241 Cognitio, São Paulo, v. 11, n. 2, p. 241-256, jul./dez. 2010 De l’Image et

241 Cognitio, São Paulo, v. 11, n. 2, p. 241-256, jul./dez. 2010 De l’Image et du Signe: Aby Warburg sur la Production Symbolique On Image and Sign: Aby Warburg about Symbolic Production Claude Imbert Département de philosophie École Normale Superieure - France claude.imbert@ens.fr Résumé: La sémiotique de Peirce et sa contribution au pragmatisme sont re- connues. Mais la réputation de Warburg fut trop longtemps limitée à l’histoire de l’art et particulièrement à la renaissance florentine. On se propose de montrer que Peirce et Warburg ont partagé une même question au tournant du XXème siècle. L’un et l’autre ont interrogé le processus symbolique dont dépend tout savoir. L’enjeu était de comprendre la production de l’intelligible par des moyens sophistiqués et spécifiques relevant de données cognitives et anthropologiques. Une fois confirmée cette affinité entre Peirce et Warburg, on gagnera un nouveau regard sur un incessant procès de modernité. Une autre notion de l’action (agency) éclaire ce que le tournant linguistique, puis le tournant de l’image, ont relevé sans l’expliquer. Telle serait une solide réponse opposable à ceux qui désarment face l’argument péremptoire de la technologie. Termes-clés: Médiation symbolique. Image. Signe. Syntaxe figurative. Anthro- pologie de l’image. Pragmatisme. Construction de l’intelligible. Renaissance et modernité. Pathos formel. Violence sacrificielle. Abstract: Peirce’s semiotics and his contribution to pragmatism are well known. Warburg’s fame, however, has been for long limited to the history of art and the Fiorentin Renaissance. Our argument is that they shared a common concern at the turn of the 20th century. Both questioned the symbolic process at the foundation of all knowledge. Their common stake was to understand the production of intelligibility through sophisticated and specific means, drawing evidence from both cognitive and anthropological data. Once such affinity is verified, we get a new insight into an ongoing process of modernity. Another conception of action (agency) clarifies what the linguistic turn, first, and then the imagetic turn, have tried to explain but failed to do so. This would be a sound response to those who are disarmed by the peremptory argument of technology. Keywords: Symbolic mediation. Image. Sign. Imagetic syntax. Visual anthropo- logy. Pragmatism. Production of intelligibility. Renaissance and modernity. Pathos formel. Violence of the sacrifice. Linguistic turn, Iconic turn, ces nouveaux intérêts se sont imposés successivement comme les conséquences factuelles d’une modernité déterminée par des avancées 242 Cognitio, São Paulo, v. 11, n. 2, p. 241-256, jul./dez. 2010 Cognitio: Revista de Filosofia technologiques, s’ils n’en étaient la dérive médiatique. Il serait plus juste de rap- porter ces faits, pour épars et récents qu’ils se donnent, à une conscience accrue et méditée des procédures symboliques inhérentes à tout savoir. Indépendamment, et cependant presque contemporains, Charles Peirce aux Etats – Unis et Aby Warburg en Allemagne en avaient fait dans les premières décennies du XXème siècle la ma- tière d’un savoir neuf. La sémiotique de Peirce, instrument de sa pragmatique, est mieux connue, liée qu’elle fut à une réflexion sur le langage et la production mathématique. De Warburg on connaissait une histoire de l’art hétérodoxe. La première intention de cet article est de lever cette limite disciplinaire. Les deux œuvres illustrent une double précau- tion épistémologique qui les met en parallèle: tout savoir monnaie diversement le réalisme dont il s’autorise, et l’image (en quelque sens qu’on l’entende) apporte son complément aux diagrammes mathématiques, ou syntagmes linguistiques, les plus performants. En conséquence, aucun formalisme, aucune analytique n’en peuvent réduire la diversité. Aby Warburg fut longtemps apprécié comme historien de l’art. Il est vrai que les textes publiés de son vivant, ou réunis par ses disciples dans les dernières an- nées 1930, concernaient majoritairement la Renaissance italienne et sa rencontre avec la peinture flamande. On a également loué son rôle dans la création de lieux de recherche qui, unissant les intérêts de l’histoire et les ressources documentaires, ont servi les sciences humaines: le Warburg Institute de Londres est ici exemplaire, également le Kunst historisches Institut de Florence que Warburg soutint de diverses manières. Mais ni la ligne historique, ni un projet bibliothécaire – aussi pertinents qu’ils aient été – ne suffisent à capter l’essentiel d’une intention et d’un travail dont on prend tout juste la mesure. On a longtemps hésité à reconnaître ce qui échappe à l’érudition de l’historien et se distribue sous des formes inédites. Le plus pénétrant de ses premiers lecteurs, Robert Klein (1970), a parlé d’une encore non identifiée. “Une science, à l’inverse de tant d’autres, existe mais n’a pas de nom et repose essentiel- lement sur l’étude des croyances scientifiques, parascientifiques et religieuses, et de leurs expressions symboliques et artistiques.” (Introduction). Warburg avait en effet pris en charge une question apparue un peu partout au tournant du XXème siècle, mais encore formulée en des termes déjà archaïques: qu’en est-il de l’image ou du signe? Il fallut penser à contre-courant pour les agréger aux procédures du réalisme, bien qu’elles s’y montrent sous des appareil graphiques sans commune mesure et franchement disparates. Prise entre son énoncé le plus général et les états les plus divers, une activité symbolique imposait sa trame, d’autant plus troublante qu’il s’avérait impossible d’y échapper, d’imaginer une activité de pensée sans ses figures explicites. Non réductible, par analyse ou traduction, à une quelconque transparence, doublant avec insolence toutes les demandes de fonde- ment ou d’origine, portée par sa propre générativité, par la libéralité de ses usages potentiels, elle était repérable dans ses transformations et toujours en en quête de ses raisons d’être. Les écrits de Warburg, particulièrement ses derniers manuscrits, abondent en développements où il interroge le statut de l’image (Bild) et son insaisissable rela- tion au signe (Zeichen), en quête d’un alphabet du visible, de ses formules (Pathos formel), et en quelque sorte de sa diplomatie. D’abord singularisée comme une 243 Cognitio, São Paulo, v. 11, n. 2, p. 241-256, jul./dez. 2010 De l’Image et du Signe survivance, ou permanence, de l’ Antique (Nachleben des Antike), l’activité symbo- lique à la Renaissance avait troublé le registre figuratif et philosophique dont elle s’emparait, beaucoup plus que ne l’avait fait la thématique chrétienne qui s’en est plutôt bien accommodé. Warburg s’attache à ces gestes, postures, dédicaces, habits, qui ont habilité la vie civile florentine sous de nouvelles configurations. Suivant cette ligne, ll allait parcourir un champ culturel, géographique et temporel, d’une enver- gure qui a dérouté les historiens de l’art européen. Et s’il ne s’agit plus à vrai dire ni d’images, dont la fonction figurative est éminemment controversée, ni de signes dont on chercherait en vain un référent univoque, il faudra renoncer à une sémiologie de premier ordre. La phénoménologie naturaliste était contestée par l’ approche anthro- pologique d’une histoire qu’elle voulait ignorer1. Sollicité par les nouvelles évidences résultant d’un voyage au Nouveau-Monde, mais aussi par le processus de modernité européen, Warburg s’est attaché à caractériser un espace mental (Denkraum) où le symbolisme impose son épaisseur, déploie ses cohérences intrinsèques et manifeste un travail expérimental de création de l’intelligible. Il se déploie en préalable à toute figure de vérité, là où le réel se négocie dans des livres qui sont eux-mêmes des lieux expérimentaux et des tracés qui ne prétendent pas à la géométrie du monde. La Bibliothèque Warburg a réuni, dans un dessein dont on comprend de mieux en mieux combien il défaisait la pyramide alexandrine des savoirs, une collection de livres et d’images sans précédent, des gravures, des écrits, des diagrammes sous les modes traditionnels de leur première apparition ou, le plus souvent, sous les espèces de la reproduction “technique”. Sa réserve d’intelligence tient à ce que Warburg n’a jamais confondu le support matériel – qui a certes ses exigences et ses capacités propres, avec les syntaxes graphiques ou picturales qui s’y inscrivent, en seraient-elles partiellement infléchies dans leur manière de produire et façonner de l’intelligible. Environ durant les mêmes décennies, Charles S. Peirce instruisait une sémio- tique dont il fut le premier à imposer l’intermède aux philosophes. Un appareil très sophistiqué de niveaux et de catégories articule un champ d’intérêt qui doit inclure la mathématique et ces productions symboliques que l’on dit signes et images. Une sémiotique saisie dans sa productivité donnait son sens le plus fondamental au prag- matisme. Aujourd’hui, on y associe plutôt qu’on y oppose le concept d’agency, dont Alfred Gell fut le théoricien, mais tout autant l’économiste Amartya Sen2. On touche alors à une efficacité et une transaction, qui recueillent et prolongent le champ des intérêts de Peirce, déportent la magie sur ses délinéations manifestes, ou redéploient les formules de l’échange et de la monnaie sur des configurations symboliques qui les articulent – bien ou mal. Pour mettre en relation la magie (tenue pour ésotérique et adhérente à ses gestes) et la monnaie, tenue pour une opération antithétique de la précédente, arithmétisable, et comptable, il faut admettre entre le savoir et l’action une médiation infiniment plus élaborée que ne le conçoit une technique, ou une éthique, de la décision. Ici, il ne s’agit pas de justesse ou d’erreur, de protestation ou 1 On a suivi ailleurs la constitution, le maintien et l’obsolescence de uploads/Histoire/ aby-warburg-production-symbolique-pdf 1 .pdf

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  • Publié le Jul 05, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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