Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Les

Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Les Chrétiens d’Orient dans l’œuvre de Paul Pelliot Michel Tardieu Citer ce document / Cite this document : Tardieu Michel. Les Chrétiens d’Orient dans l’œuvre de Paul Pelliot. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 152e année, N. 3, 2008. pp. 1141-1157; doi : 10.3406/crai.2008.92335 http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_2008_num_152_3_92335 Document généré le 23/02/2018 COMMUNICATION LES CHRÉTIENS D’ORIENT DANS L’ŒUVRE DE PAUL PELLIOT, PAR M. MICHEL TARDIEU Lorsqu’en 1911 Paul Pelliot est à 33 ans élu professeur au Collège de France, la défi nition de son champ disciplinaire en tant que chaire de « Langues, histoire et archéologie de l’Asie centrale » répondait à une délimitation gagée sur ses explorations des routes et sites du « Turkestan », comme on disait. Cet intitulé de chaire avait aussi pour raison d’être de bien différencier, aux yeux de l’Assemblée du Collège, le domaine de Pelliot de celui de la chaire des études proprement chinoises. La chaire de sinologie avait pour intitulé « Langues et littératures chinoise et tartare-mandchoue » et pour titulaire Édouard Chavannes (1865-1918) qui y avait été élu en 1893, alors qu’il avait 28 ans. Normalien et agrégé de philosophie, se situant à gauche par son engagement pacifi ste et dreyfusard1, Chavannes avait, sur les conseils d’Henri Cordier (1849-1925), délaissé l’étude de la philosophie chinoise pour se consacrer à l’édi- tion des Mémoires historiques (Che Ki) de l’Hérodote chinois, Sima Qian (Sseu-ma Ts’ien)2. Cette édition eut un grand retentissement en Allemagne au début du XXe siècle et contribua au renouvelle- ment des sciences humaines, en servant d’instrument de travail à la réfl exion de Max Weber pour construire son Éthique économique des religions mondiales (1915) et établir les bases sociologiques de 1. Édouard Chavannes participe au groupe de l’Arcouest (commune de Ploubalzanec, près de Paimpol), où se réunissaient pendant l’été professeurs et intellectuels de gauche, physiciens, chimistes, mathématiciens, historiens : voir là-dessus M. Sacquin, « Sorbonne-Plage », Chroniques de la BNF, n° 43, mars-avril 2008, p. 18-19. Cet aspect des choses n’apparaît pas dans la biographie de Chavannes par Henri Cordier, « Édouard Chavannes », Journal Asiatique, 11e série, t. XI, 1918, p. 197-248, internet version numérique par Pierre Palpant, 22 p. Sur les années de formation de Chavannes : A. Foucher, « Chavannes (Édouard) », Annuaire de l’Association amicale de secours des anciens élèves de l’École normale supérieure, 1919, p. 70-74. Sur le parcours et la biographie de Foucher (1865-1952), qui était un peu plus âgé que Pelliot (1878-1945) : A. Fenet, « I. L’œuvre d’Alfred Foucher et d’Eugénie Bazin-Foucher. Bibliographies inédites et commentées. II. Alfred Foucher », dans Bouddhismes d’Asie. Monuments et littératures, P.-S. Filliozat et J. Leclant (éd.), Paris, AIBL-De Boccard, 2009, p. 13-62. 2. Les Mémoires historiques de Se-ma Ts’ien, 5 vol., Paris, Leroux, 1895-1905. Sur cette œuvre, son élaboration et sa distribution : H. Cordier, « Édouard Chavannes », (supra n. 1), p. 4-6 (version numérique). 1142 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS l’État féodal et prébendier3. Les questions conceptuelles et la métho- dologie de ces recherches étaient totalement étrangères à la culture et à la formation de Pelliot. Ce qui dans les travaux de Chavannes est déterminant pour l’orientation des intérêts scientifi ques propres de Pelliot dès lors qu’il devient enseignant de ses propres découvertes archéologiques a été successivement : le mémoire de Chavannes sur le nestorianisme mongol (1897), ses études de turcologie chinoise publiées à St-Pétersbourg (1903) et ses déchiffrements documen- taires insérés dans Ancient Khotan d’Aurel Stein (1907)4. L’inven- taire des manuscrits ramenés de Dunhuang par la mission Pelliot (1908) posait le problème de la rencontre des cultures et des reli- gions en Asie centrale chinoise. Le lien entre cette bibliothèque pluraliste – où à côté de témoins des grandes religions chinoises fi guraient des documents chrétiens, manichéens et islamiques – et, d’autre part, les « Chrétiens d’Orient » – les « nestoriens » de l’historiographie occidentale – qui rédigent en 781 l’inscription syro- chinoise de la stèle de Xi’an reste la fi gure énigmatique de ce « maître de la Loi », Adam (nom chinois : Jingjing). Il s’agit bien d’un « auteur » chrétien. L’inscription lui attribue, en effet, la rédaction de l’exposé théologique de la stèle, et il est l’auteur égale- ment de l’Hymne à la Sainte-Trinité, retrouvé par Pelliot dans la grotte aux manuscrits (Dunhuang, Mogao 17). Mais c’est aussi un « auteur » bouddhiste, dans la mesure où il collabore à la traduction chinoise d’un traité sur les six pâramitâ. La publication d’inédits manichéens chinois, en collaboration avec Édouard Chavannes, ira à son terme5. En revanche, le travail sur le monument nestorien, qu’il 3. Cette étude de Weber, fondée sur les travaux de Chavannes et en particulier l’édition de Sima Qian, est l’objet d’une traduction par Catherine Colliot-Thélène et Jean-Pierre Grossein, accompagnée d’une présentation de J.-P. Grossein, sous le titre de Confucianisme et taoïsme par Max Weber, Paris, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 2000, XXII-377 p. La suite de cette monographie weberienne sur l’analyse du pouvoir « savant » élargie à l’Asie entière est l’étude sur Hindouisme et bouddhisme (1916). Elle est traduite par Isabelle Kalinowski et Roland Lardinois, avec une introduction et des notes des mêmes auteurs, Paris, Flammarion, collection Champs, 2003, 636 p. 4. É. Chavannes, « Le nestorianisme et l’inscription de Kara-balgasoun », Journal Asiatique, xxx (1897), p. 43-85 ; Documents sur les Tou-Kiue (Turcs) occidentaux, St-Pétersbourg, Académie impériale des Sciences, 1903 ; « Notes additionnelles sur les Tou-Kiue », T’oung Pao 5, 1904, p. 1-110 ; A. Stein, Ancient Khotan. Detailed Report of Archeological Explorations in Chinese Turkestan, I-III, Oxford, 1907. Sur l’idéologie qui présida à ces explorations archéologiques de l’Asie centrale et à la compétition internationale des quatre expéditions de Turfan (1902-3, 1904-5, 1906-8, 1913-4) : S. Marchand, German Orientalism in the Age of Empire. Religion, Race and Scholarship, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p. 416-426. 5. É. Chavannes et P. Pelliot, « Un traité manichéen retrouvé en Chine, traduit et annoté », Journal Asiatique, Dixième série, t. 18 (1911), p. 499-617 : nombreuses utilisations de l’inscription de Xi’an ; p. 581-582 : titres religieux communs aux différentes religions ; « Un traité manichéen LES CHRÉTIENS D’ORIENT DANS L’ŒUVRE DE PAUL PELLIOT 1143 mènera seul immédiatement après la publication du Traité mani- chéen, d’abord en 1913-1914 puis en 1919-1920, restera inachevé et non publié de son vivant6. À la veille de la première guerre mondiale, Pelliot envisageait d’écrire un « travail d’ensemble » sur l’expansion de l’Église syro- orientale (nestorienne) en Asie centrale et en Chine. « Il formera, disait-il, deux, sinon trois volumes dans les Publications de la Mission Pelliot. Mais la mise au point même de ces volumes sera assez longue »7. Trois décennies plus tard, autrement dit un an avant retrouvé en Chine, traduit et annoté (deuxième partie) », Journal Asiatique, Onzième série, t. 1, n° 1 (janvier-février 1913), p. 99-199 : p. 163-177 : noms des jours de la semaine communs à l’inscription de Xi’an et aux manichéens ; « Un traité manichéen retrouvé en Chine, traduit et annoté (deuxième partie, suite et fi n) », Journal Asiatique, Onzième série, t. 1, n° 2 (mars-avril 1913), p. 261-394. Les recherches sur ce Traité manichéen chinois se sont beaucoup développées depuis le travail pionnier de Chavannes-Pelliot, en particulier en ce qui concerne l’apport des variantes découvertes dans les fragments manichéens iraniens, turcs et coptes. Un excellent status questionis des recherches récentes sur ce Traité est fourni par Antonello Palumbo, « Il rotolo manicheo di Pechino », dans Il manicheismo, III. Il mito e la dottrina. Testi manichei dell’Asia centrale e della Cina, G. Gnoli (éd.), Milano, Fondazione Lorenzo Valla, Arnoldo Mondadori Editore, 2008, p. 295-316. 6. Le travail de Pelliot sur la stèle de Xi’an s’inscrit dans la suite de celui du P. Henri Havret, s.j., La stèle chrétienne de Si-ngan-fou, Troisième partie, Chang-Hai, Imprimerie de la Mission catholique, 1902. Pelliot se réfère à cet ouvrage dans « Deux titres bouddhiques portés par des reli- gieux nestoriens », T’oung Pao 12, 1911, p. 664-670 : titres de religieux communs aux boud dhistes, aux manichéens et aux nestoriens. Ce dernier article du T’oung Pao 1911 est mentionné aussi dans Chavannes et Pelliot, « Un traité manichéen retrouvé en Chine, traduit et annoté (deuxième partie) », Journal Asiatique, Onzième série, t. 1, n° 1 (janvier-février 1913), [p. 99-199], p. 191, n. 2. – En 1913-1914 aura lieu la mise en chantier par Pelliot de l’étude de l’inscription syro-chinoise de Xi’an. La traduction seule du texte chinois de l’inscription sera publiée d’abord dans : Pelliot, Recherches sur les chrétiens d’Asie centrale et d’Extrême-Orient, II.1 : La stèle de Si-ngan-fou, J. Dauvillier (éd.), Paris, Éditions de la Fondation Singer-Polignac, 1984, p. 43-49. Elle sera rééditée de façon utilisable et complète, avec préliminaires et commentaire, dans : Pelliot, L’inscription nestorienne de Si-ngan-fou, Edited with Supplements by Antonino Forte, Œuvres posthumes de Paul Pelliot, Kyoto, Scuola di Studi sull’Asia Orientale, & Paris, Collège de France, uploads/Histoire/ les-chretiens-d-x27-orient-dans-l-x27-oeuvre-de-paul-pelliot 1 .pdf

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  • Publié le Mai 07, 2021
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