En couverture : soldat blessé de l’infanterie de l’Armée rouge, décembre 1941 ©

En couverture : soldat blessé de l’infanterie de l’Armée rouge, décembre 1941 © AKG Création graphique © In-House, Raphael Jaramillo. Adaptation graphique : un chat au plafond. © Catherine Merridale, 2005. © Librairie Arthème Fayard, 2012, pour la traduction française. ISBN : 978-2-213-66572-6 À mon père, Philip Merridale Table des matières Couverture Page de titre Page de Copyright Table des matières Introduction : Des histoires de guerre véridiques 1. Marcher d’un pas révolutionnaire 2. Un feu qui se répand à travers le monde 3. On entend battre les ailes du malheur 4. Les horreurs de la guerre 5. Pierre par pierre 6. Un pays dévasté 7. Nous serons frères ! 8. Heureuse, attristée à la fois, et couverte de son sang noir 9. Il fouillera dans les poches des cadavres 10. Remettez la vieille épée au fourreau 11. Nous gardons le souvenir de tout Notes Chronologie des principaux événements I Note à propos des sources Bibliographie sélective Remerciements Index I- Les titres en italiques sont des citations du poème d’Aleksander Blok, Les Scythes, publié dans une traduction anonyme dans la Revue de Genève, 1921. (N.d.T.) Introduction Des histoires de guerre véridiques Il n’y a pas d’ombre à Koursk en juillet. C’est assez remarquable, car cette ville est située sur une des terres les plus fertiles de Russie, le tchernoziom, un sol noir qui s’étend au sud et à l’ouest vers l’intérieur de l’Ukraine. Ici, les peupliers poussent partout où ils trouvent de l’eau, et le long des routes qui conduisent à la ville, le compagnon blanc et la vesce violette montent à hauteur d’épaule. La région est également propice à la culture des légumes, des concombres que les Russes conservent dans du vinaigre avec de l’aneth, des choux, des pommes de terre et des courges. Les vendredis après-midi d’été, les rues se vident rapidement. Les citadins partent pour leurs datchas, ces maisons de bois appréciées par tant de Russes, et un peu partout dans les champs, on aperçoit des femmes penchées au-dessus de leurs arrosoirs. La marée s’inverse les jours de semaine. C’est la campagne qui afflue vers la ville. Il suffit de s’écarter un peu du centre pour rencontrer des vendeurs ambulants qui vantent les qualités de leurs gros cèpes, de leurs tourtes maison, de leurs œufs, de leurs concombres et de leurs pêches. Contournez la cathédrale construite au XIX siècle pour célébrer la victoire de la Russie contre Napoléon, et vous découvrirez des enfants accroupis dans l’herbe, à côté d’un troupeau de chèvres brunes efflanquées. Toute cette luxuriance est bannie de la place centrale. Il y a cent ans, elle était occupée par des bâtiments et des cours plantées de vigne, mais aujourd’hui, le bitume a tout recouvert. Quand j’y suis allée, la chaleur était telle que je n’ai pas eu le courage de compter mes pas – l’équivalent de deux, trois terrains de football ? –, mais une chose est sûre : cette place est hors de proportion avec les immeubles qui la bordent, et plus encore avec les habitants qui vaquent à leurs occupations. Les taxis – des véhicules soviétiques déglingués personnalisés à grand renfort d’icônes, de chapelets et de housses de sièges en fourrure synthétique – se massent à l’extrémité la plus proche de l’hôtel. Toutes les demi- heures, un vieux bus, vacillant sous son propre poids, se dirige pesamment vers e la gare, à plusieurs kilomètres de là. En revanche, tout ce qui vit fuit cet espace vide, inhospitalier. Il n’y a d’arbres que d’un côté, celui où s’ouvre le jardin public, mais ils ne dispensent aucune ombre. Il s’agit de pins bleu-gris, symétriques et épineux au toucher, si raides qu’ils pourraient être en plastique. Ils se dressent au garde-à-vous, car ce sont des plantes soviétiques, celles que l’on retrouve dans tous les lieux publics, dans toutes les villes russes. Cherchez- les près de la statue de Lénine, cherchez-les près du monument commémoratif de la guerre. À Moscou, vous les verrez rassemblés sous les murs rouge sang de la Loubianka. Cette place centrale – qui a conservé le nom de place Rouge – a pris son aspect actuel au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Koursk est tombée aux mains de l’armée allemande en marche à l’automne 1941. Les bâtiments qui n’ont pas été détruits sous l’occupation ont été minés ou criblés de balles pendant la campagne de reconquête de la ville en février 1943. Beaucoup ont été démolis pendant un hiver particulièrement rude où l’on a manqué de combustible et de bois de chauffage. Le Vieux Koursk, un centre provincial qui abritait près de cent vingt mille habitants en 1939, a été presque entièrement rasé et les urbanistes chargés de sa reconstruction n’ont pas cherché à conserver son charme historique. À leurs yeux, la nouvelle place Rouge n’avait pas pour vocation d’être un lieu de loisir pour les habitants – lesquels n’étaient plus très nombreux, de toute manière –, mais de servir de terrain de manœuvre à une armée dont les effectifs dépasseraient toujours ceux de la population de la ville. Dans le courant de l’été 1943, plus d’un million de Soviétiques, hommes et femmes, ont pris part à une série de batailles dans la province de Koursk. Les champs vallonnés qui s’étendent vers l’Ukraine ont été le théâtre de combats où ne se jouaient pas seulement le sort de la Russie, ni même celui de l’Union soviétique, mais l’issue de la guerre européenne. Lorsque cette guerre fut achevée, le cœur de la ville provinciale a été transformé en lieu de cérémonies de dimensions tout aussi monstrueuses. Quels que soient les critères que l’on adopte, cette guerre aura dépassé toute mesure humaine. Les chiffres eux-mêmes sont atterrants. En juin 1941, au début du conflit, près de six millions de soldats, Allemands et Soviétiques, s’apprêtaient à en découdre le long d’une ligne de front qui serpentait sur plus de mille cinq cents kilomètres à travers des marais et des forêts, des dunes littorales et des steppes . Les Soviétiques avaient déjà mobilisé deux millions d’hommes supplémentaires dans les territoires situés beaucoup plus à l’est. Ils en auraient 1 besoin quelques semaines plus tard. Au cours des deux années à venir, au fur et à mesure de l’intensification du conflit, les deux camps lèveraient de nouvelles troupes qui viendraient nourrir des campagnes terrestres affamées de chair et de sang humains. En 1943, le nombre total d’hommes et de femmes engagés dans les combats sur le front est dépassait souvent les onze millions . Les taux de pertes ont été tout aussi ahurissants. En décembre 1941, six mois après le début des hostilités, l’Armée rouge avait perdu quatre millions et demi d’hommes . C’est un massacre qui défie l’imagination. Les témoins ont décrit les champs de bataille comme des paysages d’acier calciné et de cendres. La lumière de l’été finissant se posait sur les formes arrondies de têtes sans vie comme sur des pommes de terre arrachées d’un champ récemment retourné. Les Allemands firent une multitude de prisonniers. Ils n’avaient ni les gardiens, ni même les barbelés nécessaires pour enfermer les deux millions et demi de soldats de l’Armée rouge dont ils s’emparèrent au cours des cinq premiers mois . Une seule campagne, la défense de Kiev, coûta aux Soviétiques près de sept cent mille hommes, morts ou disparus, en l’espace de quelques semaines . À la fin de 1941, presque toute l’armée des années d’avant guerre, les soldats qui avaient partagé l’affolement de ces premières nuits du mois de juin, avait été tuée ou était prisonnière. Et ce processus se répéterait lors de la mobilisation d’une nouvelle génération qui n’enfilerait l’uniforme que pour se faire irrémédiablement massacrer, capturer ou blesser. Au total, l’Armée rouge a été exterminée et renouvelée à deux reprises au moins au cours de cette guerre. Il fallait trouver des officiers – dont les pertes s’élevaient à 35 %, soit environ quatorze fois le taux de pertes, de l’armée tsariste pendant la Première Guerre mondiale – presque aussi rapidement que des hommes . En 1945, les Soviétiques disposaient de lames de rasoir grâce au prêt-bail américain, mais dans la dernière fournée d’adolescents enrôlés dans l’Armée rouge, beaucoup n’en avaient guère besoin. La reddition n’a jamais été envisagée. Bien que les bombardiers britanniques et américains aient continué à pilonner les Allemands, les soldats de l’Armée rouge furent amèrement conscients, dès 1941, d’être la dernière grande force à combattre les armées hitlériennes sur le terrain. Ils espéraient ardemment apprendre que leurs alliés avaient ouvert un second front en France, mais ils continuaient à se battre, sachant qu’ils n’avaient pas le choix. Ce n’était pas une guerre commerciale ni territoriale. Son moteur était l’idéologie, son objectif, l’anéantissement d’un mode de vie. Une défaite aurait entraîné la fin de la 2 3 4 5 6 puissance soviétique, le génocide des Slaves et des Juifs. Mais cette ténacité eut un prix effroyable : le nombre total de vies soviétiques dévorées par la guerre a dépassé les vingt-sept millions. Il s’agissait majoritairement de civils, malheureuses victimes de la uploads/Histoire/ les-guerriers-du-froid-vie-et-mort-des-soldats-de-l-x27-armee-rouge-1939-1945-catherine-merridale.pdf

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  • Publié le Nov 24, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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