Patagonia Inc. :les engagements politiquesd’une référence de l’écologie industr

Patagonia Inc. :les engagements politiquesd’une référence de l’écologie industrielle par Benoît Lambert (l’auteur n’entretient aucun lien, de quelque nature,avec l’entreprise dont cet article fait l’objet) L’écologie industrielle connaît depuis quelques années un développement théoriquedont les principales avancées sont publiées dans le Journal of Industrial Ecology (MIT Press).En français, on notera la parution de Vers une écologie industrielle par Suren Erkman. PourErkman, notre système « hyper-industriel » ne peut, à l’évidence, continuer à exister horsnature, séparé de la Biosphère. Il propose de considérer notre système industriel comme unécosystème particulier, résumant ainsi l’ambition de l’écologie industrielle. Dans le premiernuméro du Journal of Industrial Ecology en 1997, Ehrenfeld et Gertler analysent« l’écosystème industriel » de Kalundborg (12’000 hab.) au Danemark, pour l’heure un desmodèles parmi les plus accomplis de cette nouvelle approche de la production, égalementdénommée « symbiose industrielle ».Or à côté de ce cas d’école inaugurant le journal, un article est consacré au fabricant devêtements de plein air Patagonia. Son PDG, Ivon Chouinard, et Michael Brown, responsablede « l’évaluation environnementale » de l’entreprise, y décrivent les embûches rencontréeslors de leur passage à l’utilisation exclusive de coton biologique, une mutation finalementcouronnée de succès. Mais Patagonia ne se limite pas à l’écologie industrielle: de par lemonde elle apporte son soutien aux militants écologistes (en Suisse notons son soutienfinancier à l’Initiative des Alpes), dont certains sont controversés. Nous tenterons de mettre enperspective la démarche « politico-entreprenariale » de cette société californienne horsnormes. Utilisant l’écologie industrielle (et donc scientifique) pour diminuer son impact surl’environnement, allié au monde associatif – 18 millions de dollars distribués à 1’000 ONG àce jour – Ivon Chouinard affirme chercher un équilibre entre production et protection del’environnement, entre commerce et citoyenneté. Son cheminement peut-il faire naître unmouvement politique dont certains entrepreneurs progressistes, et opposés au capitalismesauvage, seraient les protagonistes? N’y a-t-il pas une ligne de démarcation à établir entre« affaires » et « affaires publiques », même lorsque le but affiché est de défendre une bonnecause? Entre opposants et défenseurs du discours « politico-commercial », Patagonia animeun débat parfois vif sur l’utilisation des sports de plein air comme véhicule de l’écologiepolitique. Candidate aux sommets de l’écologie industrielle Patagonia Inc. est née il y a trente ans alors que les activités sportives dites de plein airconnaissent un grand essor — randonnée, escalade, kayak, surf. Dès ses débuts dans lafabrication de pitons pour l’escalade, le fondateur de Patagonia, et toujours son principalactionnaire, l’Américain Ivon Chouinard, s’est montré innovateur et soucieux de la protectionde l’environnement. Ivon Chouinard a mis au point le ― Chouinard ‖, un piton rétractableépargnant les parois rocheuses, un outil aujourd’hui bien connu dans le petit monde de lagrimpe. C’est, selon le PDG, son goût de la sortie parfaite – un perfectionnisme nécessaire àtout grimpeur, surtout lorsqu’il fabrique ses propres pitons – qui transformèrent Chouinard en un homme d’affaires prospère lorsqu’il mit la même application, une dizaine d’années plustard, à la fabrication de ― vêtements techniques ‖. Patagonia Inc. connaîtra une croissancefulgurante pour atteindre un chiffre d’affaire dépassant les $ 250 millions USD. La marque estaujourd’hui connue de tous les montagnards.Or l’expansion de l’entreprise l’éloignait, raconte le PDG, de ses valeurs personnelles.Si la croissance de son chiffre d’affaire était maintenue comme objectif prioritaire, PatagoniaInc. devait s’ouvrir aux grandes surfaces. On lui prédisait, dans cette hypothèse, des ventesannuelles d’un milliard de dollars. Viscéralement opposé à une évolution uniquementmarchande, Ivon Chouinard choisira ce qu’il appelle ― la croissance intérieure ‖. Définition ?Faire davantage en termes qualitatifs et renforcer la loyauté des acheteurs traditionnels de lamarque en sollicitant leur adhésion à ce qui s’apparente davantage à un programme politiquequ’à une stratégie de marketing.Plutôt que de vendre son entreprise pour se consacrer exclusivement à la défense del’environnement – ce que lui avait suggéré un consultant – Chouinard décida de faire dePatagonia un modèle pour l’écologie industrielle naissante. Fabrication de vêtements à partirdu Post Consumer Recycled Synchilla issu de bouteilles en plastique recyclées (Patagonia Inc.est à l’origine de l’innovation, mais l’entreprise s’est abstenue de s’en attribuer l’exclusivité),réduction massive des emballages, coton biologique, décentralisation de la production pour serapprocher du consommateur, engagement de passer à l’énergie éolienne dans ses établissements californiens 1 , abandon de la plupart des colorants contenant des métaux lourds,recours aux transports ferroviaires, un potager biologique fertilisé avec les déchets organiquesde sa cafétéria, des miroirs héliotropes pour inonder le bâtiment de lumière naturelle…Patagonia réalisa un ambitieux programme pour réduire ses effets négatifs surl’environnement.Ce n’est donc pas un hasard si Chouinard fut invité à participer à un ouvrage publiépar l’Université des Nations- Unies en 1995 Steering Business Towards Sustainability (Amener les entreprises au développement durable) dont un des auteurs, Gunter Pauli, adéveloppé ― l’Initiative de recherche zéro émission ‖ (ZERI en anglais), qui fixe des normestrès exigeantes pour l’écologie industrielle. A l’image de l’évolution (non planifiée) deKalundborg au Danemark, Pauli vise à créer des ― grappes industrielles ‖, industrial clusters ,dont les émissions seraient nulles. Ces rassemblements d’entreprises se font donc en fonctionde l’intérêt économique « complémentaire » des rejets d’une entreprise pour les entreprises dela zone, comme s’il s’agissait d’un « écosystème industriel ». D’entreprisesmonoproductrices, les industriels sont invités à diversifier leur production pour profiter desrejets disponibles — c’est, soulignons-le, ce qui a fait le succès de la filière pétrolière avec sesinnombrables dérivés. A 100% d’équivalent de sa consommation. Notons d’emblée que tout recyclage industriel n’est pas nécessairement positif pour l’environnement, commel’illustre le bitumage généralisé des zones urbaines américaines sans aucune considération pour l’environnement.L’asphalte est produite à partir de brai, un résidu pâteux de la distillation des goudrons, pétroles et autres matièreorganiques issus d’hydrocarbures. Autre exemple : par un processus chimique, le sel commun peut être divisépour obtenir de la soude caustique, produit utilisé entre autres dans la fabrication de savon. Lors de cetteopération de fractionnement du sel, un gaz toxique se dégage: le chlore. Résidu toxique, le chlore est devenu unenouvelle matière première lorsque les chimistes ont fabriqué de nombreux produits chlorés (organochlorés), dontle PVC aujourd’hui combattu par les écologistes, bien qu’il soit le produit du recyclage d’un déchet industriel. Un catalogue comme tribune ― Quelqu’un doit définir des normes auxquelles les entreprises devraient répondre.(…) Avec des gouvernements cédant leur pouvoir aux grandes entreprises et auxinstitutions internationales, le pouvoir qui, il n’y a pas si longtemps, était entre lesmains des électeurs, s’est déplacé. Aujourd’hui, se sont les actionnaires quidétiennent le pouvoir. Seuls les détenteurs d’actions votent. Ils sont comme desélecteurs dans un régime censitaire. Cela sera vrai jusqu’à ce que lesconsommateurs commencent à s’organiser pour reprendre ce pouvoir. Ce n’est pasqu’une question d’emplois et d’exportations; on parle bien de démocratie. ‖ 3 (notre traduction)Un touriste, de passage dans la salle des auditions du Congrès américain ce 29 avril1996, aurait certainement cru entendre un représentant d’une organisation syndicale, dedéfense des consommateurs, ou encore un militant d’une organisation tiers-mondiste. Puisl’auditionné assène quelques propos bien sentis sur les bienfaits de mesuresenvironnementales strictes, du coton biologique, les menaces pesant sur la Biosphère. ― Ilnous faut des normes [environnementales] exigeantes… Des mesures plus strictes ne fontpeur qu’aux mauvaises entreprises! ‖ Le visiteur est fixé: il s’agit d’un comité sur l’écologie.En fait, ce jour-là c’était devant le Comité sur la démocratie de la Chambre desReprésentants du Congrès américain que témoignait Kevin Sweeney. L’audition portait plusprécisément sur ― le choix des consommateurs et la responsabilité des entreprises ‖. Sweeneyreprésentait Patagonia dont la marque s’est imposée dans plus de mille boutiques spécialiséesdans les activités de plein air sur cinq continents. L’entreprise possède elle-même vingt-cinqmagasins vendant exclusivement les vêtements Patagonia et offre aujourd’hui ses produits surinternet. Pourtant, lorsqu’un journaliste rencontre le fondateur de Patagonia, Ivon Chouinard,ce n’est plus nécessairement pour l’interroger sur le chiffre d’affaires de son entreprise, sur lanouvelle planche de surf Coffin, l’anorak Back Bowl, la surveste Storm ou autres salopettesd’escalade. Patagonia est peut-être la seule entreprise dans le monde — ou ― opération ‖comme on dit en Amérique — à qui on demande: ― Vous êtes une entreprise commerciale ouune organisation militante? ‖Après avoir assisté à l’importance prise par les organisations non gouvernementalesdans la lutte contre les atteintes à l’environnement, au point de devenir des actricesdynamiques des relations internationales, assistera-t-on à la montée d’entreprises tout à la foiscapitalistes et socialement engagées? A la montée ― d’entreprises citoyennes ‖? Commentsituer cette démarche ― politico-entreprenariale ‖ face aux nouveaux mouvements sociaux ?(nous ne prétendons aucunement répondre pour l’heure à cette question) Le client, détenteurdu ― capital de sympathie de l’entreprise ‖, est invité à participer à un projet de société, auquelson pouvoir de consommateur, son ― pouvoir retrouvé ‖, sert de levier. Productrice devêtements de plein air de qualité avec une structure capitaliste traditionnelle, Patagonia n’en SWEENEY, Kevin (April 29, 1996), ― Testimony to US House o f Representatives Democratic PolicyCommittee ‖, Hearings on Consumer and Corporate Responsability. KRIESI, Hanspeter, SARIS, Willem E., WILLE, Anchrit (1993), « Mobilization potential for environmentalprotest », European Sociological Review , Vol. 9, No. 2, Oxford University Press ; McADAM, Doug, TARROW,Sidney, TILLY, Charles (1998), , « Pour une cartographie de la politique contestataire », Politix – Revue dessciences sociales du politique, N° 41, pp. 7-32. ; uploads/Industriel/ patagonia-case-study.pdf

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