18. DES MOLLUSQUES POUR « FAIRE PARLER » LES RIVIÈRES ? Christelle Gramaglia, D
18. DES MOLLUSQUES POUR « FAIRE PARLER » LES RIVIÈRES ? Christelle Gramaglia, Delaine Sampaio da Silva in Sophie Houdart et al., Humains, non-humains La Découverte | « Hors collection Sciences Humaines » 2011 | pages 221 à 233 ISBN 9782707165190 DOI 10.3917/dec.houda.2011.01.0221 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/humains-non-humains---page-221.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Le Lot et le Riou-Mort, son affluent, en furent très fortement pollués, sur au moins cent kilomètres. La presse locale relate qu’à Cahors l’eau était devenue verte, charriant des milliers de poissons morts 2. Les effets dramatiques de ces accidents simultanés ont marqué les esprits et suscité une grande indignation. Un procès en responsabilité pénale fut engagé, qui réunit plus de 200 parties civiles, principalement originaires de la partie aval du Lot. En 1991, au vu des preuves réunies, le tribunal de grande instance de Rodez condamna le directeur de l’usine à une lourde amende et à des dommages et intérêts. Consécutivement, plusieurs arrêtés préfectoraux furent édictés. Les normes en matière de rejets furent renforcées, impo- sant une limitation stricte des effluents. Peu à peu, sous la pression des pouvoirs publics, l’industriel concerné consentit à sécuriser le site. La pollution, semble-t-il, fut ainsi jugulée. Malgré les travaux de réhabilitation engagés par l’exploitant la situa- tion est loin d’être réglée. L’usine de Vieille-Montagne compte parmi les plus anciens sites d’extraction et de laminage du zinc en France. Depuis 1837, date à laquelle la Société des mines et fonderies de zinc de Vieille- Montagne a vu le jour, jusqu’aux accidents de l’été 1986, de grandes 1 Notre enquête, financée dans le cadre du projet ANR (Re-Syst 08-CES-014), nous a conduites à interviewer six membres de l’équipe du GEEMA/AE de l’université Bordeaux 1 — UMR CNRS EPOC 5805. Nous avons également pu les observer travailler dans le laboratoire sur le terrain en Aveyron. Qu’ils soient tous remerciés pour leur accueil chaleureux. Les auteures tiennent cependant à souligner que cet article n’engage qu’elles. 2 La Dépêche du Midi, 13 juillet 1986. © La Découverte | Téléchargé le 23/09/2021 sur www.cairn.info via Université de Strasbourg (IP: 130.79.246.180) © La Découverte | Téléchargé le 23/09/2021 sur www.cairn.info via Université de Strasbourg (IP: 130.79.246.180) quantités de métaux lourds, dont du cadmium très toxique, ont été rejetées dans le milieu naturel sans réel contrôle. Ces contaminants se sont accumulés de manière chronique dans les sédiments, notamment dans les retenues des barrages. On les retrouve à tous les niveaux de la chaîne alimentaire, affectant aussi bien la flore aquatique que les petits crustacés et les poissons à des concentrations variables sur une distance de plus de 400 kilomètres, c’est-à-dire jusqu’à l’estuaire de la Gironde où les huîtres sont impropres à la consommation. Les risques de contami- nation subsistent donc, de manière diffuse, en puissance. Il serait d’ailleurs malaisé de procéder à une restauration environne- mentale des cours d’eau affectés. On pourrait draguer les sédiments les plus pollués pour les traiter, puis les stocker en décharge contrôlée. Cela se fait ponctuellement, mais l’ampleur des travaux sur tout le conti- nuum du Riou-Mort, du Lot et de l’estuaire de la Gironde serait déme- surée, de même que le coût de cette entreprise. De plus, toute opération de curage comporte des risques : non seulement elle perturberait les espèces encore présentes mais elle contribuerait surtout à remettre en circulation des polluants piégés dans les sédiments. C’est pour prévenir les conséquences inattendues de ce type de mesure que les écotoxico- logues se sont donné pour tâche d’étudier la dynamique des pollutions et le devenir des contaminants. Ils souhaitent évaluer au mieux leur nocivité effective, en fonction des circonstances qui accentuent ou atté- nuent leur impact sur les organismes vivants. Ainsi développent-ils de nouveaux outils destinés à « faire parler les rivières », c’est-à-dire obtenir d’elles des renseignements sur les effets provoqués par les divers toxiques, quels que soient leur quantité ou leur état. Ils enrôlent pour ce faire une cohorte variée d’êtres vivants qui peuplent et façonnent ces milieux, mettant à profit leur capacité à y vivre, c’est-à-dire à s’y main- tenir en dépit des altérations. L’objectif de ce texte est de décrire le processus par lequel des mollusques ordinaires, en l’occurrence des Corbicula fluminae, loin de se cantonner au rôle subalterne de cobayes qu’on pourrait leur assigner, deviennent des organismes sentinelles actifs, capables de renseigner les scientifiques sur la qualité de l’eau des rivières, réalisant ce qui pourrait être considéré comme un travail 3. Après avoir retracé l’histoire d’un territoire et de ses rivières impactées par les pollutions métalliques, il s’agit d’expliquer comment ils sont devenus, en deux décennies, un site- atelier de référence pour les écotoxicologues. En s’inspirant des 3 Vinciane DESPRET et Jocelyne PORCHER, Être bête, Actes Sud, Arles, 2007 ; Donna HARAWAY, When Species Meet, University of Minnesota Press, Minneapolis, 2008. La science en ses confins 222 © La Découverte | Téléchargé le 23/09/2021 sur www.cairn.info via Université de Strasbourg (IP: 130.79.246.180) © La Découverte | Téléchargé le 23/09/2021 sur www.cairn.info via Université de Strasbourg (IP: 130.79.246.180) développements récents de la sociologie des sciences 4, mais avec le souci d’accorder une attention plus grande encore aux compétences des non-humains, il s’agit de décrire les performances accomplies par certains d’entre eux pour la mise en évidence des pollutions de rivières. L’histoire environnementale d’un bassin industriel qui reste à écrire Decazeville et Viviez ont été fondées en 1826 consécutivement à l’ouverture des mines de charbon, préparée par le duc Élie Decazes 5. Son objectif était de doter la France d’un site d’expansion industrielle de premier plan, capable de rivaliser avec ceux qu’il avait observés en Angleterre à la même époque. Dès la fin du XIXe siècle, les deux villes voisines accueillaient de nombreuses usines attirées par la présence des Houillères. Comme le montrent d’anciennes photographies, la vallée comptait déjà plusieurs hautes cheminées. Les paysages ont été durable- ment affectés par leurs fumées : certains versants des montagnes envi- ronnantes portent toujours la trace des retombées acides produites par la transformation des métaux puis par une centrale thermique construite dans les années 1940. Seuls quelques rares conifères subsis- tent. La présence, aujourd’hui encore, de plusieurs crassiers témoigne également de ce lourd passé industriel. Par ailleurs, le Riou-Mort qui traverse successivement Decazeville et Viviez a lui aussi été fortement touché. Il a d’abord été dévié pour permettre le développement de la métallurgie. De même que les rus voisins, il a été utilisé comme exutoire pour l’évacuation de l’ensemble des effluents urbains ou industriels et transformé en véritable égout. La situation s’est dégradée jusqu’aux années 1970, période où certaines usines ont fermé, où d’autres ont pu moderniser leurs procédés et où l’émergence des questions environne- mentales a contraint les autorités à appliquer les lois sur les installations classées avec plus de rigueur 6. Les habitants de Decazeville et Viviez, pour une bonne part des immigrés européens venus par vagues successives 7, ont certainement 4 Madeleine AKRICH, Michel CALLON et Bruno LATOUR, Sociologie de la traduction. Textes fondateurs, Presses de l’École des mines, Paris, 2006. 5 Jacques WOLFF, « Decazeville : expansion et déclin d’un pôle de croissance », Revue économique, 23(5), 1972, p. 753-785. 6 Pierre LASCOUMES, « La formalisation juridique du risque industriel en matière de protection de l’environnement », Sociologie du travail, (3), 1989, p. 315-333. 7 Donald REID, The Miners of Decazeville. A Genealogy of Deindustrialization, Harvard University Press, Cambridge (Mass.), 1989. Christelle Gramaglia et Delaine Sampaio da Silva Des mollusques pour « faire parler » les rivières ? 223 © La Découverte | Téléchargé le 23/09/2021 sur www.cairn.info via Université de Strasbourg (IP: 130.79.246.180) © La Découverte | Téléchargé le 23/09/2021 sur www.cairn.info via Université de Strasbourg (IP: 130.79.246.180) été parmi les premiers touchés par les effets de la pollution, à la fois dans les usines et leurs maisons. Le sujet n’est cependant abordé qu’avec beaucoup uploads/Industriel/ dec-houda-2011-01-0221.pdf
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- Publié le Jul 12, 2022
- Catégorie Industry / Industr...
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