70 HERMÈS 71, 2015 Bernard Claverie École nationale supérieure de cognitique –
70 HERMÈS 71, 2015 Bernard Claverie École nationale supérieure de cognitique – Bordeaux-INP Gilles Desclaux RACAM Commande, contrôle, communication : gestion cybernétique de systèmes d’information Cybernétique est un terme fondé sur le grec kubernêsis. Au sens propre, c’est l’action de manœuvrer un bateau ; au sens figuré, c’est l’action de diriger, de gouverner, de réagir et donc de contrôler. En fait, si dans son acception actuelle, c’est Norbert Wiener qui a développé la notion, en 1948 dans Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine, le terme avait déjà été utilisé en 1934 par Ampère, pour définir l’art du gouvernement des hommes. Dès sa naissance, la cybernétique est donc marquée du sceau de l’humain, et notamment de l’homme dans des systèmes de régulation que plus tard on définira comme « systèmes complexes ». Dans son ouvrage fondateur, Wiener se réfère à un ensemble de recherches dans plusieurs domaines : mathé- matiques avec la théorie de la prédiction statistique ou celle des séries temporelles, technologies avec le calcul méca- nique ou les télécommunications, biologie, psychologie et sociologie avec la notion de rétrocontrôle appliquée au vivant. En fait, dès le départ – et cela se poursuivra avec les successeurs –, l’enjeu est plus épistémologique qu’instru- mental ; c’est celui de fonder une science, à support mathé- matique, destinée à formaliser, modéliser et comprendre tous les phénomènes qui, d’une manière ou d’une autre, mettent en jeu des mécanismes de traitement de l’infor- mation (Couffignal, 1963). Cependant, au-delà de l’enjeu théorique, réside toute une série de problèmes concrets comme le transport de messages à travers des réseaux de communication, la prédiction des déplacements et le contrôle de poursuite tels qu’on les rencontre dans la défense antiaérienne, ou la régulation homéostatique des systèmes biologiques. Ces problèmes sont directement liés à la technologie et à ses progrès avec l’apparition au xxe siècle de machines d’un nouveau genre : les machines informationnelles. Elles sont dotées de certaines caractéristiques du système nerveux, voire s’inspirent de son fonctionnement, lui- Commande, contrôle, communication : gestion cybernétique de systèmes d’information 71 HERMÈS 71, 2015 même considéré comme étant celui d’une machine vivante (Lapicque, 1946). La cybernétique se réfère à deux notions fondamen- tales : l’information et les machines. Elles sont interdé- pendantes puisque les machines cybernétiques sont celles qui traitent de l’information et l’information est ce que traitent ces machines. Les machines automatiques La définition de ce qu’est une machine a beaucoup évolué, depuis Monge qui parle au début du xixe siècle de « plier la nature », en passant par D’Ocagne et les machines à calculer, qui traitent de l’abstrait, pour aborder leur totale virtualité avec la machine de Turing. Celle-ci est née dans la tête du grand mathématicien anglais et n’existe que sur le papier : c’est une machine théorique. On a donc des machines physiques qui agissent sur le réel, des machines physiques qui traitent de l’immatériel, et des machines purement abstraites. On peut également décrire, dans l’historique des machines, trois périodes. La première est celle des machines mécaniques. Puis vient l’époque des machines énergétiques. La cybernétique apparaît grâce à l’arrivée d’un troisième type : les machines informationnelles. Elle leur doit son existence et leur donnera en retour la théori- sation qui leur permettra de se développer dans l’ensemble des domaines techniques, mais également socio-écono- miques et culturels (Claverie, 2005). Les machines mécaniques sont celles qui effectuent des mouvements physiques, dans certaines conditions, pour un projet défini. Elles servent par exemple à amplifier des forces ou leur appliquer des régularités, des rythmes ou des délais. Elles sont caractérisées par un « compor- tement » dont on peut rendre compte de manière dyna- mique et dont l’évaluation est donnée selon les principes de la « performance système ». Les machines énergétiques, quant à elles, transforment une forme d’énergie en une autre, ou bien la modulent pour lui donner des carac- téristiques ou des formes nouvelles. Elles sont de type moteur pour produire de l’énergie cinétique, ou de type énergie pour fournir une source de puissance destinée à être consommée par les moteurs. Elles mettent en œuvre les principes de la physique : thermodynamique, électro- dynamique, physique atomique, etc. Leur comportement est régulé par des systèmes de « contrôle » adéquats. Les machines informationnelles, elles, utilisent ou trans- forment de l’énergie non pour ses qualités énergétiques potentielles mais pour sa valeur ou sa signification. Elles utilisent généralement l’électricité à qui elles attachent un sens et qu’elles gèrent en réseaux. Elles la transforment, la transportent et la distribuent selon les principes de la théorie de l’information. Leur comportement est égale- ment contrôlé, mais elles permettent, de plus, la « com- mande » et la qualité de la commande des systèmes. Ces machines peuvent être spécifiques de l’une des trois catégories précédentes : grues, treuils ou pendules pour la catégorie des mécaniques ; moteurs, génératrices, réacteurs chimiques ou nucléaires pour les machines énergétiques ; téléphones, radios et télévisions, machines à calculer, de traduction, de jeu, de stratégie ou de décision pour la catégorie informationnelle. Elles présentent parfois des formes mixtes ou même réunissent les trois caractéris- tiques ; on parle alors d’automates ou de machines à com- portement. Ces machines triples sont capables de s’adapter à une situation en la transformant ou en se transformant elles-mêmes. Tels sont les dispositifs stabilisateurs, les machines téléologiques et les robots, regroupés dans une catégorie spécifique. Notamment, les cobots ou robots collaboratifs sont particulièrement représentatifs du bou- clage entre la machine, l’environnement et l’homme qu’ils accompagnent (Claverie et al., 2013). Les machines ou automates présentent une forme de hiérarchie ou d’em- boîtement des qualités des trois niveaux informationnel, énergétique et physique : 1) commande ; 2) contrôle ; et 72 HERMÈS 71, 2015 Bernard Claverie et Gilles Desclaux 3) comportement. C’est ce dispositif d’emboîtement des trois niveaux complémentaires, en relation entre eux, qui permet l’action et la gestion régulée des systèmes. Il constitue la base du modèle formel cybernétique. Les programmes de gestion Gérer un système nécessite donc une machine, réelle ou virtuelle. Trois niveaux de complexité peuvent être décrits. Ils répondent au même principe d’organisation cyberné- tique. Le plus simple est celui des dispositifs stabilisateurs qui assurent la régulation de systèmes comportant plu- sieurs degrés de liberté. Ces automates contrôlent certaines variables qui caractérisent le système, et les maintiennent dans un état d’équilibre prescrit ou modifié en fonc- tion de l’évolution programmée par le dispositif de com- mande (selon l’heure ou selon un choix de l’utilisateur par exemple). On peut citer les homéostats ou les thermostats, dont on donnera un exemple plus bas. En biologie, ce sont les dispositifs physiologiques de régulation tels que ceux du taux des métabolites sanguins qui peuvent également varier dans une fourchette spécifique en fonction de la chronobio- logie ou du comportement de l’animal. Le second niveau est celui des machines téléologiques. Ce sont des dispositifs qui mobilisent un comportement prévu en poursuivant un but spécifique, tout en étant également capables de s’adapter aux variations inattendues d’une situation. Ce sont par exemple des machines de guidage ou, en biologie, des systèmes tels que ceux de l’ajustement du mouvement. Le dernier niveau est celui des automates cybernétiques complexes, parmi les- quels on compte les robots et cobots. Ils sont capables d’un comportement sophistiqué, doté par exemple de capacités de conditionnement, et peuvent évoluer, se transformer et apprendre de nouveaux comportements (Couffignal, 1964). Bien qu’ils soient identifiables, on peut considérer les automates acteurs ou régulateurs comme étant une partie du système global dans lequel ils agissent et avec lequel ils interagissent. On introduit ici la nécessaire définition de système de systèmes (De Laurentis, 2007) dans lequel on peut identifier des éléments d’environnement, le dispositif de commande, les ensembles régulateurs, et des action- neurs qui effectuent sur l’environnement des opérations plus ou moins complexes. Ils ont des caractéristiques automatiques variables dont l’évolution suit des boucles de régulation, de rétroaction et de contrôle, et pour cer- tains d’entre eux un « programme » interne dont ils sont capables de contrôler le maintien, le déroulement et les opérations. Ce programme est une suite d’instructions formelles indiquant des opérations logiques à effectuer dans un ordre déterminé et en fonction d’informations issues de l’environnement ou de la mémoire de l’appareil. Un programme possède donc deux caractéristiques indis- pensables : la mémoire qui lui permet de rester interne à la machine, et la capacité de lire, mettre en œuvre, et enrichir les contenus de cette mémoire. Cette conception structu- rale duale complète celle de l’organisation hiérarchique fonctionnelle décrite précédemment, lui donne sa plasti- cité et ses modalités d’enrichissement (Metayer, 1970). Logique d’information et de communication La notion d’information est centrale en cybernétique. L’information est ce que traitent les machines et qui agit sur le système. Elle y réside sous plusieurs formes, comme objet soumis à des opérations, comme programme, et comme médium d’action et de régulation du système. En ce sens, elle devient à la fois objet et acteur de communication entre la machine (ou l’organisme) et le système, et pour le uploads/Industriel/ commande-controle-communication.pdf
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- Publié le Dec 14, 2021
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