1 LES GRANDS QUARTIERS DE L’INDUSTRIE À PARIS : L'EXEMPLE DE LA VILLETTE Cet ar

1 LES GRANDS QUARTIERS DE L’INDUSTRIE À PARIS : L'EXEMPLE DE LA VILLETTE Cet article est paru dans l'ouvrage dirigé par Jean-Marie Jenn, Le XIXe arrondissement. Une cité nouvelle. Paris, Délégation à l'action artistique de la Ville de Paris et Archives de Paris, 1996, p. 91-112 Il est paru sous le titre de "L'industrie à Paris : La Villette". En effet, le titre original a été écarté, sans doute parce qu'il n'a pas été compris. Il faut en effet savoir qu'au 19e siècle, on ne parlait pas des "beaux quartiers", mais des "grands quartiers" ; si on l'ignore, la formule perd évidemment son sens métaphorique. Les illustrations qui accompagnaient l'article n'ayant pas été choisies par moi ne sont pas reproduites ici. Le plan de l'usine Félix Potin, qui ne fut pas retenu lors de la publication, figure dans la présente version en fin d'article. La pagination originale est donnée en italiques entre crochets L'autorisation de réédition électronique a été demandée à la Délégation. Alain FAURE Université de Paris X-Nanterre afaure@u-paris10.fr Paris demeure une grande ville industrielle jusque dans les années 1950. L’oubli qui aujourd’hui entoure cette réalité encore si proche est étonnant. Il faut redonner toute sa place à cette part de l’histoire de notre ville, et ne plus se contenter des gloses habituelles sur les "établissements industriels remarquables" du passé. L’architecture n’est jamais qu’un détail de la vie. Et pour ce faire, quel meilleur exemple que La Villette, cette commune de petite banlieue annexée à Paris en 1860, englobée dans le 19e de ses arrondissements, tronçonnée entre deux quartiers administratifs1, mais conservant en dépit de tout une personnalité due à sa vocation industrielle précoce. Ajoutons qu' il sera surtout parlé dans ce texte de grandes entreprises, des géants de la forêt industrielle. Nous n’ignorons point l’importance, à La Villette comme dans le reste de Paris, du petit atelier installé dans les fonds de cour ou en étage, mais s’il existe une spécificité villettoise, c’est du côté de l’usine qu’il va nous falloir la chercher. Les voies de l’industrialisation A la veille de la Grande Guerre – une étude bien connue l’a depuis longtemps établi2 –, la partie villettoise du 19e arrondissement abrite la première concentration usinière de l’agglomération, avant Grenelle et Javel, avant le 13e, avant n’importe quelle banlieue. Quelles sont les causes de cette industrialisation massive ? Pour répondre, remontons à l’enfance de ces quartiers, au temps de la commune de La Villette, car n’est-ce pas à ce moment que tout s’est joué ? En annexant La Villette, Paris héritait en effet d’un quartier déjà éminemment industriel, même si son poids relatif dans l’industrie de la capitale élargie était encore modeste : d’après les chiffres établis par la Chambre de commerce pour l’année 1860, les 13 000 salariés occupés par les entreprises de l’ensemble du 19e 1. A savoir les quartiers de La Villette et du Pont-de-Flandre, ainsi il est vrai qu’une petite fraction du quartier Amérique, englobant le secteur de l’ancienne commune qui touchait à la barrière du Combat. Le reste du 19e – si différent – correspondait à une partie de l’ancienne commune de Belleville. Voir ici même l’article de Bernard Rouleau. 2. Centre de documentation d’histoire des techniques (CDHT), Évolution de la géographie industrielle d e Paris et de sa proche banlieue au XIXe siècle, Paris, CNAM, 1976, t. 2, p. 435-436 et t. 3, planche 33. 2 arrondissement représentaient à peine un peu plus de 3 % des effectifs ouvriers de la ville, alors que le 11e, par exemple, en totalisait 12,1%3. Cela n’empêchait pas La Villette d’avoir compté parmi les communes les plus industrialisées de la banlieue annexée cette année-là : y étaient situées 18 des 118 grandes entreprises qu’une enquête officielle en 18404 avait répertoriées au sein du vaste arrondissement de Saint-Denis, toute la banlieue rive droite du département de la Seine de l’époque. Et si la commune qui allait se montrer la plus franchement hostile à l’annexion sera précisément celle qui nous occupe, c’est bien parce que les industriels y étaient tout puissants. [91] Osmoses et cayennes A en croire ce qui s’écrit, cette précoce floraison industrielle aurait eu deux racines : l’existence d’une voie d’approvisionnement – les canaux et le bassin –, et le rejet en cette commune de banlieue d’activités industrielles jugées indésirables dans la capitale. Les chantiers de bois ou les magasins de charbon qui allaient rapidement s’installer sur les rives du bassin de La Villette, lui-même mis en eau dès 1808, ne purent bien sûr qu’attirer des entreprises, des scieries mécaniques, comme celle de Lombard frères, quai de la Loire, détruite par un gigantesque incendie qui, une nuit d’août 1858, illumina tout Paris5, des fabricants de parquets6, des distillateurs… La veuve Erard, le célèbre facteur de pianos, décida en 1854 d’installer ses ateliers rue de Flandre7 : "La Villette, par sa situation près d'un canal, dont les mouvements de tonnage ne le cèdent qu'au Havre et à Marseille convenait parfaitement à l'établissement de Mme Erard ; par cette voie, il recevait ses bois et ses charbons et il n'avait plus besoin de faire partir de Paris les expéditions destinées pour le continent et les pays d'outre mer." Certes, mais n’oublions pas que les nouvelles voies d’eau stimulèrent en premier lieu l’industrialisation des faubourgs intérieurs de Paris. Les abords du canal Saint-Martin, ouvert en 1825, se couvrirent rapidement d'ateliers et d’usines, et n’est-ce pas sur ses rives que furent construits les premiers grands entrepôts destinés à l’approvisionnement commode du commerce et de l’industrie de la capitale8 ? La Villette fut longtemps une sorte d’annexe des grands quartiers industriels de l’intérieur, Popincourt, le faubourg du Temple, les faubourgs Saint-Martin et Saint-Denis9… Beaucoup des entreprises qui s’y installèrent venaient en réalité de là. Le rôle joué par la voie d’eau fut donc indirect, médiatisé par Paris ; l’industrialisation, si l’on ose dire, remonta le courant, à l'image des entrepôts eux-mêmes, réinstallés en grand autour du bassin de la Villette et du canal Saint- Denis par les soins de la Compagnie des Magasins généraux à partir de 186010. En ville, au 3. Chambre de commerce de Paris, Statistique de l’industrie à Paris résultant de l’enquête faite par l a Chambre de commerce pour l’année 1860, 1864, Tableau général. Résultats par arrondissements. 4. Statistique générale de la France, Industrie, t. 3, 1840, p. 236 et suiv. (Département de la Seine). On sait que cette enquête visait à ne recenser que les "établissements qui occupent à leurs travaux au moins une dizaine d’ouvriers", les autres rentrant dans "la classe des arts et métiers". (Introduction, t. 1, p. XVIII) 5. Labédollière rappelle dans son livre intitulé Le nouveau Paris (Paris, Gustave Barba, s.d., p. 293), que cet incendie fut "si considérable que les Parisiens crurent à l’apparition d’une aurore boréale". 6. Un d’entre eux, Prosper Lessure, déclare lors de l’enquête conduite en 1859 sur le projet d’annexion de l a petite banlieue à Paris : "J’ai établi mon chantier à La Villette à cause de la proximité des arrivages et de la facilité des transports pour les réexpéditions". Archives nationales (AN), F2II Seine 37, dossier La Villette. 7. AN, Ibidem. 8. Voir l’article de Sara Von Saurma, "Les entrepôts du canal Saint-Martin", in Les canaux de Paris Textes réunis par Béatrice de Andia et Simon Texier, Paris, Délégation artistique à la ville de Paris, 1994, p.118 et suiv. 9. L’étude du CDHT (Évolution…, op. cit., t. 1, p. 103-104) met parfaitement en valeur le dynamisme de ces faubourgs de l’intérieur qu’elle appelle "quartiers intermédiaires". 10. Voir le chapitre consacré à la question de l’entrepôt sous le Second Empire par Jeanne Gaillard dans sa thèse, Paris, la Ville (1852-1870), Atelier de reproduction des thèses, Université de Lille III et Librairie 3 siècle dernier, les processus d’industrialisation ressemblent au processus de peuplement où souvent tout est affaire de glissement progressif et d’osmose. La Villette n’était jamais que la prolongation hors-les-murs du faubourg Saint-Martin, sa "suite naturelle" comme le disait – déjà – un document relatif aux opérations de bornage de 1728 et cité par Lucien Lambeau11. Son devenir industriel tint d’abord à une logique spatiale. La croissance industrielle villettoise eut aussi ses spécificités. Parmi celles-ci, au premier rang, les établissements insalubres. L'idée du transfert autoritaire, par voie administrative, des entreprises particulièrement puantes – l'odeur, au 19 siècle, fut longtemps la mesure de l’insalubrité – n’est pas une idée nouvelle. Elle est même au cœur du plaidoyer contre l’annexion rédigé par le Conseil municipal de La Villette en 185912. Qu’est-ce qui pousse les industriels, le plus souvent, à venir s’installer en cette commune ? [92] “[…] la nécessité ; ce sont les établissements insalubres, soumis à des conditions d’autorisation qui ne peuvent s’élever là où il leur plaît, et que l’administration, interprète et exécuteur de la loi, exile hors de l’enceinte des villes et loin des habitations ; ce sont les grandes industries, même non classées parmi les établissements incommodes ou insalubres et que le gouvernement, en tant que sa volonté a pu atteindre ce but, a uploads/Industriel/ alain-faure-les-grands-quartiers-de-l-x27-industrie-a-paris-l-x27-exemple-de-la-villette-1996.pdf

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