58 Revue de Littérature et d’Esthétique Négro-Africaines LES CONSTANTES ÉCONOMI

58 Revue de Littérature et d’Esthétique Négro-Africaines LES CONSTANTES ÉCONOMICO-ESTHÉTIQUES DU CINÉMA EN CÔTE D’IVOIRE Yahaglin David CAMARA Doctorant Département des Arts Spécialité : Cinéma et Audiovisuel Université Félix Houphouët Boigny Abidjan - Cocody davidyc@ymail.com / yahaglindavidc@gmail.com RÉSUMÉ Les sources de financement sont nombreuses, les moyens de valorisation et les lieux d’exposition multiples, et la forme générale des films, variée. Cependant, toute cette diversité est un arbre qui cache une forêt de difficultés pour avoir accès à des financements. Malgré quelques soubresauts de réalisateurs de la nouvelle génération, le cinéma en Côte d’Ivoire reste sous le diktat des fonds occidentaux qui, jusqu’aujourd’hui, conditionnent la pratique des réalisateurs ivoiriens. L’ascendance, ces dernières années, de financements privés tend à rendre plus autonome les réalisateurs ivoiriens dans leurs décisions créatives, mais le cadre informel dans lequel ils évoluent ne les met pas totalement à l’abri de l’influence des financements publics et occidentaux. Dès lors, l’esthétique générale des films s’en trouve profondément affectée. Cet article analyse les influences des modalités de financement et de diffusion sur l’esthétique générale des films ivoiriens. Mots-clés : Côte d’Ivoire – Cinéma – Économie – Esthétique – Réalisateur - Film ABSTRACT The sources of funding are numerous, the means of valorization and the multiple places of exposure, and the general form of the films, varied. However, all this diversity is a tree that hides a forest of difficulties to access funding. Despite a few ups and downs of directors of the new generation, cinema in Côte d’Ivoire remains under the dictates of Western funds which, until today, condition the practice of Ivorian filmmakers. The ancestry of private financing in recent years tends to make Ivorian filmmakers more autonomous in their creative decisions, but the informal setting in which they operate does not completely protect them from the influence of public and Western funding. . From then on, the general aesthetic of the films is deeply affected. This article analyzes the influences of funding and dissemination methods on the general aesthetics of Ivorian films. Keywords : Côte d’Ivoire – Cinema – Economy – Aesthetics – Director - Film 59 Yahaglin David CAMARA : les constantes économico-esthétiques du cinéma... INTRODUCTION En 2002, Akissi Delta, à la faveur du numérique qui démocratise la pratique cinématographique, réalise sa série Ma famille qui rencontre un succès public. Le succès de cette série sera décisif pour le cinéma en Côte d’Ivoire, car il favorise l’essor d’une génération de jeunes cinéastes ivoiriens. Désignés sous le vocable de « nouvelle génération »1 par le doyen des réalisateurs ivoiriens qu’est Bassori Timité, ces jeunes réalisateurs se distinguent par la manière de mobiliser les financements de leurs films et aussi par la forme générale de ceux-ci. En rupture avec l’ « ancienne génération »2 que l’on situerait entre 1960 et le début des années 2000, ces jeunes réalisateurs conçoivent le cinéma comme un business3. Pour eux, le cinéma est fondamentalement un produit commercial que l’on doit vendre à un public plus large afin de le rentabiliser au maximum. Pour ce faire, ils mettent en place des stratégies de financement et de valorisation de leurs films qui tiennent compte des limites ou des difficultés liées à la production et à la diffusion des films en Côte d’Ivoire. À travers toutes leurs différentes entreprises, ils visent à mettre en place une filière cinématographique spécifiquement ivoirienne, autonome et performante. C’est ce que traduit le propos suivant : C’est un cinéma qui tient compte de nos réalités culturelles, nos réalités financières, nos réalités géographiques et originelles pour faire des films dans lesquels et à travers lesquels les Ivoiriens vont se reconnaître, donc qui va les emmener à repositionner le septième art dans leur quotidien. (G. Kalou, Interviewé par nous-même [Y. D. Camara, Abidjan, Mai 2017). « La nouvelle génération » marque une nouvelle ère dans le cinéma en Côte d’Ivoire en termes de modalité de financement, de valorisation et d’esthétique des films. Avec elle, l’on passe d’un cinéma de subvention qui caractérisait la logique économique des réalisateurs de « l’ancienne génération » à un cinéma à autonomie financière et rentable. Esthétiquement, le « cinéma sans genre ou d’auteur »4 des réalisateurs de « l’ancienne génération » cède la place à un « cinéma 1 Dans son histoire du cinéma ivoirien, Bassori Timité détermine deux générations de réalisateurs en Côte d’Ivoire, l’ancienne et la nouvelle. L’ancienne part de 1961 jusqu’à 2000 avec des réalisateurs qui utili­ saient la pellicule ; la nouvelle arrive à partir des années 2000 grâce au développement du numérique qui va démocratiser la pratique du cinéma. Cf. Conférence sur le thème Le cinéma en Côte d’Ivoire, Abi­ djan, Conseil Economique et Sociale, 2009, p. 15. 2 Bassori Timité, Idem, p. 15. 3 Claude Forest, 2017, « Khady Touré : le cinéma est un busi­ ness. Entretien », Africultures, consulté sur http://africultures. com/kadhy-toure-cinema-business-14112/ le 1 octobre 2019 à 11h 12. 4 « Le cinéma d’auteur a plutôt tendance à explorer la complexité des personnages et à interpréter la réalité, quitte à ce que ce soit au détriment du spectacle. » Confère Henri-Paul Chevrier, 2005, Le lan­ gage du cinéma narratif, Québec, Les 400 coups, pp. 17-18. 60 Revue de Littérature et d’Esthétique Négro-Africaines populaire ou industriel »5 caractérisé par une diversité de genres filmiques. Avec la nouvelle génération, le cinéma en Côte d’Ivoire a donc muté économiquement et esthétiquement. Cela dit, quels sont les éléments qui démontrent cette mutation économique et esthétique symbolisée par « la nouvelle génération » ? Autrement dit, en quoi « la nouvelle génération » se distingue-t-elle de « l’ancienne génération » économiquement et esthétiquement ? Cet article détermine les constantes économiques et esthétiques du cinéma en Côte d’Ivoire en analysant les modalités de financement et de diffusion des films ivoiriens. Il étudie les méthodes de financement des films ivoiriens et les moyens de valorisation qui en découlent, en dégageant les logiques propres à chaque génération de ce cinéma d’un point de vue économique et esthétique. L’étude s’appuie sur des entretiens réalisés avec des acteurs du cinéma en Côte d’Ivoire, particulièrement des réalisateurs, du fait des limites de la documentation sur la question économique du cinéma en Côte d’Ivoire. Cela dit, qu’est-ce qui caractérise « l’ancienne génération » économiquement et esthétiquement ? I- L’ANCIENNE GÉNÉRATION DANS LE CINÉMA IVOIRIEN Le cinéma en Côte d’Ivoire à l’instar des autres cinémas d’Afrique noire francophone est né à la faveur de la coopération française. Plus tard, d’autres fonds et institutions dont l’Union Européenne, l’Agence Culturelle de Coopération Technique qui deviendra après l’Organisation Internationale de la Francophonie, le Centre National du Cinéma de France, etc. participeront activement au financement des films. Toutefois, l’existence de ces fonds a eu l’effet pervers de conduire à un désengagement des autorités des pays bénéficiaires dans la gestion économique de leur cinéma. Le désengagement de l’État a eu pour conséquence de laisser les réalisateurs ivoiriens à la merci de ces institutions. 1- Le réalisateur dans le cinéma ivoirien : l’homme à tout faire Lors d’une conférence sur le cinéma en Côte d’Ivoire, Bassori Timité6 affirmait qu’un film n’est pas l’œuvre d’un seul individu, mais le résultat de plusieurs compétences de domaines divers. Toutefois, la structure économique du cinéma a modifié les logiques de la pratique cinématographique en Côte d’Ivoire. Les frontières entre les circuits de la production, de la distribution et de l’exploitation se brouillent. En plus, c’est une industrie du cinéma où un seul individu, généralement le réalisateur, exécute à la fois la fonction de producteur et de distributeur et veille aussi à l’exploitation de son film. Dans un texte qui analyse le rôle des festivals dans la diffusion des films africains, Denise Époté écrit à propos des réalisateurs africains : « En quête de perpétuel financement, les réalisateurs sont tous aujourd’hui par la force des choses devenus 5 « Le cinéma industriel privilégie, surtout l’action et l’efficacité du suspense, quitte à caricaturer les personnages en bons et en méchants ». Idem, p. 17. 6 Bassori Timité, 2009, Conférence sur le thème Le cinéma en Côte d’Ivoire, Abidjan, Conseil Economique et Sociale, p. 15. 61 Yahaglin David CAMARA : les constantes économico-esthétiques du cinéma... des producteurs »7. En effet, le paysage économique de la filière du cinéma dans les pays d’Afrique noire surtout, qui se caractérise par une quasi-absence de structure de financement nationale, amène les personnes qui veulent faire des films à jouer aussi le rôle de financiers. Comment cela se manifeste-t-il dans la pratique ? Le cinéma en Afrique est une pratique informelle car « à ce jour, aucun État n’a réussi à asseoir une véritable politique de développement de l’industrie cinématographique, malgré de nombreuses déclarations d’intention et quelques tentatives »8. Contrairement aux pays occidentaux qui le conçoivent comme une industrie, comme un moyen de mobilisation de devises et aussi une forme d’expression artistique, le cinéma, à l’instar des autres formes d’art dans la conscience collective africaine, est un accessoire. Dans le contexte ivoirien, cela se traduit par le fait que pendant très longtemps et surtout avec les réalisateurs de « l’ancienne génération uploads/Industriel/ constantes-economico-esthetiques-du-cinema-en-cote-d-x27-ivoire.pdf

  • 32
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager