Un aliment est un ensemble complexe qui ne résulte pas de la simple juxtapositi

Un aliment est un ensemble complexe qui ne résulte pas de la simple juxtaposition de ses différents constituants. Pour en comprendre la construc- tion et évaluer les interactions mises en jeux, les laboratoires de recherche du départe- ment CEPIA (Caractérisation et élaboration des produits issus de l’agriculture) de l’INRA utilisent des approches appelées d’« ingénierie inverse » (paragraphe 2.2.1) pour déconstruire l’aliment et remonter jusqu’à l’ingrédient puis à la molécule. Dans un contexte de développement durable et de ré-évalua- tion des procédés pour une conception plus écologique des aliments, les qualités nutritionnelles, sanitaires et sensorielles des aliments doivent être conservées. C’est ce double défi que ces équipes doivent relever pour inventer les aliments du XXIe siècle. 1 La mayonnaise, un exemple de la complexité des aliments La mayonnaise (Figure 1), si commune, est un bon exemple de système complexe, à la fois par la multiplicité des molécules qui la composent, Marc Anton et Monique Axelos La construction des aliments : une question de chimie La construction des aliments : une question de chimie par la diversité des interac- tions à différentes échelles et par les dynamiques spatio- temporelles qui s’y déroulent, de l’échelle nanométrique (le milliardième de mètre) à l’aliment dans son ensemble. La physique pour les études structurales, la chimie pour l’étude des réactions, la physico-chimie pour l’étude des procédés et des fonction- nalités, doivent être simul- tanément utilisées pour bien connaître cet aliment et ses évolutions. On pourrait comparer la mayonnaise à une voiture, qu’il suffi t de démonter entièrement en pièces détachées pour voir la complexité de sa compo- sition, et pour comprendre combien les multiples inte- ractions entre les pièces, des plus petites aux plus grandes, chacune ayant sa fonction au sein du montage, contri- buent au fonctionnement Figure 1 Quelle complexité se cache derrière la mayonnaise ? 172 La chimie et l’alimentation Figure 2 Une voiture : un mélange complexe de pièces, telles des molécules chimiques en interaction dynamique, pour le fonctionnement de l’édifi ce. Figure 3 La constitution microscopique de la mayonnaise : un ensemble très organisé dont chaque élément a une fonction précise. du produit fi nal (Figure 2). Par analogie, si nous exami- nons la composition d’une mayonnaise dans un micros- cope, nous identifi erons une phase aqueuse, dans laquelle baignent des protéines (en vert sur la Figure 3), des gout- telettes d’huile (en marron), ainsi qu’un fi lm interfacial qui entoure ces gouttelettes (en orange). L’étude complète de ce système, comme celle des autres produits alimentaires, devra commencer par les ingrédients de la mayonnaise, pour ensuite identifi er les inte- ractions physico-chimiques, et comprendre les fonctions de chacun de ces ingrédients au sein de l’édifi ce. Et enfi n, la mayonnaise n’aura plus de secret pour nous ! Pour tout produit alimentaire, peut être établie une liste indiquant sa valeur nutri- tive et le détail de ses ingré- dients. Prenons la liste des ingrédients d’une mayon- naise du commerce (Figure 4). Elle contient de l’huile, du vinaigre, du citron, du sucre, Figure 4 Composition d’une mayonnaise. 173 La construction des aliments : une question de chimie auxquels ont été ajoutés des émulsifi ants (qui se trouvent dans le jaune d’œuf) et la moutarde, qui permettent à la mayonnaise de « tenir » ; elle contient également divers additifs dont des épaissis- sants comme la gomme xanthane et l’amidon modifi é qui contribuent à sa texture (à propos de la texturation des aliments, voir le Chapitre de M. Desprairies), un colorant, le β-carotène, qui joue aussi le rôle d’antioxydant nécessaire pour une bonne conservation (le Chapitre de S. Guyot traite de la coloration des aliments), ainsi que des ingrédients qui relèvent le goût, comme le sel, le sucre, les épices, le sirop de glucose (la notion de goût est analysée dans le Chapitre de P. Etiévant). Chacun de ces ingrédients a un rôle spécifi que et le tout est mélangé par un procédé thermomécanique qui crée de nombreuses et nouvelles interactions entre les molé- cules. La stabilité d’une mayonnaise ne peut donc s’expliquer par un simple mélange entre de l’eau et de l’huile qui sont pourtant ses principaux constituants. En effet, l’eau et l’huile ne se mélangent pas naturelle- ment, le mélange ne se fait que si une énergie mécanique est apportée (fouet à main, mixer de cuisine ou équipe- ment industriel) ; le mélange génère une suspension de gouttelettes d’huile dans une phase aqueuse (donc une émulsion), mais comme l’énergie de l’état dispersé est supérieure (c’est-à-dire qu’il est moins stable) à celle de l’état non dispersé, le mélange, la mayonnaise, est un système thermodynamique- ment instable. De plus, il faut pouvoir la conserver plusieurs semaines, ce qui introduit la notion de stabilité cinétique, c’est-à-dire une stabilité qui dure dans le temps (Figure 5). 1.2. Les fonctions des ingrédients C’est à l’interface entre la gouttelette d’huile et l’eau que se passent les phénomènes les plus importants : il faut trouver les bons ingrédients c’est-à-dire les bonnes molé- cules qui stabilisent cette émulsion et donc rallongent sa durée de conservation. 1.2.1. Les émulsifi ants Les premiers ingrédients entrant en jeu dans la stabi- lité de la mayonnaise sont les émulsifi ants. Ce sont des molécules dites amphiphiles, c’est-à-dire comportant deux parties (Figure 6) : une « tête polaire » (portant souvent une charge, positive ou négative), qui est soluble dans l’eau, et une « queue hydrophobe » qui se caractérise par une ou plusieurs longues chaînes solubles dans les graisses (l’huile), mais pas dans l’eau. La lécithine (E322) en est un exemple. Le nom de ce lipide dérive du grec Lekithos, qui signifi e jaune d’œuf, car il avait été initialement extrait d’un œuf par le pharmacien, chimiste français Théodore Nicolas Gobley, au milieu du XIXe siècle. Quelle que soit leur taille, les émulsifi ants ont une affi nité pour les deux phases (huile et eau) dans l’émulsion : ils diminuent l’énergie libre présente à l’interface entre 174 La chimie et l’alimentation Figure 5 La mayonnaise est une émulsion d’huile (en jaune) dans de l’eau (en bleu). La création de cet état instable nécessite l’apport d’une énergie thermomécanique (fouet, mixer…). l’huile et l’eau (et diminuent ainsi l’instabilité thermodyna- mique), et ils augmentent la rigidité du fi lm interfacial. La résultante est qu’ils permet- tent à l’émulsion d’être stable pendant toute la durée de sa conservation et jusqu’à sa consommation. En l’absence d’un bon émulsifi ant, lorsque deux gouttes d’huile se percu- tent, si le fi lm interfacial n’est pas suffi samment résistant, les deux gouttes fusionnent en une plus grosse : c’est le processus de la déstabi- lisation : au fi nal, le produit est déphasé ; une couche 175 La construction des aliments : une question de chimie d’huile se forme au-dessus de la mayonnaise, qui devient inconsommable (Figure 7). Le choix des molécules émul- sifi antes est donc très impor- tant pour assurer la formation de fi lms interfaciaux résis- tants et contribuant à faire « tenir » les émulsions. En ce qui concerne la mayon- naise, les émulsifi ants natu- rels qui proviennent de l’ajout de jaune d’œuf sont les LDL (« low density lipoproteins », voir l’Encart « Le cholestérol et ses transporteurs » du Chapitre de M. Barel), qui se présentent sous forme de nano goutte- lettes dont les parois sont un fi lm de phospholipides et d’apoprotéines de faible densité (ce sont des tensioac- tifs comportant une partie protéique et une partie non protéique). Ces gouttelettes (Figure 8) existent naturelle- ment dans le jaune d’œuf : l’intérieur contient une huile constituée de triglycérides et de cholestérol. C’est un bel édifi ce chimique qui montre combien la nature a bien fait les choses ! Figure 6 La lécithine (formule du bas) peut être utilisée comme émulsifi ant dans des préparations telles que la mayonnaise. De par ses propriétés amphiphiles – elle possède une tête polaire (bleu) et une queue hydrophobe (orange) – elle est à la fois soluble dans l’eau (la partie polaire) et dans l’huile (la partie hydrophobe), ce qui lui permet de se positionner à l’interface eau/huile et de former des gouttelettes d’huiles dans l’eau (dessin à droite), ce qu’on appelle une émulsion. Figure 7 Des gouttelettes d’huile fusionnent entre elles et l’émulsion est destabilisée. Tête polaire Queue hydrophobe O O O P O O O N + O O Cette structure procure aux LDL une grande capacité émulsifi ante. Il est en effet possible de l’utiliser pour fabriquer une nouvelle émul- sion qui sera mille fois plus grosse : quand on provoque la fusion de ces gouttelettes avec une interface huile/eau, elles s’étalent et créent ainsi une nouvelle interface, géné- rant la nouvelle émulsion. À la 176 La chimie et l’alimentation Figure 9 Les épaississants ont pour rôle d’empêcher la fusion des gouttelettes d’huile. phospholipides apoprotéines cholestérol triglycérides esters de cholestérol interface air-eau diffusion étalement Protéines-LN 60 nm 2 x 2 μm protéines Protéines-PL 1 2 3 Figure 8 A) Structure du LDL du jaune d’œuf et son rôle dans la constitution du fi lm uploads/Industriel/ chimie-alimentation-171.pdf

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