Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, octobre 17, 2004. Fr 14.1
Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, octobre 17, 2004. Fr 14.1 Chapitre 14: Le déclin de l'Empire colonial français (1920-1986). Quatre-vingt dix ans d'essor (1830-1920), dix-sept ans de déclin (1945-1962): défaite-éclair? Non, la France a fait "mieux" en juin 1940 — « Braoum! Vraoum! ». Mais peut-être bien revanche accélérée des réalités sur les idéologies: le second Empire colonial français était né en plein âge du libéralisme (économique et politique) et de l'essor des nationalismes; il avait fallu toute la prétention vaniteuse de l'Europe du XIXe et du début du XXe siècle, tout son mépris raciste envers les autres aires culturelles pour ne pas avoir voulu comprendre que le progrès de ces idées était inéluctable même hors du vieux monde, pour que des hommes politiques, des journalistes et des instituteurs "progressistes" eussent accepté de bourrer le crâne aux gens avec des âneries aussi énormes que la mission civilisatrice de la République et "l'Algérie, terre française". Lorsque fut venu le temps de comprendre, la France fit la sourde oreille: il fallut deux terribles guerres perdues, des centaines de milliers de morts pour qu'elle acceptât enfin de faire en Afrique noire ce qu'elle avait refusé de faire en Indochine et en Afrique du nord: décoloniser à froid. Cela fait de la décolonisation l'un des épisodes les moins glorieux de notre Histoire. Il est juste de souligner que l'obstination fut encore plus aveugle en Espagne et au Portugal, guère moins en Belgique et aux Pays-Bas; mais elle fut moindre en Grande-Bretagne — il est vrai que l'on peut accuser cette dernière puissance, une fois convaincue de la vanité de maintenir son Empire, de s'être lavé les mains du destin de ses anciennes colonies, les abandonnant à divers conflits internes dont on sait les conséquences désastreuses à Chypre, en Inde, en Palestine. Ces drames, ces humiliations, la France les a dans l'ensemble oubliés. Le deuil s'est fait sans trop de problèmes, car l'Empire n'occupait une place centrale ni dans notre économie, ni dans nos débats politiques, et car les Français, dès les années 1960, ont pris conscience que le colonialisme était devenu un phénomène anachronique, à l'exception d'un quarteron de nostalgiques (parodiés par le chanteur Michel Sardou dans Le bon vieux temps des colonies, chanson des annnées 19701). Il y a cependant une exception: la blessure algérienne ne s'est pas encore refermée, parce que l'Algérie, c'était censé être la France; parce qu'un million de Pieds-noirs en ont été chassés en 1962 et que beaucoup cultivent encore le traumatisme; parce que cette défaite face à l'islam a été perçue comme particulièrement humiliante; enfin, du fait de la présence en France d'une forte communauté d'origine algérienne, en bonne partie arrivée précisément dans les années de la guerre et dans les premiers temps de l'indépendance, mal acceptée — et qui, dans la guerre civile des années 1990, a eu parfois tendance à régler des conflits algéro-algériens sur le territoire de la France. On a peu parlé de la guerre d'Algérie jusqu'à la fin des années 19902; on n'en a même pratiquement pas parlé durant les années 1960 et 1970. Mais ce refoulement cachait une grande douleur et une grande amertume. Dans ce chapitre je traiterai le déclin de l'Empire colonial français d'un point de vue strictement interne à l'Empire; les conséquences sur la vie politique métropolitaine, notamment sur le destin de la France libre et celui de la IVe République, ont été ou seront traitées dans les chapitres 13, 15 et 16. I-La sourde oreille (de 1920 aux lendemains de la sconde guerre mondiale). A) L'entre-deux-guerres. Cette période représente l'apogée de l'Empire colonial français. Ce fut alors, de 1920 à 1943, qu'il atteignit sa plus grande extension territoriale, avec l'intégration d'anciennes colonies allemandes (le Cameroun3, le Togo) et d'un morceau d'Empire ottoman, la Syrie et le Liban4. Deuxième du monde après l'Empire britannique, il regroupait 1 « Moi monsieur j'ai fait la colo / Dakar Conakry Bamako / Moi monsieur j'ai eu la belle vie / Au temps béni des colonies / Les guerriers m'appelaient grand chef / Au temps glorieux de l'A.O.F. / J'avais des ficelles au képi / Au temps béni des colonies // Pour moi monsieur rien n'égalait / Les tirailleurs sénégalais / Qui mouraient tous pour la patrie / Au temps béni des colonies / Autrefois à Colomb-Béchar / J'avais plein de serviteurs noirs / Et quatre filles dans mon lit / Au temps béni des colonies // Moi monsieur j'ai tué des panthères / À Tombouctou sur le Niger / Et des hippos dans l'Oubangui / Au temps béni des colonies / Entre le gin et le tennis / Les réseptions et le pastis / On se serait crus au Paradis / Au temps béni des colonies » 2 Les anciens combattants, en particulier, ont eu du mal et de la peine à en parler; ils avaient honte de cette guerre inutile et cruelle qu'on leur avait fait mener, même lorsqu'ils avaient essayé de la faire le plus proprement possible. Ce n'est que vers 2000 que des témoignages ont commencé à apparaître en masse. 3 Enfin, la plus grande partie: une bande à l'ouest fut rattachée au Nigéria, colonie du Royaume-Uni. Les deux Camerouns furent partiellement réunifiés en 1961, une partie du Cameroun britannique choisissant quand même de rester nigérian. Cet héritage explique pourquoi le Cameroun est aujourd'hui un pays bilingue. 4 La France eut du mal à en prendre le contrôle effectif: il fallut affonter le royaume que venait de fonder Fayçal, le frère de Hussein, le fameux chérif de la Mecque chassé par Ibn Al-Saoud et que les Britanniques avaient installé à Amman (voyez le cours de Relations internationales, à la fiche A3). En mars 1920, un congrès de la Grande- Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, octobre 17, 2004. Fr 14.2 quatre-vingt millions d'habitants (on parlait lyriquement de "la France de cent millions d'habitants", de "la plus grande France"). Il devint le premier partenaire commercial de la France en 1928; vers 1930 il absorbait le sixième des exportations et le tiers des investissements extérieurs (dont les deux tiers pour l'Algérie et la Tunisie, et 10% pour l'Indochine). Les exportations à destination de l'Empire colonial triplèrent dans les années 1920 (il s'agissait essentiellement de produits des industries anciennes, les plus routinières et les moins capitalistiques, aux débouchés déclinants en métropole: textiles, sucre, peaux, etc.); et les importations augmentèrent de moitié (il s'agissait surtout de vin, de céréales, d'oléagineux, de minerais). Bref, dès les années 1920 on assista à un repli progressif de la France sur son Empire, repli qui contribuait à la survie des pans les plus archaïques de l'économie métropolitaine. Ce qui n'empêchait point que l'Empire demeurât sous-investi, sous-exploité; en particulier, il ne s'industrialisait que très lentement. La France n'y tenait pas vraiment, malgré diverses proclamations et esquisses de plans en ce sens dans les années 1930: il y avait danger de concurrence pour nos industries, et d'apparition aux colonies d'un prolétariat incontrôlable. Ainsi il y avait une seule cimenterie en Indochine, aucune en A.E.F. L'essentiel, c'étaient l'égriculture et les activités d'extraction. Le vignoble dominait toujours plus l'économie de l'Algérie: les coûts y étaient deux fois moins élevés qu'au nord de la Méditerranée du fait de l'exploitation éhontée de la main-d'œuvre indigène; mais il fut durement touché par les mesures restrictives prises durant la crise des années 1930 (arrachage de plants, etc.). L'Algérie produisait aussi pas mal de phosphates et du fer. En Indochine les cultures de plantation connurent un essor rapide, surtout le café, le thé et l'hévéa, un arbre originaire d'Amazonie introduit au début du siècle et cultivé exclusivement dans de grandes plantations; ainsi que la filière agroalimentaire qui leur était liée. Mais le plus spectaculaire fut le boom minier du Tonkin — la production d'étain fut multipliée par huit, celle de houille par quatre, celle de zinc explosa; Saïgon devint le septième port français! Les capitaux étaient français, les machines étaient importées de France (à un prix élevé à cause d'un régime douanier défavorable), mais les minéraux extraits prenaient le chemin du Japon. Dans les autres régions de l'Empire les progrès de l'économie moderne étaient bien plus lents; en Afrique noire, l'essentiel de l'activité "moderne" était constitué par la traite des produits locaux en échange de produits de consommation importés à prix d'or1. L'Indochine fut la première région de France à être touchée par la crise, dès 1930: l'économie (tout au moins la partie monétarisée de celle-ci) était bien plus extravertie que celle de la métropole, car elle reposait essentiellement sur des exportations de produits bruts à destination du Japon, et la consommation locale était très faible. En 1931, les problèmes de l'agriculture de subsistance aidant (la pression démographique augmentait très vite et les techniques rizicoles ne suivaient pas), la famine régnait en Annam… Le Maroc fut très touché aussi, ainsi que l'A.E.F., ouverte au commerce des puissances étrangères en vertu d'accords remontant à la conférence de Berlin en 1884. En revanche l'Algérie, la Tunisie et les Antilles, soumises au régime douanier de la métropole, échappèrent uploads/Histoire/ france-14-decolonisation.pdf
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- Publié le Mar 12, 2022
- Catégorie History / Histoire
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