« Hassan Fathy (1900 – 1989) et André Ravéreau (1919 - ): destins croisés » par
« Hassan Fathy (1900 – 1989) et André Ravéreau (1919 - ): destins croisés » par Leïla el-Wakil (Paru dans André Ravéreau L’atelier du désert, sous la dir de Rémi Baudouï et Philippe Potié, Marseilles, éditions Parenthèses, 2003, pp. 75-84 Préambule L’ouvrage d’André Ravéreau, Le M’Zab, une leçon d’architecture, publié en 1981 chez Sindbad, est précédé d’un texte de Hassan Fathy intitulé De l’implicite en architecture, texte résultant d’entretiens1 et faisant office de préface. Quant à l’ouvrage suivant intitulé, La Casbah d’Alger, et le site créa la ville, également publié chez Sindbad en 1989, l’année même de la mort de Hassan Fathy, il est tout simplement dédié à l’architecte égyptien en ces termes : « Ce livre est dédié à notre maître et ami Hassan Fathy. »2 De leur amitié nous ne savons que peu de choses étant donné qu’ils ne semblent s’être rencontrés que fort brièvement, lors d’une conférence que Hassan Fathy donna à Alger en 1960, Manuelle Roche ayant pour le reste servi d’intermédiaire entre les deux hommes3. Mais la petite phrase de Ravéreau traduit tout le respect qu’il porte à cet aîné que l’on qualifia de gourou, le presque légendaire Hassan Bey. Grande est la communauté d’esprit entre l’architecte français établi de longue date en Algérie et l’architecte égyptien, son aîné, dont les idées se diffusent véritablement hors d’Egypte dès la publication de la première édition en français de Construire avec le peuple en 19704, traduit et publié trois ans plus tard aux Etats-Unis sous le titre Architecture for the Poor.5 Les revues internationales consacrent alors à l’architecte 1 Nous remercions ici Manuelle Roche de nous avoir très aimablement communiqué de larges extraits de l’interview qu’elle a faite de Hassan Fathy en 1978. 2 André RAVEREAU, La Casbah d’Alger, et le site créa la ville, Paris, 1989, p. 33 3 En recueillant notamment durant une dizaine de jours d’entretien les propos de Hassan Fathy au Caire, propos desquels fut extraite la préface de l’ouvrage Le M’Zab, une leçon d’architecture 4 Traduit d’une première édition anglaise parue en Egypte et intitulée, Gourna, a Tale of two Villages, Le Caire, 1969 5 Architecture for the Poor: An Experiment in rural Egypt, Chicago, 1973. 1 quelques articles significatifs qui contribuent à sa renommée européenne et américaine. L’article de Jean Cousin dans la revue L’Architecture d’Aujourd’hui6 en 1978 marque un moment important de la réception française de Hassan Fathy. Destinés tous deux par leur formation à s’accomplir dans des formes académiques, le premier lauréat en 1926 de la très classique section d’Architecture de l’Ecole Polytechnique de l’Université de Giza, le second issu de l’agence d’Auguste Perret à Paris, tant Fathy que Ravéreau vont pourtant au gré des circonstances se détourner des courants occidentaux dominants et chercher dans l’ancestrale tradition vernaculaire du désert une leçon qui allie bon sens, économie, adéquation au lieu et au climat; Hassan Fathy répétera volontiers qu’il lui fallut dix ans pour oublier tout ce qu’il avait appris à l’école7 . Les enseignements de l’architecture cairote et nubienne traditionnelle guideront l’Egyptien dans un travail de réappropriation des valeurs architecturales autochtones, tout comme la découverte de l’architecture algéroise et mozabite ouvrira les yeux de Ravéreau sur la vérité, la justesse et la pertinence des savoir-faire issus de l’expérience de l’oasis saharienne. Sensibles tous deux avant d’autres au vaste problème de l’adéquation du bâti à son environnement, également critiques vis-à-vis de l’exportation aveugle en tous lieux des techniques modernes occidentales, ils chercheront à travers l’étude d’un patrimoine ancestral les formes et les matériaux d’une architecture qui soit en résonance avec le paysage, le climat et les usages. Fathy ira en précurseur, à l’encontre de la demande du gouverneur du Caire, dessiner des projets d’intégration pour la rue Souk el-Silakh8, dans le Caire fatimide, et formuler des recommandations à la municipalité9, puis ressuscitera les techniques millénaires des maçons nubiens permettant de construire des coupoles en briques de boue sans échafaudages. Chargé des Monuments historiques d’Algérie, Ravéreau analysera avec grande finesse la Casbah d’Alger10, mais aussi les maisons du 6 Jean COUSIN, “Hassan Fathy”, ds. L’Architecture d’Aujourd’hui, 195 (fév. 1978), pp. 42-78 7 Selon le témoignage oral de Pierre Cagna, architecte à Sion (Valais) et professeur à l’EPFL, le 10 mars 2003 8 Jean COUSIN, Op.cit., pp. 48-49 9 Ibid., “afin que tout projet nouveau lui soit confronté pour juger du caractère final de la rue, s’il s’en trouvait rehaussé ou diminué », p. 49 10 Dont il tirera plus tard l’ouvrage La Casbah d’Alger,Op. cit. 2 M’Zab pour en comprendre tous les mérites et s’inspirer de leurs qualités dans ses propres réalisations. Délibérément en marge du courant architectural dominant, penseurs davantage que constructeurs, ils ne bâtiront finalement que peu eu égard à leur notoriété : Hassan Fathy réalisera une trentaine de projets en cinquante ans d’activité, André Ravéreau moins d’une dizaine. Tous deux plaideront pour une forme d’architecture « écologique » et leur travail précurseur, intégrant les notions d’économie de la mise en oeuvre, de souci de l’environnement, de respect du lieu et de l’humain, se parlerait aujourd’hui en termes de développement durable. A l’avant-garde du mouvement écologique, suscité par le Club de Rome au lendemain des premières crises énergétiques des années ’70, mouvement qui s’incarnera dans le phénomène post-moderne des années ’80, ils se feront tous deux tribuns et ambassadeurs des valeurs culturelles tiermondistes. L’Egyptien occidentalisé qu’est Hassan Fathy et le Français arabisé qu’est André Ravéreau cultiveront tous deux à leur manière une forme d’orientalisme. Le premier, formé dans une Ecole des Beaux-Arts dont l’enseignement est basé sur la longue tradition classique européenne et particulièrement française, s’enorgueillit d’un parfait trilinguisme, ajoutant à l’arabe la connaissance courante de l’anglais et du français, s’habille chez les meilleurs tailleurs occidentaux, comme le relève James Steele11 ; par là- même on pourrait dire qu’il fait autant preuve d’exotisme en renouant avec la tradition vernaculaire égyptienne que Ravéreau formé en France, acclimaté au bassin méditerranéen par la fréquentation de la Grèce d’abord, puis par celle de l’Algérie, fasciné par le M’Zab qu’il fait redécouvrir aux autochtones, calquant sur cette vallée idyllique ses fantasmes d’enfant de Napoléon, d’Ingres et de Delacroix. En 1980 tous deux seront récompensés à divers titres pour leur contribution respective en terre islamique par la Fondation Aga Khan pour l’architecture nouvellement créée. La nature du prix ne sera certes pas la même, Hassan Fathy recevant un prix exceptionnel de 100.000 dollars saluant l’ensemble de son œuvre et de sa pensée, André Ravéreau se voyant primé pour son centre médical de Mopti au Mali, achevé en 1976. 11 James STEELE, An architecture for people. The complete works of Hassan Fathy, Londres, 1977, p. 183 3 De Gharb Assouan et du M’Zab à Gourna el Gedida et aux 1000 villages: les prototypes du renouveau architectural rural dans le Sahara Dans des pays dont l’économie reposait et repose encore prioritairement sur l’agriculture comme l’Egypte ou l’Algérie, le village et l’architecture rurale apparaissent bien évidemment comme des programmes prioritaires auxquels les architectes se doivent trouver des réponses satisfaisantes. Au sortir de ses études déjà Hassan Fathy, prédisposé par une inclination personnelle pour la chose agricole, - n’avait-il pas songé s’inscrire à la Faculté d’Agronomie avant de s’engager dans celle d’Architecture ?-, participe à plusieurs expériences (exposition de Mansoura, ferme de la société d’agriculture, maison- témoin du village d’Ezbet el-Basry), avant d’être désigné par le Ministère des Affaires culturelles comme la personne ad hoc pour construire un nouveau village, Gourna el Gedida, auquel il devra sa renommée internationale. En effet tant l’expérience du Nouveau Gourna que le livre qui en résulta, quelques vingt-deux ans plus tard, feront le tour du monde. D’abord intitulé dans la version anglaise publiée en Egypte, Gourna, a Tale of two villages12, cet ouvrage sera traduit l’année suivante en français sous le titre Construire avec le peuple. Histoire d’un village d’Egypte : Gourna, puis publié une nouvelle fois en anglais en 1973 et intitulé de façon plus percutante encore Architecture for the Poor: An Experiment in rural Egypt13. Hassan Fathy y relate l’expérience tentée en Haute Egypte, sur la rive gauche du Nil, en face de Louxor, dans l’immédiat après-guerre et demeurée pendant longtemps unique dans un pays de ce qu’il était alors convenu d’appeler le Tiers Monde. L’histoire de la construction d’un village égyptien nous y est contée dans ce qu’elle renoue avec les traditions typologiques et constructives vernaculaires. A l’évidence l’expérience dépasse le champ de l’architecture et de la planification urbaine et s’inscrit profondément dans le contexte social ; elle tisse un territoire anthropologique, qui implique fortement l’usager qu’est le fellah égyptien, et participe d’une réflexion sur le mode de vie paysan de laquelle tout sursaut anticolonialiste n’est sans doute pas absent. 12 Hassan FATHY, Gourna, a Tale of two villages, Le Caire, 1969. Traduit l’année suivante et publié chez Sindbad sous le titre Construire avec le peuple. Histoire d’un village d’Egypte : Gourna , Paris, Sindbad, 1971. 13 Cf. note 5. 4 C’est un faisceau de raisons qui vont du bon sens populaire, à des logiques économique, constructive, climatique, qui uploads/Ingenierie_Lourd/ andr-rav-reau-et-hassan-fathy.pdf
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- Publié le Fev 18, 2021
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