Critique économique n° 35 • Hiver-Printemps 2017 3 Les nouveaux ressorts de l’i

Critique économique n° 35 • Hiver-Printemps 2017 3 Les nouveaux ressorts de l’industrialisation dans la mondialisation Le cas du Maroc * Résumé Dans cet article, il est fait état de la composante théorique du programme de recherche « Made in Morocco : industrialisation et développement » initié et financé par l’Académie des Sciences et Techniques du Maroc. Elle a pour objet d’analyser les problèmes que rencontre, dans la mondialisation, un pays du Sud qui ne fait pas partie de ceux qui sont qualifiés d’émergents (parce qu’ils s’industrialisent dans ce cadre) lorsqu’il se donne pour objectif politique de réaliser un développement qui ne soit pas seulement économique, mais qui soit aussi social et humain. La prise en compte de la qualité – celle des produits, celle des processus (donc celle du travail) et celle des emplois – est la caractéristique essentielle de cette composante théorique. Le principal concept intermédiaire qu’elle comprend est celui de monde de production. Au regard des analyses classiques en terme de « made in… », il prend la place de celui de secteur. Mots-clés : développement, politique industrielle, institutions, régulation, conventions, marché, entreprises, qualité, innovation. Classification JEL : D23, D24, D4, D61, D62, D63, E02, F63, O01, O03. Abstract This article focuses on the theoretical component of the research program "Made in Morocco: Industrialization and Development" initiated and financed by the Academy of Science and Technology of Morocco. Its objective is to analyse the issues faced through globalization, by a developing country that has not been qualified as emergent beyond the economic context. In this context, qualification as 'emerging' – leads to industrialization, and also focuses on the human and social development. The consideration of quality – that of products (and hence of work) and that of jobs – is the essential feature of this theoretical component. The main intermediary concept it Bernard Billaudot (bernard.billaudot@ wanadoo.fr) Noureddine El Aoufi (noureddine.elaoufi@ gmail.com) * Ce texte est issu du programme de recherche « Made in Morocco : industrialisation et développement », qui bénéficie de l'appui de l'Académie Hassan II des Sciences et Techniques. Bernard Billaudot et Noureddine El Aoufi 4 Critique économique n° 35 • Hiver-printemps 2017 includes is that of the production world. In view of classical analysis in terms of "made in…", it takes the sector's place. Key Words: Development, Industrial Policy, Institutions, Regulation, Conventions, Markets, Firms, Quality, Innovation JEL : D23, D24, D4, D61, D62, D63, E02, F63, O01, O03 On peut affirmer aujourd’hui sans risque d’être démenti que depuis le début du troisième millénaire, des milliards d’individus ont rejoint l’économie mondiale de marché en tant que travailleurs, consommateurs ou investisseurs. De fait, la part des économies non membres de l’OCDE dans la production mondiale s’est fortement accrue. D’après les projections, cette tendance doit se poursuivre. Elle représente un changement structurel d’une importance historique. Ce redéploiement géographique fait suite à d’autres, dont le principal a été le déplacement dans l’entre-deux-guerres du centre de l’économie monde (Braudel, 1979) de l’Europe aux USA. Sa nouveauté, au regard des précédents, est qu’il ne tient pas essentiellement à la montée en puissance d’économies nationales particulières qui rattrapent celles des anciennes nations dominantes et les dépassent. On parle à juste titre de mondialisation économique : tous les pays en développement y participent à des degrés divers, tandis que les grandes entreprises qui en sont les principaux acteurs changent de forme puisqu’elles quittent le statut de firmes multinationales (période fordienne des Trente glorieuses) pour devenir des firmes transnationales (ou globales, si l'on préfère). Cette mondialisation économique a été initiée dans les années 80 par la création d’une OMC libre-échangiste et par le choix, finalement partagé, des Etats des nations développées, qui ont connu la croissance fordienne, de mettre un terme aux restrictions portant antérieurement sur les mouvements de capitaux à l’échelle internationale. C’est un fait institutionnellement acquis au début du XXIe siècle, chaque Etat adaptant de gré ou de force, au Nord comme au Sud, ses propres règles de droit portant sur l’économique à cette nouvelle donne. Il s’agit d’un nouveau contexte pour l’industrialisation des pays en développement. Il s’avère toutefois que, dans ce nouveau contexte, tous les pays du Sud, ou en développement si l'on préfère, n’ont pas enclenché le même processus de développement. En première analyse, on peut distinguer trois groupes de pays, les pays développés (du Nord), les pays dit émergents qui s’industrialisent et les autres. Le Maroc fait partie du troisième groupe, même si la croissance économique qu’il a connue depuis le choix politique, acté en 1998, de jouer le jeu de la mondialisation est sensiblement plus rapide qu’au cours de la décennie antérieure avec une forte contribution des exportations (y compris le tourisme) à la croissance. En effet, cette dernière ne s’est Critique économique n° 35 • Hiver-printemps 2017 5 Les nouveaux ressorts de l’industrialisation dans la mondialisation pas accompagnée d’une progression du poids de l’industrie (en termes d’emploi comme de valeur ajoutée). La progression des importations (hors hydrocarbures), qui est encore plus rapide que celle des exportations, est sans nul doute à mettre en rapport avec ce constat (Piveteau, Askour et Touzani, 2013 ; Billaudot, 2005). Pour les promoteurs de la nouvelle politique engagée en 1998, l’industrialisation n’était pas un but en soi. Ce processus devait permettre un développement qui soit à la fois économique, social et humain. Le programme de recherche « Made in Morocco : industrialisation et développement » a été motivé par ce constat (1). L’objet de cet article est de faire état de la composante théorique de ce programme. Cette dernière est le système des concepts intermédiaires qui a été retenu pour délimiter et comprendre les problèmes que rencontre un pays tel que le Maroc dans le cadre de la mondialisation lorsqu’il s’est donné un objectif ambitieux de développement. Il comprend deux parties. La première présente les bases du programme et la seconde, le système en question. La caractéristique essentielle ce dernier est qu’il prend en compte la qualité, celle des produits, celle des processus (donc celle du travail) et celle des emplois. Le concept intermédiaire qui procède de la mise en rapport de ces trois notions de qualité est celui de monde de production. Il prend la place du concept de secteur qui est central dans les analyses classiques de type made in… pour un pays développé. 1. Les hypothèses théoriques Le programme en question repose, au départ, sur un objectif de développement. Il prend, ensuite, comme donnée la conjecture selon laquelle cet objectif implique la réalisation d’un processus d’industrialisation. Il procède, enfin, de la proposition argumentée selon laquelle la problématique sectorielle qui est classiquement mobilisée pour analyser positivement un tel processus dans un pays développé à l’époque de la mondialisation ne convient pas. 1.1. Un objectif de développement économique, social et humain Le choix d’inscrire le Maroc dans une nouvelle trajectoire de développement a été acté dans la politique conduite par le gouvernement Abderrahmane Youssoufi (El Aoufi, 2002). Procédant d’une option proprement politique qualifiée « d’alternance consensuelle », cette inflexion prend pleinement acte de la mondialisation économique et du phénomène d’ « émergence » des pays (Corée du Sud, Taïwan, Chine continentale, Thaïlande, etc.) qui ont contribué au déplacement relatif de la production industrielle des pays du Nord vers ceux du Sud via le développement de leurs exportations vers le Nord. Il ne s’est pas agi d’un choix pour l’« ouverture » et contre la « fermeture », mais de la recherche d’une combinaison optimale (1) Pour une présentation détaillée de ce programme de recherche, consulter le site web : www. programmemadein morocco.ma. Bernard Billaudot et Noureddine El Aoufi 6 Critique économique n° 35 • Hiver-printemps 2017 (2) Ces revenus comprennent les impôts et autres prélèvements assis sur la production marchande et ne comprennent pas les revenus versés par les administrations publiques (salaires, prestations sociales, subventions, etc.). (3) Une caractérisation plus précise nécessiterait de mettre en évidence ce que ces trois notions doivent à l’analyse d’Amartya Sen en termes de capabilities et de fonctionnements (Sen, 1999) ainsi qu’à sa critique. (4) Dans les pays dits avancés, le débat porte aussi sur le point de savoir si la croissance économique est une condition nécessaire à la réalisation d’un développement social et humain. Et surtout si cette croissance est compatible avec l’exigence que le développement soit durable. Il semble bien que, pour le Maroc, cette interrogation ne soit pas encore d’actualité étant donnés le niveau actuel du PIB par habitant et l’importance de la population rurale. entre les deux, c’est-à-dire d’une configuration dans laquelle l’insertion internationale soit favorable à un développement du Maroc qui ne se réduise pas à un développement économique, mais qui soit tout autant social et humain. A la suite de François Perroux, beaucoup donnent du développement une définition normative : on doit constater un certain nombre de qualités à l’évolution que connaît un pays pour pouvoir dire que cette évolution est un développement. Une telle façon de voir doit être abandonnée pour s’en tenir à une définition positive : le développement est un processus de transformation des conditions uploads/Industriel/ 1-sm.pdf

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