ÉCONOMIE – DÉVELOPPEMENT Expliquer les évolutions des cours des matières premiè
ÉCONOMIE – DÉVELOPPEMENT Expliquer les évolutions des cours des matières premières agricoles : À l’impossible, nul n’est tenu ! Hervé GUYOMARD INRA, UAR 233 Collège de direction (CODIR), 147 rue de l’université, 75338 Paris Cedex 07, France <guyomard@rennes.inra.fr> Abstract: How to explain the recent developments in the prices of agricultural raw materials? This arti- cle tries to trace the chronology of events and identify the mechanisms by which factors of change in agricultural prices act. From this analysis of temporal and causal effects an important lesson emerges, namely the difficulty if not the impossibility to isolate the responsibility of a particular determinant, even more to quantify it. Hence also the need to develop the economic analysis of agricultural prices, of their trends and determinants, including through the use of quantitative structural models, i.e., models that explicitly derived suplly and demand functions from behaviours of private and public actors. Key words: agricultural prices, biofuels, food trade, stocks, economic analysis Les prix mondiaux et nationaux de nombreux produits agricoles ont fortement augmenté à la fin de l’année 2006, et de manière plus pro- noncée encore sur toute l’année 2007. Ils ont continué à croître sur les premiers mois de l’année 2008, avant d’amorcer un reflux specta- culaire à partir de la fin du printemps, pour se stabiliser sur la fin de l’année 2008 et les premiè- res semaines de l’année 2009. À titre d’illustra- tion, l’indice des prix alimentaires calculé par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimen- tation et l’agriculture (FAO) normalisé à 100 sur les trois années 2002 à 2004 a atteint un niveau de 131 en décembre 2006, de 150 en juin 2007 et de 187 en décembre 2007. L’augmentation s’est poursuivie pendant le premier trimestre de l’année 2008 avec des hausses mensuelles de 4,2 % en janvier, 8 % en février et 1,1 % en mars ; stable pendant le printemps, l’indice a amorcé un fort déclin à compter du mois de juillet desortequeleniveauatteint endécembre 2008 est égal à celui observé à la mi-juin de l’année 2007, 19 mois plus tôt. Les variations à la hausse puis à la baisse ont été plus importan- tes encore pour certains postes, notamment les céréales, les oléagineux et les produits laitiers. La soudaineté et l’ampleur de la hausse ont sur- pris les observateurs ; la brutalité de la correc- tion les prend de cours pareillement. Les études rétrospectives qui proposent un schéma expli- catif de la hausse passée sont très nombreuses ; celles qui expliquent pourquoi ils baissent aujourd’hui fleurissent. Il n’y a hélas pas consensus sur les déterminants de l’évolution à la hausse, puis à la baisse, des cours agricoles ; encore moins sur les contributions respectives de chaque déterminant à cette évolution. Les études se présentent le plus souvent sous la forme de rapports ou de notes d’institutions internationales comme la Banque mondiale (BM) ou la FAO [1], d’agences gouvernementa- les comme l’United States Department of Agri- culture (USDA) ou la Commission européenne (CE), d’organisations professionnelles agricoles ou encore d’organisations non gouvernemen- tales impliquées dans les questions alimentaires et/ou environnementales. Elles correspondent très rarement à des travaux scientifiques, encore moins souvent à des travaux scientifi- quespubliésdansdesrevuesàcomitédelecture après validation par les pairs. Ceci explique, pour partie, qu’il n’y ait pas consensus sur les explications de la flambée des cours des matiè- res premières agricoles de la deuxième partie de l’année 2006au début de l’année2008, lesdites études n’étant pas toujours empreintes de la plus grande objectivité qu’au mieux nous expli- querons, sans l’excuser, par l’urgence. C’est ainsi qu’à la suite de Gohin [2], nous interpréte- rons la note de Mitchell [3] publiée sous la forme d’un document de travail de la BM : ce document a tendance à ne retenir que les faits et les chiffres qui permettent à Mitchell de « démontrer ce qu’il veut démontrer », à savoir la responsabilité première des politiques (États- Unis et Union européenne) de promotion des biocarburants et les restrictions aux échanges de matières premières agricoles et de biocarbu- rants (les autres déterminants de la hausse des cours agricoles étant, selon cette étude, l’aug- mentation du prix de l’énergie et la déprécia- tion du dollar US). Notant qu’il y a un décalage temporel entre l’augmentation des prix agrico- les et la croissance de l’activité sur les marchés financiers, Mitchell arrive à la conclusion que la spéculation n’est pour rien dans l’augmenta- tion des prix agricoles. Conclusions toutes diffé- rentes pour Berthelot [4] qui, parmi d’autres facteurs explicatifs dont les politiques de déve- loppement des biocarburants, conclut à la res- ponsabilité majeure de la libéralisation des échanges mondiaux agricoles et de la spécula- tion financière, conclusions qui lui permettent aussi « de démontrer ce qu’il veut démontrer », à savoir l’iniquité des règles du commerce mon- dial agricole et la responsabilité première des États-Unis et de l’Union européenne (UE) via leurs politiques agricoles (et leurs politiques de promotion des biocarburants). Dans ce contexte, l’ambition de cet article est nécessairement modeste. Il se propose de reconstruire une logique des événements en s’assurant, autant que faire se peut, de son exactitude par la reconstitution de la chronolo- gie des faits, l’explicitation des mécanismes économiques sous-jacents et la confrontation aux chiffres. L’ambition, finalement, n’est peut-être pas si modeste ! L’article est organisé en trois sections. Après une brève présentation des principaux facteurs qui ont pu jouer à la hausse puis à la baisse sur les cours agricoles (section 1), nous nous pro- posons de retracer la chronologie des événe- ments et d’identifier les mécanismes par les- quels les facteurs de variation des prix agricoles agissent (section 2). De cette analyse des enchaînements temporels et causaux, nous tirons un enseignement majeur, à savoir qu’il est difficile, si ce n’est impossible, d’isoler la res- ponsabilité de tel ou tel déterminant, encore doi: 10.1684/ocl.2009.0234 * Merci à Agneta Forslund et Alexandre Gohin, tous deux de l’UMR SMART de Rennes, pour leurs remar- ques sur une première version de ce texte. Les opi- nions exprimées n’engagent que leur auteur, pas l’institution à laquelle il appartient. 364 OCL VOL. 15 N° 6 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2008 Article disponible sur le site http://www.ocl-journal.org ou http://dx.doi.org/10.1051/ocl.2009.0234 plus de la quantifier. Ce qui ne signifie pas que l’analyse économique est inutile, bien au contraire. Nous terminons alors par un plai- doyer pour une poursuite et un approfondisse- ment de l’analyse économique des prix agrico- les, de leurs évolutions et des déterminants de celles-ci, notamment en recourant à la modéli- sation quantitative structurelle, i.e., explicite- ment dérivée d’hypothèses de comportements des agents privés et publics (section 3). Trois remarques avant de poursuivre. Contrai- rement à une idée répandue, notamment dans les médias généralistes ou spécialisés, de nom- breux observateurs avaient anticipé que les prix agricoles ne pourraient durablement rester aux niveaux très bas autour desquels ils oscillaient au début des années 2000 (voir, par exemple IFPRI [5]). Comme le notent Keyzer et al. [6], « la question n’était pas de savoir si les prix allaient commencer à augmenter mais quand ». La deuxième est que ces mêmes observateurs continuent à pronostiquer que les prix agrico- les seront, en moyenne, plus élevés sur au moins les dix prochaines années relativement aux niveaux du début du siècle. Reconnaissant que l’ampleur de la hausse puis de la baisse les a surpris, ces observateurs recommandent de placer l’analyse conjoncturelle des années 2006, 2007 et 2008 dans le contexte des évo- lutions tendancielles des offres et des deman- des des différents biens agricoles. Nous adop- terons cette stratégie. La troisième remarque est que certes les prix de nombreuses matières premières agricoles ont très rapidement et très fortement cru de la fin de l’année 2006 au début de l’année 2008 ; mais même quand ils étaient au plus haut, ces prix sont toujours res- tés inférieurs, en termes réels, aux niveaux records atteints dans les années 1970 dans le contexte des deux premiers chocs pétroliers [7]. Cette troisième remarque invite à relativiser le mouvement ici analysé de hausse puis de baisse des prix agricoles en ne le considérant pas comme exceptionnel, ce qui ne signifie pas que son impact négatif n’ait pas été drama- tique pour nombre de pays en développement importateurs nets de matières premières agri- coles, et dans ces pays notamment pour les ménages les plus pauvres qui proportionnelle- ment consacrent une part plus importante de leurs (faibles) revenus à l’alimentation. Les déterminants des niveaux et des évolutions des cours agricoles : application sur la période 2006-2008 Déterminants des niveaux et des évolutions des cours agricoles Le prix d’un bien sur un marché est le résultat d’une confrontation d’une offre et d’une demande. La simplicité apparente de cette phrase est trompeuse. Sa juste compréhension suppose en effet qu’il y ait accord sur les défini- tions, au minimum, du bien, du marché, de l’offre et de la demande. Dans un premier temps, supposons qu’un produit agricole donné, par exemple le blé tendre, puisse être considéré comme un bien homogène, quelle que soit sa composition, et que le marché de ce produit soit mondial, sans entraves uploads/Industriel/ ocl-2008156-p-364.pdf
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- Publié le Apv 25, 2021
- Catégorie Industry / Industr...
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