Histoire. Thami El Glaoui : Le pacha qui aurait pu être roi L’histoire de Thami
Histoire. Thami El Glaoui : Le pacha qui aurait pu être roi L’histoire de Thami El Glaoui s’apparente à une success-story. Celle de l’ascension d’un chef de tribu lambda, petit-fils d’un marchand de sel. Un seigneur féodal qui, au final, a déposé deux sultans et marqué de son empreinte l’histoire du Maroc. Un roi, à sa manière. A la fin du 19ème siècle, le sultan Moulay Hassan ne dirige qu’une partie du pays. Si son autorité s’exerce sur blad Makhzen, les territoires au-delà des contreforts de l’Atlas sont trop loin du pouvoir central basé à Fès pour que le souverain y ait une quelconque influence. C’est blad siba, pays des tribus rebelles, promptes à défier l’autorité du sultan. Les prédécesseurs de Moulay Hassan ont tous dû mener régulièrement des campagnes militaires pour les ramener dans leur giron. C’était, qui plus est, le seul moyen de percevoir l’impôt et renflouer les caisses vides des Alaouites. Le sultan, ruiné et en quête de fonds, n’échappe pas à cette règle de gouvernance. C’est ainsi qu’à l’automne 1893, Moulay Hassan, à la tête d’une harka partie en expédition dans le Tafilalet, revient par la vallée du Dadès. Ses troupes sont harassées, la campagne a été rude et les morts de faim et de froid nombreux. Telouet —fief des Glaoui près de Ouarzazate— est un lieu de passage obligé pour le sultan. Madani, le frère aîné de Thami El Glaoui, voit là une occasion à saisir pour être bien en cour. En 48 heures, il fait pression sur ses vassaux pour qu’ils rassemblent moutons, chèvres, mulets et chevaux et organiser un accueil triomphal à Moulay Hassan. Madani et Thami, alors âgé de 15 ans, vont à la rencontre du sultan pour lui présenter leurs hommages. Madani se prosterne devant Moulay Hassan et, le front touchant le sol neigeux, lui déclare : “Seigneur tout puissant, daignez accepter le peu que votre esclave peut vous offrir”. Un doux euphémisme. Alors que les troupes du sultan meurent de faim depuis des jours, les frères Glaoui leur organisent un banquet où les plats se succèdent. Ils réussissent l’exploit de nourrir 3000 hommes en campagne, “un rêve extravagant”, selon l’expression de Gavin Maxwell, auteur d’El Glaoui dernier seigneur de l’Atlas. Moulay Hassan, pour récompenser Madani de son accueil, en fait son calife personnel pour toute la région. Par la grâce d’un banquet, les Glaoui gagnent le commandement de toutes les tribus entre le Haut-Atlas et le Sahara. Moulay Hassan ne se contente pas de leur mettre le pied à l’étrier dans leur ascension vers le pouvoir. Le sultan offre aux Glaoui, en plus d’armes modernes, un canon Krupp qu’il transportait avec lui pendant la harka. Les Glaoui se retrouvent ainsi en possession de la seule pièce d’artillerie lourde de tout le Maroc, exception faite de l’armée chérifienne. L’effet est immédiat sur les tribus voisines. Les Glaoui étendent leurs possessions en menant leurs propres harkas dans le sud. Et “partout où le canon de bronze entrait en action, il y avait des châteaux détruits et des têtes coupées. Dans certains cas, la simple menace du canon ou d’autres armes secrètes dont on soupçonnait l’existence dans l’arsenal de Telouet suffisait à assurer la soumission d’un ennemi puissant”, raconte Gavin Maxwell. Seigneur de guerre A coup sûr, le canon offert par Moulay Hassan est le petit plus qu’attendaient les Glaoui. Cette arme destructrice leur permet de consolider leur position privilégiée parmi les caïds de l’Atlas. Ils avaient déjà du poids parmi cette confrérie de dominants, puisque leur fortune n’était pas bâtie uniquement sur le pillage. Ils possédaient une mine de sel prospère et accueillaient les caravanes de dromadaires en provenance du Sahara, du Soudan, de Mauritanie, de l’intérieur du Maroc et des grandes oasis du désert. La demande en sel étant plus forte que l’offre, les Glaoui s’offraient le luxe d’augmenter le prix du sel et la taxe sur les caravanes à leur guise. Une famille riche en somme, en possession du nerf de la guerre, à qui il ne manquait que la puissance des armes pour faire la différence et accentuer leur pouvoir. Avant le canon Krupp offert par Moulay Hassan, les Glaoui ne pouvaient rassembler que 2 à 3000 guerriers montés. Le cadeau royal leur donne une autre stature. Thami El Glaoui est adoubé en 1901 lieutenant de son frère aîné Madani. Ce dernier lui confie la charge sensible de prendre la dernière forteresse refusant la domination totale des Glaoui sur le sud du Maroc. Agé d’à peine 21 ans, Thami part à la tête de 2000 hommes à l’assaut de la dernière poche de résistance. Il fait tirer 30 salves contre la forteresse en dissidence et, au passage, fait couper plusieurs têtes, exaspéré par la résistance qu’on lui oppose. On pourrait juger cette série de décapitations comme un signe de cruauté chez Thami, mais à l’aune des mœurs guerrières de l’époque, il faut la relativiser, juge Gavin Maxwell. Thami El Glaoui, en tant que seigneur de guerre, ne doit faire preuve d’aucune pitié, au risque de passer pour faible aux yeux de ses opposants. Durant le règne du sultan Moulay Abdelaziz, successeur de Moulay Hassan, Madani et Thami El Glaoui décident en 1902 de se rappeler au bon souvenir du Makhzen en participant à la harka contre Bou Hmara, qui s’est autoproclamé sultan à la place du sultan. Les guerres de répression et de consolidation de leur pouvoir avaient entraîné les Glaoui loin au sud et à l’est de l’Atlas. “Beaucoup trop loin du trône” pour qu’ils puissent recevoir leur “juste part des faveurs impériales”, souligne Gavin Maxwell. La campagne des Glaoui contre Bou Hmara se solde par un échec militaire, mais ils marquent le coup en montrant leur fidélité au sultan régnant. Courtisans armés Madani et Thami El Glaoui jugent cependant l’accueil de Moulay Abdelaziz glacial à Fès, à l’aune des sacrifices faits pour consolider son trône. En tous les cas, loin du faste qu’ils pensent leur être dû, vu leur puissance au sud du royaume. Frustrés dans leurs ambitions, Madani et Thami sont convaincus qu’il faut déposer le sultan Moulay Abdelaziz. Les deux frères se savent en position de force, d’autant que le sultan régnant est en partie ruiné à cause de ses dépenses extravagantes en jouets et gadgets occidentaux. L’époque des “commis voyageurs”, expression de l’époque pour définir tous les marchands plaçant au prix fort leurs gadgets auprès du sultan, bat son plein. Eux, de leur côté, se sont enrichis, alors que, croulant sous les emprunts étrangers, Moulay Abdelaziz a hypothéqué son trône. Madani décide alors de jouer la carte Moulay Hafid, frère aîné du sultan régnant, qu’il soutient dans sa prise du trône. En novembre 1907, Madani El Glaoui et Moulay Hafid marchent sur Fès à la tête de 40 000 guerriers sous les ordres du Glaoui. Moulay Abdelaziz accepte sa défaite et se retire à Tanger. L’empire des Glaoui est désormais établi. “Il y avait tout juste quatorze ans que le sultan Moulay Hassan, peu de temps avant sa mort, était passé par Telouet et avait fait don d’un canon de bronze à un chef de tribu insignifiant”, souligne Gavin Maxwell. Or, le chef de tribu insignifiant était devenu en moins d’une génération ministre de la guerre, puis grand vizir de Moulay Hafid. “Ce dernier titre faisait de lui un véritable dictateur administratif, qui gouvernait tout le Maroc au nom du nouveau sultan”, assène Gavin Maxwell. Madani El Glaoui assure son pouvoir au sud, pourvoyant tous les postes de caïds en piochant dans les membres de sa famille. Thami El Glaoui, son benjamin, est ainsi nommé pacha de Marrakech, placé au sommet de la hiérarchie au sud du Maroc. Le pouvoir des Glaoui, concrétisé par leurs possessions, s’étend désormais sur un tiers du Maroc. Ce qui n’est pas sans inquiéter Moulay Hafid, qui craint que les deux frères ne décident de fonder leur propre état. Sans doute pour calmer l’ambition des Glaoui, le sultan s’allie maritalement avec eux. Moulay Hafid prend comme première épouse la fille de Madani, qui, de son côté, épouse une fille du souverain. Thami, lui, fait un échange de filles avec El Mokri, ministre des Finances et à la tête d’une des familles les plus puissantes du royaume. Créature de Lyautey Thami El Glaoui participe en chef de file à la pacification du Maroc pour le compte du protectorat. Lyautey, qui instaure une politique des caïds pour conquérir les territoires encore en dissidence, s’appuie largement sur le pouvoir du pacha de Marrakech. Ce dernier mène ainsi plusieurs expéditions pour instaurer l’ordre français dans le Moyen-Draâ, le Dadès et le Todgha entre autres. A la mort de Madani, son frère aîné, en 1918, Thami El Glaoui se voit récompenser par Lyautey qui l’adoube seul héritier de l’empire Glaoui. Un échange de bons procédés, comme l’explique Yvonne Samama dans son étude sur le pacha de Marrakech : “Si la puissance de Madani était liée au roi auquel il avait fait allégeance, celle de Thami était directement attachée au Protectorat dont il tira un uploads/Histoire/ galoui.pdf
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- Publié le Jui 29, 2022
- Catégorie History / Histoire
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