Les cahiers de la guerre économique L’intelligence de l’innovation # 3 CONTRIBU

Les cahiers de la guerre économique L’intelligence de l’innovation # 3 CONTRIBUTEURS Pierre Deplanche. Professeur agrégé, Université de Bourgogne. Frédéric Biron. CEA Grenoble. Johan Claire. CEO, Innovation Way. Alice de Casanove. Directrice Culture de l’Innovation, Airbus North America. Benjamin Pelletier. Formateur en management interculturel. Éditorial ......................................................................................................................................5 par Christian Harbulot La normalisation, terrain de jeu des puissances conquérantes . .................................................................10 par Pierre Deplanche et Frédéric Biron Soutien à l’innovation : vers un nouveau paradigme adapté à la dimension systémique de l’innovation ? . ..............30 par Johan Claire Changer les règles du jeu de l’innovation commence par les mots . ...............................................................................50 par Alice de Casanove Prises de recharge des véhicules électriques : autopsie d’une défaite française . ....................................................74 par Benjamin Pelletier Éditorial E n 1991, une réunion fut organisée en face de l’hôtel Matignon au tout début de l’investiture d’Edith Cresson comme Premier Ministre. Des représentants des groupes français de l’industrie chimique eurent l’honnêteté de tenir une forme d’autocritique devant un public convié pour discourir notamment de l’usage de l’information dans la compétition économique. Ils reconnurent qu’ils n’avaient pas su anticiper les manœuvres des groupes concurrents allemands pour imposer leurs normes au niveau européen lors des discussions techniques. Ce témoignage assez rare dans la mesure où il fut exprimé devant un public très diversifié illustrait un échec dans le management de l’information, qui était presque ressenti comme une défaite. Le monde de l’ingénieur aussi créatif soit-il en termes d’innovation n’était pas parvenu à intégrer dans son champ de vision les modes opératoires propres à ce qui allait être défini quelques années plus tard comme une démarche d’intelligence économique. 6 • Les Cahiers de la Guerre Économique Editorial • 7 du ministère de l’Intérieur la lourde tâche de défendre l’industrie française naissante. Ce dernier s’en acquitta notamment en fondant avec les trois Consuls la Société d’encouragement pour l’industrie nationale (SEIN) dont il assura la présidence jusqu’à sa mort en 1832. L’objectif était double : relever le défi britannique dans le domaine technique et industriel en suscitant l’innovation technologique par des concours et des prix, et diffuser le renseignement et l’information récoltée outre-manche dans les manufactures françaises. Cette mémoire opérationnelle a été perdue par la suite et seuls certains secteurs très particuliers comme l’industrie de défense ou le nucléaire militaire ont bénéficié d’une vision stratégique durable et donc d’une mémoire opérationnelle qui associait la capacité d’invention à la nécessité de penser l’affrontement économique avec un adversaire. La prise en compte des stratégies de raccourcis asiatiques Le rattrapage des économies occidentales par le Japon, la Corée du Sud et la Chine a été possible par une pratique du raccourci, c’est-à-dire en assimilant le niveau le plus élevé de la connaissance technique développé par les pays industrialisés occidentaux. En 2020, la Trente ans ont passé. Les stratégies d’influence qui sont menées dans la formalisation de normes sont devenues un mode opératoire très usité pour déclencher un encerclement cognitif par l’amont. En matière de production de normes, l’Union européenne est devenue un terrain de jeu particulièrement actif pour les différentes parties prenantes qu’elles soient intérieures ou extérieures à l’espace européen. La nécessité d’une intelligence de l’innovation Le monde de l’ingénieur a joué un rôle capital dans le formatage des esprits du monde industriel français. Son apport a été décisif et continue de l’être. Excepté sur un point : la prise en compte des confrontations qui jalonnent les problématiques de développement. Il existe peu de séquences de l’histoire de France au cours desquelles cette réalité fut considérée comme un enjeu incontournable. Les conflits de toute nature auxquels durent faire face les pouvoirs issus de la Révolution affaiblirent la France sur le plan économique. Napoléon Bonaparte mit au point un dispositif pour rattraper le retard technique accumulé lors des guerres révolutionnaires. Il confia au chimiste Jean Antoine Chaptal en charge 8 • Les Cahiers de la Guerre Économique confrontation entre la Chine et le reste du monde exige un changement d’attitude dans la manière de penser du monde français de l’ingénieur. La non prise en compte des normes comme une arme de guerre économique affaiblit notre compréhension des autres modes de développement, axés sur la construction de la puissance et la conquête des marchés extérieurs. Conscientes des enjeux évoqués ci-dessus, l’Ecole de guerre économique et l’université de Bourgogne se sont constituées en groupement d’intérêt scientifique (GIS) dont la thématique est l’innovation, la normalisation et l’intelligence économique. Dans les missions définies par le GIS figure l’ouverture en 2021 du Executive MBA N2IE (Normalisation, Innovation et Intelligence Economique) à destination des professionnels des secteurs privé et public. Cette certification unique en France vise à former les salariés aux techniques du lobbying, aux aspects stratégiques de la normalisation comme support à l’innovation et s’adresse tout particulièrement aux formations commerciales, écoles d’ingénieurs et aux innovateurs qui acquerront les compétences indispensables à une participation active dans les sphères de la normalisation internationale. Christian Harbulot La normalisation, terrain de jeu des puissances conquérantes Par Pierre Deplanche1 et Frédéric Biron2 1  Professeur agrégé, Université de Bourgogne. Chef de projet norme ISO 56006 «Management de l’intelligence stratégique». 2 CEA Grenoble. Chargé de mission, soutien à la Gouvernance et appui au Management dans les domaines de la performance organisationnelle et opérationnelle, de la gestion des risques et du contrôle interne, de la compliance dont la conformité anticorruption et de l’intelligence économique. La normalisation, terrain de jeu des puissances conquérantes • 13 D ans un environnement international complexe, l’entreprise doit s’assurer que sa stratégie a intégré anticipation et protection de son patrimoine comme deux ingrédients essentiels qui lui permettront d’assurer sa pérennité. A côté de ces deux leviers et en compléments d’eux, les actions d’influence ont acquis une grande importance dans la plupart des domaines de l’économie dont la normalisation est une composante significative. Elle est reconnue comme l’un des principaux éléments de toute politique publique industrielle et d’innovation. L’apport de la normalisation à la compétitivité industrielle est indiscutable, comme maints ouvrages, rapports et études le montrent. L’influence par la norme apparaît comme l’un des instruments de la compétition économique à laquelle les entreprises françaises devraient se livrer davantage puisque toute action offensive sur l’élaboration de la norme se range parmi les armes stratégiques de la guerre économique. Il est nécessaire ici de rappeler ce qu’est une norme, car sa représentation est la plupart du temps plus ou moins erronée. On a en effet tendance à la percevoir d’abord comme contraignante. Pourtant, la norme doit être comprise comme un ensemble de caractéristiques décrivant et régissant un comportement, un domaine particulier, un produit ou un service, ce qui laisse entrevoir des champs d’application normatifs 14 • Les Cahiers de la Guerre Économique La normalisation, terrain de jeu des puissances conquérantes • 15 extrêmement larges. Participer à l’élaboration de la norme, c’est contribuer à façonner les règles du marché ; c’est produire les nouvelles règles du jeu d’un métier, d’un secteur, d’un mode organisationnel... Mais c’est aussi déterminer les modes de fonctionnement, de régulation et de gouvernance de la société à un niveau international. Cette dimension justifie la nécessité pour les Etats d’être actifs en définissant les stratégies et actions d’influence concertées à mener dans les instances internationales créatrices de normes. L’influence sur les normes est une condition essentielle de la compétitivité des entreprises, de leur développement et de la souveraineté des États. La normalisation est un outil d’intelligence économique, ce qu’ont bien compris en Europe l’Allemagne ou le Royaume-Uni et, au-delà, la Chine, les Etats-Unis et le Japon. Les responsables d’entreprises français n’ont pas toujours bien intégré la valeur de l’influence normative pour leur développement. Cela est d’autant plus dommage que la France possède des compétences reconnues dans de très nombreux domaines technologiques à la pointe de l’innovation. Maîtriser la norme pour plus de compétitivité L’influence par les normes apparaît comme l’un des instruments de la compétition économique à laquelle se livrent les grandes puissances. Les normes comme les régulations internationales ne sont jamais innocentes, notamment car de nombreux acteurs privés contribuent à leur élaboration, en y pesant de tout leur poids. Elles permettent de définir les prescriptions, d’appuyer la diffusion de bonnes pratiques, sont produites pour faciliter la vie quotidienne, pour simplifier les échanges (un langage commun pour un écosystème, entre acteurs d’un même secteur, etc.), pour tenter d’imposer une solution et ainsi créer un nouveau marché, mais aussi pour traiter des faiblesses du marché. Depuis plusieurs décennies, les normes déterminent les modes de fonctionnement et de gouvernance de la société dans l’économique, le social et l’environnemental. Ainsi, les enjeux stratégiques liés à la normalisation deviennent primordiaux aussi bien pour les entreprises que pour les Etats. Nous sommes en 2020 et nous constatons que les politiques publiques françaises d’influence sur la norme sont toujours relativement faibles. Par exemple, si au niveau international, à l’ISO, la présence française dans les secteurs traditionnels est réelle (agriculture, agroalimentaire, …), elle est beaucoup plus anecdotique dans les secteurs nouveaux high tech (information et communication informatique, santé et action sociale, IA, …). Au niveau européen, les chiffres situent la France 16 • Les uploads/Industriel/ cahiers-guerre-economique-n3.pdf

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