Débats, méthodes et terrains d’histoire 01 | 2010 Les chemins de l’identité en
Débats, méthodes et terrains d’histoire 01 | 2010 Les chemins de l’identité en Afrique du XVe au XXe siècle Constructions identitaires Les Oromo à la conquête du trône du roi des rois (XVIe- XVIIIe siècle) DIMITRI TOUBKIS https://doi.org/10.4000/afriques.470 Résumés Français English Selon les textes historiques royaux, l’opposition souvent décrite entre les Oromo et la cour éthiopienne, est loin d’être évidente. L’étude des sources montre que, entre la fin du XVIe siècle et la fin du XVIIIe siècle, les relations entre les Oromo et le milieu de la cour ont été construites sur des liens familiaux et des alliances. Ainsi, les Oromo n’étaient pas du tout considérés comme un groupe ethnique, mais plutôt comme groupe politique influent. À ce titre, ils ont pris part au jeu politique du royaume éthiopien. Surtout, ils ne représentaient pas un parti oromo qui luttait pour le pouvoir contre d’autres groupes. Ils ont constitué des forces politiques impliquées dans les différents partis de cour. According to the royal historical texts, the opposition often described between the Oromo and the Ethiopian Court, is far from being obvious. The study of the evidences shows that between the end of the sixteenth century and the end of the eighteenth century the relationships between the Oromo and the Court were built on family links and alliances. Thus the Oromo were not at all considered as an ethnic group but rather as a ruling group. As such they took part in the political game of the Ethiopian Kingdom. Above all they did not represent an Oromo party struggling for power against other groups. They were political forces implied in different court parties. Entrées d’index Mots-clés : lignage, Oromo, royauté, stratégies matrimoniales Keywords: Ethiopia, Gondar, kingship, lineage, matrimonial strategies, Oromo Géographique : Éthiopie, Gondar Tout OpenEdition Les Oromo à la conquête du trône du roi des rois (XVIe-XVIIIe siècle) https://journals.openedition.org/afriques/470 1 sur 17 19/01/2021 à 15:25 Texte intégral Faire face aux « Galla » C’est ainsi qu’il mit son pays à l’abri des massacres des Galla, et si ceux-ci firent encore des incursions, ce ne fut pas ouvertement, mais comme des voleurs qui s’introduisent avec effraction dans une maison à l’insu de son maître9. Lorsque Michel Perret identifia un « parti galla1 » parmi les forces politiques en présence à Gondar2 en 1769, celui-ci était à la fois la résultante d’une histoire longue de deux siècles et d’une histoire plus récente : celle de la politique matrimoniale de la reine-mère Mentewwāb3. Éloi Ficquet inscrivit sa démarche dans cette voie mais laissa dans l’ombre une part importante du « hors champs » de la photographie prise par M. Perret de la situation politique à Gondar à la fin du XVIIIe siècle. Il entendait montrer, dans le temps court des années 1720-1770, que des Oromo du groupe Wallo contribuèrent au déclenchement d’une crise politique profonde par « infiltration » de la dynastie royale. Il en retraçait le processus et le voyait culminer lors de l’avènement de Iyo’ās, en 1755, dont la mère était oromo. Néanmoins, l’auteur y percevait déjà un phénomène de longue durée, résultat des relations de pouvoir complexes entre « le royaume éthiopien et ses périphéries4 ». Donald Crummey a perçu également une lente assimilation des groupes oromo aux Amharā, jusqu’au moment où les Oromo constituèrent des groupes dirigeants, en perpétuelle interaction avec les Amharā notamment (ce en quoi M. Perret le rejoint). Pour lui, l’appartenance ethnique n’a pas joué un grand rôle dans les conflits nobiliaires des années 1760 et il montre que cette idée vient d’une lecture trop confiante de James Bruce dont les relations sont souvent romancées au moyen d’opérateurs dramatiques tels que, justement, les sentiments anti-galla des Amharā5. Partant de là, je verserai ici quelques pièces supplémentaires au dossier permettant de remettre en question cette conception « ethniciste » des relations entre Oromo et Amharā. Relire les histoires officielles6 des rois permet de saisir la lente pénétration des Oromo au sein de la cour royale. De l’ennemi irréductible qu’il faut éradiquer de son territoire, ils deviennent peu à peu de véritables acteurs de l’histoire royale, dans les faits et dans les textes. Relire James Bruce permet également de mesurer l’intérêt de son regard venu d’ailleurs sur un renversement de pouvoir à Gondar à la fin du XVIIIe siècle. Ainsi nous verrons comment, de la conjugaison de différents modes de relation entre les Oromo et la royauté chrétienne se dégage, à la fin du XVIIIe siècle, un tableau politique de la cour dans lequel les groupes dits « galla » et « amharā » se mêlent à l’intérieur de groupes familiaux et de réseaux d’alliances. Les Oromo apparaissent alors comme une réelle force sociale et politique à laquelle s’allie la royauté mais dont elle peut aussi devenir la proie, selon le jeu structurel de la course au leadership propre à la royauté gondarienne. Ces quelques réflexions prolongent donc aussi celles de Michel Perret pour qui cette royauté « n’était pas une monarchie absolue, moins encore un système centralisé : plutôt une polyarchie hiérarchisée », dont cette fameuse « crise » de la fin du siècle révèle le fragile équilibre7. 1 L’histoire du roi Galāwdēwos (1540-1559), composée au début du règne de Minās (1559-1563), évoque à quelques reprises des affrontements entre le roi et les « Galla ». Nous y apprenons que, sauf sur ses marges8, le royaume restait en paix et le roi sortait toujours victorieux des combats contre ces « Galla » qui ne respectaient pas les règles de la guerre : 2 L’auteur stigmatise la façon différente que les Oromo avaient de faire la guerre et de mener les combats. À des batailles sur des champs ouverts, en des jours convenus, ils préféraient les incursions brèves et rapides dans le territoire chrétien, suivies 3 Les Oromo à la conquête du trône du roi des rois (XVIe-XVIIIe siècle) https://journals.openedition.org/afriques/470 2 sur 17 19/01/2021 à 15:25 Depuis la sortie des Galla, personne, parmi les chrétiens ou les musulmans, ne fit une chose si redoutable pour déraciner à jamais les Galla12. La terre devint trop étroite pour les Galla ; ils ne trouvèrent plus où se sauver ; on arracha comme des feuilles ceux qui furent trouvés sur le champ de bataille ; on fit sortir et on tua ceux qui s’étaient cachés dans les fossés ou sous les arbres13. Bārhey écrit une histoire des « Galla » à la cour du roi chrétien J’ai commencé à écrire l’histoire des Galla pour faire connaître le nombre de leurs tribus, leur empressement à tuer les hommes et la brutalité de leurs mœurs16. d’une retraite tout aussi rapide. Bien que les occurrences concernant les « Galla » soient finalement assez peu nombreuses dans ce texte, nous sentons y poindre la menace guerrière qu’ils faisaient peser et la difficulté du roi à y riposter. Le texte insiste : le roi devait protéger ses villes contre les « Galla », en construire d’autres pour servir de refuges aux « croyants » par eux précipités sur les routes10. Au milieu du XVIe siècle, la force des Oromo dans les combats semble déjà menacer la stabilité du pouvoir du neguśa nagaśt (roi des rois). Pourtant, l’auteur de sa chronique n’a pas retenu ce sujet parmi les principaux : son propos était ailleurs11. Il insiste sur une altérité forte des « Galla », tout en les contenant aux confins du royaume et aux marges de son histoire. Dans l’histoire du roi Śarṣa Dengel (1563-1597), composée à la fin du XVIe siècle, la figure du roi victorieux des « Galla peureux » domine largement. Si le roi des rois doit faire front contre des assauts incessants, son historiographe insiste sur l’éradication systématique des « Galla » des régions où ils s’étaient installés. C’est là, sans doute, la raison pour laquelle ce texte a souvent permis d’avancer l’idée que ce roi avait emporté des victoires décisives sur les Oromo. Nous ne disposons pourtant que de peu d’autres éléments de vérification et d’aucun autre point de vue face à des formules pleines d’emphase telles que celle-ci : 4 Dans le même texte le terme d’une bataille victorieuse contre les Galla est ainsi relatée : 5 Ennemis d’abord, les « Galla » sont à présent de simples proies : le roi devient « un chasseur » poursuivant ces « fauves14 ». Pourtant, ce que l’on voit poindre des réalités du temps contredit largement cette version officielle et univoque de l’histoire. 6 À la fin du XVIe siècle, un certain Bāhrey15, moine qui rejoignit le clergé du roi Śarṣa Dengel, propose à sa cour de mieux connaître les « Galla » pour mieux les combattre : 7 L’auteur, fermement critique vis-à-vis des chrétiens, fait montre d’une réelle proximité avec les « Galla », voire de sympathie pour eux dont il décrit l’organisation sociale. La zēnā galla, ou Histoire des Galla, débute par une description de l’ensemble des groupes oromo et se poursuit avec l’histoire des guerres successives qui les opposèrent aux rois chrétiens. Le texte révèle un réel souci d’exhaustivité et de uploads/Histoire/ les-oromo-a-la-conquete-du-trone-du-roi-des-rois-xvie-xviiie-siecle.pdf
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- Publié le Jan 17, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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