L'IDEE DE NATION EN AFRIQUE par Papa Ogo Seck Université Paris 10 INTRODUCTION

L'IDEE DE NATION EN AFRIQUE par Papa Ogo Seck Université Paris 10 INTRODUCTION GÉNÉRALE Si les « Nations » sont le résultat de l'Histoire, l'Histoire découle nécessairement d'une éducation transmise par le biais de structures sociales traditionnelles propres à chaque « peuple » ou «ethnie », et plus tard, à chaque ensemble pluri-ethnique qui dans les sociétés modernes se nomment « Nation ». C'est pour cette raison fondamentale qu'il faudrait peut-être comme le préconisait Diderot au XVIIIè siècle « commencer l'étude de l'histoire par celle de sa « Nation »1(), il est cependant à noter que le concept de « Nation » n'est pas sans poser l'idée faire échos bien au delà du continent européen ... Cela dit, l'Afrique a développé ses propres valeurs car il n'y a pas un « peuple sans mémoire collective »2() ; autrement dit chaque peuple a développé ses structures, ses formes de pensée comme d'expression, celles d'organisation sociale, économique, politique et culturelle ... dans le but de maintenir la cohésion sociale. Ces mécanismes de maintien de cette cohésion sont à notre sens tout aussi valables que ceux de l'Etat-nation moderne. Mais l'occasion nous est ici offerte d'analyser un concept primordial dans la vie des sociétés la « Nation » dont l'origine lointaine fait penser à ces ensembles hétéroclites de l'Europe médiévale, mais ce concept a évolué vers des formes d'organisation historiquement développées, ce qui correspond dans notre société dite moderne, à cette forme « unifiée » d'organisation l'Etat-nation, dont il faudra rappeler quelque peu l'origine. La nation sous-tend l'État pour justifier ses actions c'est pour cela qu'il convient de prime abord de préciser le contexte idéologique de l'idée de nation dans l'Afrique moderne. I - LE CONCEPT DE NATION ET LE CONTEXTE IDÉOLOGIQUE AFRICAIN En définissant l'idéologie comme forme d'expression de la pensée dans le but de guider ou de contraindre une communauté plus ou moins vaste, nous pouvons dire que la Nation représente un outil idéologique pour l'Afrique noire moderne. L'Afrique moderne a besoin à chaque contexte de son idéologie politique et sociale d'une théorie sociale pour se structurer, s'épanouir et sauvegarder son unité organique spécifique car l'Afrique est depuis longtemps tiraillée par un grand nombre de courants commerciaux comme idéologiques. Il se pose ainsi le problème de la coexistence entre le courant traditionnel et les apports étrangers. C'est pour cela que le problème se pose d'abord et après tout au niveau moral, au niveau de la conscience. C'est ainsi que l'accession à l'indépendance de nombreux pays africains vers les années 60 a été pour les politologues et anthropologues d'Europe d'Amérique et d'ailleurs, l'occasion de se pencher sur les systèmes de type européen greffés sur des sociétés de traditions toutes différentes. Il y a exploitation politique et donc idéologique du concept de nation dans les jeunes États africains où les gouvernements s'efforcent de susciter la naissance d'un sentiment national, d'une part pour donner une assise idéologique à l'indépendance de l'État, d'autre part pour faire échec à l'effet négatif du tribalisme. Ainsi, beaucoup de dirigeants africains, sous prétexte d'accélérer la « construction nationale », ont en fait systématiquement cultivé et développé une conscience ethnique » ou plus exactement assuré l'hégémonie de leur ethnie, voire de leur clan sur l'ensemble des communautés « nationales » ; empêchant ainsi toute « construction nationale » réaliste, juste et démocratique c'est-à-dire basée sur la liberté et sur l'égalité. Il y a donc des concepts universels en sociologie et en histoire, mais il ne faut pas les confondre avec les traditions historiques propres à chaque continent. C'est ainsi que le concept de « Nation » en Afrique fait face à une réalité toute différente de celle dont il est issu, ce qui parfois embrouille des jeunes États entre plusieurs idéologies et qui dit idéologies dit systèmes de pensée servant à guider les hommes dans le cadre d'une communauté ; ce qui vise donc les fondements même du pouvoir politique. Quand on observe le thème de la « construction nationale » en Afrique noire, ce que la colonisation et la décolonisation ont établi en Afrique noire, ce n'est pas la « Nation » mais « L'État » dit « moderne », avec ses « prétentions rationnelles » comme le dit Yves Person 3(), c'est-à-dire avec son idéologie servant à guider et à justifier l'action de ces communautés de l'Afrique noire moderne. Les « Nations » africaines d'aujourd'hui, créées artificiellement par les puissances étrangères, ne proviennent pas de l'ancienne civilisation africaine et ne répondent pas aux habitudes d'échanges ou au genre de vie africain. Elles ont été créées de toute pièce par l'administration coloniale et ne résistent même pas pour la plupart au contexte économique international... Cependant, les « nations » africaines continuent à se battre séparément chacune dans la voie du progrès, alors que le vrai obstacle à leur développement, l'impérialisme, principalement à son stade néocolonialiste, est en train d'opérer à l'échelle panafricaine. La nation est devenue le terme-clé pour légitimer l'État qui est le royaume sacré de la minorité au pouvoir et pour justifier ses actions dans la plupart des pays d'Afrique. Or, ce n'est pas comme au temps de la Révolution française de 1789 ou sous l'occupation de la France par les Alliés européens entre 1815 et 1818, une nation du peuple et réclamée par lui. Non ! Il s'agit par là, d'une nation d'élites étatiques. A vrai dire « l'Etat-nation » invoqué jusqu'à l'incantation demeure largement dépourvu de substrat sociologique et incapable de supplanter autrement qu'en apparence les puissantes et persistantes solidarités régionales. L'inefficacité flagrante de l'État et l'immobilisme qui en découle paraissent bien, de fait provenir dans une large mesure de l'inadéquation du concept « d'Etat-nation », pivot de l'héritage politique colonial, avec les réalités socio-politiques africaines.4() Avant de parler de « nation » et de d'«État » en Afrique, il convient de rappeler le fait social et l'évolution sémantique de ces mots en Europe, avant de voir dans quelle mesure ils peuvent être étendus, avec une signification universelle, à d'autres systèmes culturels ; ce qui nous conduira à évoquer les traditions propres au continent noir ... II - LA NATION COMME FAIT SOCIAL Nous considérons que la nation (comme l'État) est un fait social car si toute nation a vocation à créer un État, nous verrons que tout État à également vocation à créer une nation. Duguit dans son Manuel de Droit Constitutionnel 5() pense que la nation est un élément de l'État en ce sens que « l'État » est le milieu social où se produit le fait « État ». L'État serait dans cette perspective une sorte de personnification juridique de l'idée même de nation ... Mais inversement il se trouve que dans l'Afrique moderne l'État est le milieu où se produit la « nation » en ce sens que « l'État » est pour les Africains modernes le point de départ de la nation nouvelle. Léopold Sédar Senghor pense même que « l'État c'est l'expression de la nation » mais celle- ci « est surtout le moyen de réaliser l'État ».6() Ainsi y aurait-il une conception purement africaine de la nation (celle de l'Afrique d'hier) et une conception moderne qui est celle que nous connaissons aujourd'hui En effet, si en Europe la « nation » est le point de départ de « l'État, par contre en Afrique, « l'État » issu des Indépendances est le point de départ de la « nation » actuelle dont l'oeuvre n'est d'ailleurs pas totalement achevée en raison de l'existence d'un « micro-nationalisme » naturel (au niveau local ou ethnique) qui prend parfois l'allure d'un véritable ethnocentrisme7() ; en raison aussi de l'effort de « construction nationale » auquel se consacre la plupart des dirigeants africains.8() Comment est apparue l'idée de nation et comment a-t-elle évolué C'est ce que nous allons essayer de rappeler, avant d'aborder la problématique africaine de l'idée de nation. 1 - Naissance de l'idée de « nation » En Europe, il faudrait sans doute remonter au Moyen Âge pour voir apparaître l'idée de « nation », pendant tout le moyen âge en effet, le mot « nation » a un sens très précis, conforme à l'étymologie (nascere) qu'a rappelé Isidore de Séville au VIIè siècle « c'est un groupe d'hommes qui ont et à qui on attribue une origine commune ».9() La nation était donc considérée comme une communauté ethnique c'est-à-dire un groupe composé d'hommes ayant certes une « origine commune » mais aussi fixés autour d'une terre comme la « patria » qui est le pays natal et cette notion s'est maintenue jusqu'au Moyen-Age.10() En France l'idée d'une « nation » dont les membres ont pour patrie le royaume est formulée de bonne heure dans les milieux intellectuels. 11() A la fin du XIIIè siècle, le moine Primat, traduisant en français les Grandes Chroniques de Saint-Denis auxquelles reste attaché le nom de Suger, dit que Thribaut, comte de Champagne, est venu guerroyer avec le Roi Louis V « por le besoing dou roiaume contre le estranges nations ».12 () En 1927, l'Archevêque uploads/Histoire/ livre-papa-ogo-seck.pdf

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  • Publié le Mar 15, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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