sont, en France, les tentatives pour écrire l'histoire des Roumains. La plus ancienne remonte à 1777 quand Jean- Louis Carra, futur membre de la Convention, a publié son Histoire de la Moldavie et de la Valachie. Écrit après le séjour de l'auteur dans ces régions, l'ouvrage s'achevait par une « prophétie » : « le temps qui amène toutes les révolutions doit en amener une sans doute dans les deux Provinces ». Depuis, révoltes paysannes, coups d'état et révolutions se sont en effet succédés. L'Histoire des Roumains de Catherine Durandin paraît après la dernière de ces ruptures qui a suscité de si nombreux débats. L'auteur connaît bien les spécificités de l'enjeu révolutionnaire roumain. Elle lui avait déjà consacré un de ses premiers livres (Révolution à la française ou à la russe ?) dans lequel la révolution roumaine de 1848 était appréhendée dans une large perspective européenne. Cette révolution trouve aujourd'hui toute son dans la nouvelle lecture de l'histoire roumaine où « l'après-1989 a le parfum de l'après-1848 » (p. 504). L'époque délimitée par ces dates s'annonce comme le temps privilégié de l'analyse avec plus de 400 pages sur les 500 de texte ! Les origines les plus reculées et le Moyen Age (pratiquement deux occupent ce qui en reste dans une ébauche très approximative. L'image de l'ethnogénèse — sujet sensible de l'historiographie roumaine — s'efface dans le tissu des interrogations, au risque de déplaire à ceux qui n'aiment pas trop les incertitudes ! Mais, pour Catherine Durandin, ce parti-pris est volontaire, car, chez elle, écrire l'histoire des Roumains devient une manière de démythifier un passé souvent en proie à l'imagination patriotique. L'auteur conteste, par exemple, dès les premières lignes du livre, cette projection insulaire qui ferait des Roumains une île romaine dans la mer des peuples slaves. Quand, vers la fin du xixe siècle, l'historien roumain Xenopol publia son histoire, traduite aussitôt en français, cette métaphore avait joué un rôle important dans l'affirmation de l'identité européenne des Roumains. Aujourd'hui, Catherine Durandin prend ses distances pour dire que « la Roumanie n'est ni une île ni un laboratoire » (p. 8), rappelant que « la destinée culturelle, politique et, plus récemment, idéologique des est copartagée par les Russes et les Ukrainiens — frères en orthodoxie — , les peuples de l'empire des Habsbourgs liés à Vienne ou dépendant de Vienne comme le furent les transylvains, les frères des Balkans ayant appartenu comme eux à la civilisation byzantine puis à la domination ottomane » (p. 18). Pourtant, cette analyse qui veut « purger » l'histoire des Roumains de bon nombre d'idées reçues n'échappe pas, elle aussi, à la tentation des grandes « formules ». Que penser par exemple de cette phrase qui fait de l'histoire des Roumains « une histoire de contradictions non résolues » (p. 17), ou de selon laquelle « le mal-être de l'histoire roumaine naît d'une contradiction dans la représentation du temps » (p. 18) ? 1. Le livre de Bartosek, dont on sait la polémique qu'il a suscitée, n'était alors pas paru. COMPTES RENDUS 715 II demeure que cette manière d'interroger le passé des Roumains, qui ne cache pas ses sources (Mircea Eliade, Cioran, le poète et philosophe roumain Blaga), et veut ainsi définir « un statut et un style » — titre du premier chapitre du livre — plutôt que de proposer une nouvelle chronologie, est une entreprise tout à fait stimulante. L'époque moderne et contemporaine, qui est donc pour l'auteur le temps fort de l'expérience roumaine, n'est pas pour autant moins riche en paradoxes, nourrissant l'intérêt de l'analyse. L'image la plus frappante qui en résulte est la rapidité de la construction de la Roumanie moderne. Pratiquement, au cours d'un seul siècle, au xixe siècle, tout se joue : l'affirmation des Roumains en tant que nation d'abord, puis, en 1859, l'unification de la Moldavie et de la Valachie, l'indépendance, en 1877, et, en 1881, l'institution de la monarchie. Enfin la création d'une grande Roumanie, après la première guerre mondiale. Au début du xixe siècle, le nom de « Roumanie » n'existait pas encore, bien que les habitants se soient appelés Roumains depuis des siècles. Un lettré grec, Dionisie Philippidès, vivant alors dans ces principautés, l'avait mis pour la première fois en circulation pour désigner l'histoire de tout le peuple qu'il décrivait. Et voilà qu'un siècle plus tard, la Roumanie avait une existence officielle, désignant l'état le plus étendu de l'Europe de sud-est, devenu un garant de la stabilité géopolitique de la région. Cette émergence spectaculaire n'est pas une exception dans le siècle du nationalisme. Elle n'est pas non plus une histoire entièrement heureuse. La « voie royale » de l'accomplissement de l'État moderne est toujours mise en ombre par les profondes inégalités sociales et les dérives xénophobes qui régnent à l'intérieur du pays. Catherine Durandin prête toute son attention à cette « histoire parallèle », trop souvent ignorée par les autres auteurs de synthèses de l'histoire roumaine. On trouve, par exemple, dans son livre une bonne analyse de la situation des Juifs qui étaient devenus, dans la seconde partie du xixe siècle, les bouc-émissaires de la crise sociale, faisant de leur « question » un sujet inévitable de l'équation entre la Roumanie et l'Europe. Ainsi se sont-ils vus attribuer, à tort, la des mécontentements qui ont déclenché la révolte paysanne de 1907, événement tragique par l'ampleur des pertes humaines (11000 morts selon sources). Une fois franchi le seuil de notre xxe siècle, l'analyse de Catherine Durandin prend encore plus d'ampleur et d'intérêt. Pour les Roumains, l'entre-deux-guerres est avant tout le temps de la « Grande Roumanie » — la projection idéale dans l'espace de leurs rêves historiques — , mais aussi « l'âge d'or » de la grande culture qui dépasse — avec Tzara, Cioran, Enesco, Brancusi, Ionesco — les frontières nationales. L'auteur n'ignore pas, cependant, les fragilités de cette construction, qui expliquent, avec la crise des années 30, toutes les dérives politiques du pays. Le témoignage de Mircea Eliade traduit le sentiment de ceux qui ont vécu cette période : « J'avais le pressentiment que nous n'aurions pas de temps. Je sentais non seulement que le temps nous était compté, mais que nous allions vers une époque terrifiante, le temps de la terreur de l'histoire ». En 1940-1944, quand Eliade était attaché culturel à Londres, puis à Lisbonne, ce temps avait déjà commencé. Depuis 1933, l'extrême droite semait l'inquiétude et répandait la terreur. Depuis 1938, la Roumanie avait basculé dans un régime totalitaire sous Carol II, et, plus encore, après 1940, sous le maréchal Antonescu. Mais les autres « tourments du XXe siècle » commencent après le 23 août 1944, quand le maréchal est renversé par un coup d'État. Les Roumains avaient rejoint à cette date les Alliés, retournant les armes contre l'Allemagne, mais ils tombent très vite sous le contrôle soviétique pour partager le destin communiste imposé à l'Europe de l'Est. Cette nouvelle aventure inspire une des meilleures analyses du livre, dans laquelle l'« ère Ceausescu » occupe une large place. La synthèse de Catherine Durandin n'ignore pas non plus le temps présent, même s'il s'agit d'une histoire qui se cherche encore. L'image qui résulte de ces dernières pages ne respire pas l'optimisme. Car dans la Roumanie d'après 1989, l'amertume engendre toutes les nostalgies (p. 505), l'État n'est pas « l'État des citoyens », laissant à la surenchère 716 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE nationaliste le soin de combler ce vide. Ces jugements rendent cette lecture vive et incitent au débat. L'originalité essentielle de cette démarche repose d'ailleurs sur l'effort fait pour « penser l'histoire » des Roumains plutôt que sur la volonté de reconstituer son cours chronologique. C'est la nouveauté radicale que l'auteur propose par rapport à l'ouvrage de stricte information qu'a autrefois publié Georges Castellan {Histoire de la Roumanie dans la collection « Que sais-je ? »). Le livre répond ainsi à l'intérêt d'un public peut-être frustré d'une bonne de l'histoire roumaine et sûrement désabusé devant les raccourcis de uploads/Histoire/ duradin-histoire-roumanie-pdf.pdf
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- Publié le Oct 16, 2021
- Catégorie History / Histoire
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