Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines 35 (2004) Varia .

Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines 35 (2004) Varia ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Charles Stépanoff La figure mythique du chamane dans ses représentations audiovisuelles occidentales ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Charles Stépanoff, « La figure mythique du chamane dans ses représentations audiovisuelles occidentales », Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines [En ligne], 35 | 2004, mis en ligne le 17 mars 2009, consulté le 24 novembre 2013. URL : http://emscat.revues.org/462 ; DOI : 10.4000/emscat.462 Éditeur : CEMS / EPHE http://emscat.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://emscat.revues.org/462 Document généré automatiquement le 24 novembre 2013. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'édition papier. © T ous droits réservés La figure mythique du chamane dans ses représentations audiovisuelles occidentales 2 Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 35 | 2004 Charles Stépanoff La figure mythique du chamane dans ses représentations audiovisuelles occidentales Pagination de l’édition papier : p. 17-68 1 Les mythes de la société occidentale ne sont pas plus que ceux de n’importe quelle société des créations fantaisistes et gratuites, à repousser en raison de leur manque de conformité avec la réalité. Dans la mesure où il assume une fonction dans la société qui l’a produit, un mythe ne peut être considéré comme un simple « mensonge » ou une « erreur ». En Occident, le chamane est une figure mythique, c’est-à-dire une identité construite, qui apparaît dans plusieurs de nos productions culturelles. C’est la culture occidentale qui, pour le substituer à celui de sorcier, a créé le concept de chamane, concept suffisamment vague pour pouvoir s’appliquer à des individus appartenant aux sociétés les plus diverses et les plus éloignées, et suffisamment précis cependant pour qu’il impose sa marque reconnaissable et familière dans des œuvres multiples qui sont autant de variantes du mythe. Face à l’expansion rapide de ces variantes, il nous a paru utile de nous interroger sur le besoin propre à notre sensibilité contemporaine qui a rendu nécessaire la création récente d’une telle figure dans notre imaginaire. 2 Le corpus utilisé pour cette étude sera celui des productions audiovisuelles, principalement françaises, qu’elles soient télévisuelles ou cinématographiques, fictionnelles ou documentaires 1. Le code des images et des sons permet de véhiculer des représentations qui ne trouvent plus d’expression dans les productions écrites en raison d’une censure implicite les déclarant périmées. C’est le cas par exemple des notions de « sauvage », de « primitif » ou de « peuple sans histoire ». Mais la suppression du mot n’entraîne pas toujours l’oubli de l’idée, et la production audiovisuelle est devenue le refuge de mythes peu avouables, mais visiblement indispensables à la conscience occidentale. 3 Les films faisant intervenir la figure du chamane sont des œuvres destinées à un public occidental. Quand bien même certains réalisateurs scrupuleux, fidèles à la recommandation de Jean Rouch, tâcheraient de montrer le résultat de leur travail aux personnes filmées, le sens et les techniques mises en œuvre dans leur montage demeurent des produits de leur propre culture. Pourtant ces films ont tous un statut ambigu. Aucun d’entre eux, même les films de fiction, même les œuvres les plus personnelles, ne se veut la pure et simple expression de l’intériorité de l’auteur dans un médium propre à la tradition occidentale. S’il s’agit d’« œuvres d’art », elles sont particulières, car elles n’expriment pas seulement les affects de l’artiste, elles donnent une information sur le monde, elles se veulent un miroir renvoyant à une réalité extérieure au film, à l’artiste, et surtout à la société occidentale. Dissimulant son statut de témoin d’une rencontre entre sujets de deux cultures, le film se donne comme représentation transparente et pure d’un état de faits exotiques, où les filmés ne sont plus des hôtes mais des Autres, où la différence relative est objectivée dans une étrangeté de nature. La démarche de l’anthropologue s’en distingue dans la mesure où il reconnaît que sa position est engagée dans une relation, et que son travail, en définitive, ne s’évade pas des limites d’« une conversation de l’homme avec l’homme » (Lévi-Strauss [1973] 1997, p. 20). 4 Il est vrai que les principes qui guident la fabrication d’un film ne ressemblent guère à ceux d’une enquête anthropologique. Le réalisateur n’est pas un chercheur qui puisse mener à bien, seul, un travail indépendant. Il n’est pas le propriétaire unique de son travail, celui-ci répond souvent à une commande, et associe une équipe nombreuse. Le principe qui guide le fabricant de film n’est pas non plus, bien sûr, le mensonge, pas plus que le conteur de mythe ou d’épopée n’est un mythomane. Son principe est plutôt celui d’un arbitrage entre un modèle propre à sa culture, partagé par lui, le diffuseur et le spectateur, et, d’autre part, le chaos des situations et des informations auxquelles il est confronté sur le lieu du tournage. Comment le fabricant La figure mythique du chamane dans ses représentations audiovisuelles occidentales 3 Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 35 | 2004 de film s’y prend-il pour mettre en ordre un matériau épars, quelles sont les techniques et les stratégies mises en œuvre pour transformer les données informes et paradoxales du terrain en une figure mythique reconnaissable par les spectateurs ? Nous chercherons à dégager les lignes de forces, les traits fondamentaux du modèle, c’est-à-dire le visage du chamane mythique, tel qu’il transparaît au-delà des concessions faites aux situations locales et de la variété des productions. C’est par l’ensemble de ses versions qu’il faut définir le mythe, disait Lévi- Strauss. 5 Sans systématiquement passer au crible les informations données par les films, ce qui serait aussi stérile que de chercher à vérifier l’authenticité des événements d’une épopée, nous relèverons à l’occasion certains traits qui s’écartent avec le plus d’évidence des données de terrain, et qui se signalent donc comme des caractères propres au modèle occidental du chamane particulièrement importants pour le fabricant de film. Les sources 6 Nous avons utilisé principalement pour cette recherche les ressources de l’INAthèque. Dans le catalogue des « archives de l’INA » (antérieur à 1992), le mot « chamane » n’est pas utilisé comme « descripteur » (mot-clef). Il est seulement un sous-descripteur inclus dans le domaine du descripteur « sorcier ». À partir de la création du dépôt légal en juin 1992, un descripteur spécifique est créé dans le nouveau catalogue (et même deux en raison de la double orthographe « chamane » et « chaman »). Les productions audiovisuelles faisant intervenir la figure du chamane sont principalement des films documentaires, souvent commandés par les chaînes télévisées, mais aussi des fictions destinées au cinéma, et également des émissions pédagogiques. Les désignations de genre sont celles données par les documentalistes de l’INA. Nous citons quelquefois le « résumé producteur » tiré du catalogue, c’est-à-dire une présentation du film par la société de production, et dont le texte reprend des extraits du commentaire en les synthétisant. La fabrication du chamane 7 Le mot chamane, d’origine toungouse, figure rarement dans les terminologies employées par les individus que le fabricant de films désigne sous ce terme 2. C’est à l’Occidental que revient la responsabilité de reconnaître ou non le chamane. On le voit bien dans l’explication suivante des réalisateurs du film Indo Pino tourné en Indonésie: « C'est ainsi que les Wana nomment leurs chamans : les Taw-Waliya, “les gens de la forêt”. » 3 L’Occidental voit un chamane, avec autant d’évidence qu’il reconnaît un lion ou un figuier, et ensuite seulement il s’enquiert de la dénomination locale pour nous la fournir. 8 Or le « chamane » est d’abord une figure créée par l’Occident. Si le mot lui-même vient des Toungouses, la signification et la connotation qu’il a pour nous ne sont plus les mêmes que celles qu’il pouvait avoir pour les locuteurs de ce peuple. Le Petit Robert donne du mot la définition suivante: « Prêtre-sorcier, à la fois devin et thérapeute, dans les civilisations d’Asie centrale et septentrionale et par ext. dans d’autres civilisations. » Si l’on peut, à la rigueur, faire l’hypothèse que les Toungouses tomberaient d’accord avec le début de la définition, en revanche la deuxième partie, qui donne au mot une extension géographique, est un ajout spécifiquement occidental. Le chamane est un homme qui appartient à une autre civilisation, une civilisation lointaine. Il est le prêtre ou le sorcier non pas uploads/Industriel/ stepanoff-charles-la-figure-mythique-du-chamane-dans-ses-representations-audiovisuelles-occidentales.pdf

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