Etiennette Vellas « Comparer les pédagogies » 1 Comparer les pédagogies : un ca
Etiennette Vellas « Comparer les pédagogies » 1 Comparer les pédagogies : un casse-tête et un défi Etiennette Vellas Université de Genève. FPSE À paraître dans Educateur, numéro spécial Mai 2007 Comparer les pédagogies est une tentative légitime. Mais réaliser cette analyse c’est se heurter à de multiples pratiques et discours touchant au «faire l’école, faire la classe». Des bricolages nommés pédagogies, mais aussi courants, systèmes, modèles, méthodes, pratiques. Tous qualifiés de «pédagogiques». Les classements des pédagogies sont ainsi nombreux, mais aussi fort divers, parce qu’ils varient suivant les critères retenus par des chercheurs en éducation appartenant à des communautés, elles aussi, plurielles. Ces critères dépendant aussi de la signification donnée par chacun au mot «pédagogie». Avant de comprendre comment aujourd’hui nous pouvons être appelés, dans divers lieux, à comparer ou découvrir des comparaisons de pédagogies, il est indispensable de clarifier de quoi parle-t-on. Avant de comparer les pédagogies, définir la pédagogie La pédagogie se décline en plusieurs sens aujourd’hui. 1) Il peut s’agir d’une réflexion sur l’action éducative en vue de l’améliorer, ce que Durkheim nommait déjà «théorie pratique». 2) Il peut s’agir d’une doctrine (par exemple les pédagogies Freinet, coopérative ou institutionnelle). Cette doctrine émane de la démarche précédente qui s’est systématisée. 3) Par extension, il peut s’agir aussi dans le langage courant de l’art d’éduquer ou d’enseigner (on dit par exemple : c’est un bon pédagogue). Désirer comparer les pédagogies en empruntant l’une ou l’autre de ces entrées peut, par conséquent, être possible. Mélanger ces trois catégories devient en revanche plus qu’acrobatique. D’autant plus que s’ajoute à ces Etiennette Vellas « Comparer les pédagogies » 2 représentations le terme de «pédagogisme». Ce qui brouille encore plus les cartes. D’autant plus, encore, que ce terme, comme l’analyse Daniel Hameline (2002, p. 91), est utilisé quand sont dénoncés deux objets malheureusement confondus : «les sciences de l’éducation» comme laboratoires de construction de connaissances et bureaux d’études d’aide à la décision et la «pédagogie des pédagogues», quand ces derniers ont la prétention de détenir le propos sur l’éducation ou sur l’enseignement et se font les propagandistes d’une doctrine, pour l’imposer comme la seule correcte. Est-ce à dire que le chantier pédagogique n’est aucunement structuré ? Qu’on ne dispose d’aucun moyen préalable pour pouvoir penser une démarche pédagogique en se référant à des pédagogies identifiées? Certainement pas. Et les trois modèles que nous présentons ci-dessous prouvent que les comparaisons sont possibles. Le triangle à succès de Jean Houssaye Jean Houssaye (1988), pédagogue, a proposé «le triangle pédagogique» comme modèle de compréhension du pédagogique. Celui-ci peut permettre des comparaisons, des rapprochements entre les diverses situations pédagogiques parce que toutes s’articulent autour de trois éléments — élève, savoir, enseignant — , dont deux sont prédominants sur le troisième. Le triangle pédagogique s’inscrit lui-même dans un cadre qui représente l’institution ; le rapport avec cet englobant (représenté à l’origine par un cercle touchant les trois pôles du triangle) est différent selon les processus : « enseigner », « former », « apprendre ». Cette schématisation est souvent reprise dans le champ des sciences de l'éducation. Ce triangle permet de dégager trois processus distincts selon les axes privilégiés. Lorsque l'axe Savoir/Enseignant est prédominant dans la situation pédagogique, on se situe dans le processus enseigner, le professeur Etiennette Vellas « Comparer les pédagogies » 3 dialogue avec le savoir et l'élève/apprenant est renvoyé à ce que Jean Houssaye nomme la place du mort. Lorsque l'axe Enseignant/Elève prédomine dans la situation, on se situe dans le processus former, ici c'est le savoir qui est mis à la place du mort. Lorsque l'axe Elève/Savoir prédomine, on se situe dans le processus apprendre et l'enseignant ou le formateur est renvoyé à la place du mort. Le mort dont il est question est le mort du jeu de bridge, précise Houssaye. «Autrement dit, ses cartes sont étalées sur la table et on le fait jouer plus qu’il ne joue. Mais son rôle est indispensable car sans lui, il n’y a plus de jeu. On ne peut s’en passer, mais il ne peut jouer qu’en mineur, sa place étant assignée, définie et déroulée par les autres, véritables sujets de la situation.» Chaque processus lorsqu'il est exacerbé risque de voir le mort jouer au fou: chahut et autres formes de rébellion des élèves dans le processus enseigner ; errances et séduction dans le processus former ; solitude et abandon dans le processus apprendre. Placer sur le triangle Makarenko, Freinet, Korczak et nous ! À partir de cette schématisation, on peut identifier différents modèles pédagogiques : - Sur l’axe Enseigner peut être située la pédagogie traditionnelle magistrale, mais aussi le cours très actuel qui procède par questions- réponses. - Sur l’axe Former peuvent être situées les pédagogies libertaires (Neill, Hambourg), certains pédagogues socialistes (Makarenko), certains promoteurs de l’Education nouvelle en internat (Korczak) pour qui l’important relève d’une structuration maître-élève à engendrer et à renouveler en permanence, mais qui s’appuient souvent sur des fonctions très classiques, proches d’enseigner. Sur ce même axe Former se trouvent aussi les pédagogies non directives (Rogers), les pédagogies institutionnelles (Oury et Vasquez), qui donnent une place centrale à la parole des élèves, des étudiants, au conseil aussi, comme instance génératrice d’un travail entre le maître et les élèves sur le rapport à la loi. - Sur l’axe Apprendre, se trouvent l’Education nouvelle, Freinet, le travail autonome, certaines formes de pédagogies différenciées ; mais aussi l’enseignement assisté par ordinateur (EAO), l’enseignement programmé, certaines formes de pédagogies par objectifs et de pédagogies différenciées. Pour chaque axe, les pédagogies peuvent ainsi être situées les unes par rapport aux autres, en les plaçant d’un pôle à l’autre. Les unes et les autres étant plus ou moins proches d’un des deux pôles. Ainsi, par exemple, pour l’axe Apprendre, si la priorité reste la même, les moyens Etiennette Vellas « Comparer les pédagogies » 4 mis en œuvre dans l’enseignement assisté par ordinateur ont tendance à être beaucoup plus structurés et organisés en progressions préalables que certaines pratiques de l’Education nouvelle, ce qui les rapproche de la logique Enseigner». Placées presque au point de contact avec un des sommets du triangle, il est parfois difficile de savoir si une pédagogie relève plus d’un axe ou d’un autre. Placer sa propre pédagogie sur le triangle est un exercice qui nous permet de nous situer par rapport aux divers courants pédagogiques. En nous donnant peut-être envie de nous intéresser à ceux qui nous semblent proches ou, au contraire, qui sont placés sur un autre axe. Quitte à connaître cette envie, pour certains aspects de sa pédagogie, de sauter sur l’axe d’en face. Voire de pouvoir s’installer au milieu du triangle et, possédant trois jambes, pouvoir faire un grand écart touchant aux trois axes ! Louis Not nous demande : «êtes-vous auto ? hétéro ? ou inter ? » La classification de Louis Not, qui a été successivement instituteur, professeur de classes nouvelles et de lycée, puis professeur de psychopédagogie est également intéressante : elle s’appuie sur une distinction basée sur la structuration de la connaissance. Il classe ainsi les pédagogies sur la manière dont est structuré le savoir et sur l’acteur qui en est à l’origine. Louis Not distingue dans son modèle trois grandes catégories différenciant les pédagogies : 1) Les pédagogies favorisant l’hétérostructuration de la connaissance. Dans celles-ci les enseignants transforment l’être, les savoirs sont structurés par plusieurs personnes : enseignant (exposé plutôt magistral ou interrogatif), experts de la didactique ; ou par des dispositifs qui remplacent l’enseignement (EAO). Il y a, dans cette catégorie, primat de l’action d’un agent extérieur et primauté de l’objet de savoir. 2) Les pédagogies basées sur l’autostructuration. Elles privilégient l’activité constructive de l’élève par lui-même, par l’observation ou l’invention, et les enseignants aident l’être à se (trans)former. Il y a là primat de l’action propre de l’élève, primauté du sujet. 3) L’interstructuration enfin correspond aux pédagogies dont l’enseignement intègre l’apprentissage. La connaissance est considérée comme le produit de l’activité de l’élève, l’acquérir c’est l’intégrer à sa personnalité. L’enseignant remplit une fonction de médiation entre le savoir et l’élève. Les pédagogies de ce troisième Etiennette Vellas « Comparer les pédagogies » 5 type articulent les processus enseignement et apprentissage à partir d’une centration sur l’apprenant, ses démarches et ses moyens d’apprendre. Le pédagogue agence des situations d’apprentissage pour aider l’élève à apprendre, le mettre en activité, en lui proposant des moyens pour réussir. Sous la loupe de Marguerite Altet : les pratiques des enseignants Marguerite Altet est actuellement l’une des responsables du Réseau OPEN « observations des pratiques enseignantes » avec Marc Bru et Claire Blanchard-Laville. Le propre modèle de cette chercheuse en sciences de l’éducation cerne la pédagogie en tant qu’articulation entre les processus enseignement- apprentissage dans une situation donnée par le biais de la communication, autour des savoirs et d’une finalité». Si son modèle est intéressant et lui permet de cerner différents courants qu’elle nomme, courants magistro- centriste, puero-centriste, socio-centriste, techno-centriste et centré sur l’apprentissage, relevons que sa définition de la pédagogie lui permet de placer, par exemple dans uploads/Industriel/ vellas-comparerlespedagogies 2 .pdf
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- Publié le Mai 30, 2022
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