1 Architecture et contrôle de l’ensoleillement Daniel Siret, Amina Harzallah CE
1 Architecture et contrôle de l’ensoleillement Daniel Siret, Amina Harzallah CERMA - UMR CNRS 1563 Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes, Rue Massenet, BP 81931, F-44319 Nantes Cedex 3 email : daniel.siret@cerma.archi.fr Résumé : Cet article propose quelques éléments de compréhension de la question du contrôle de l’ensoleillement à travers l’histoire de l’architecture au XXe. Nous évoquons l’élan solaire dans les théories hygiénistes au début du siècle, en décrivant l’exemple de la théorie héliothermique (A. Rey, 1928) et celui des immeubles à gradins de H. Sauvage. Nous rappelons ensuite la problématique de la maîtrise de l’ombre et la genèse du brise-soleil chez l’architecte Le Corbusier, suite aux difficultés thermiques posées par les premiers pans de verre des années 1930. Enfin, nous montrons comment les questions solaires et climatiques sont prises en compte dans les projets indiens de Le Corbusier, avec notamment la méthode de la grille climatique et les tracés solaires de I. Xenakis. Mots-clés : Architecture, Histoire, Ensoleillement 1. Introduction La question du confort d’été pose le problème du contrôle de l’ensoleillement dans les bâtiments. La dimension technique de cette question est bien connue. Sa dimension culturelle et historique l’est sans doute moins. Interroger la problématique du contrôle de l’ensoleillement telle qu’elle traverse, avec des mouvements divers, l’histoire des cent dernières années, n’est pourtant pas sans éclairer la période contemporaine. Cet article propose quelques pistes permettant d’aborder cette histoire de l’ensoleillement. Nous y intégrons différentes études et recherches menées depuis quelques années, notamment autour de la figure de Le Corbusier. Nous montrerons comment évoluent parallèlement la nature des questions d’ensoleillement en architecture et les dispositifs de contrôle solaire. Nous présentons en premier lieu l’élan solaire de la période hygiéniste, en décrivant l’exemple de la théorie héliothermique (A. Rey, 1928) et celui des immeubles à gradins de H. Sauvage. Nous développons ensuite la question de la maîtrise de l’ombre et la genèse du brise-soleil chez Le Corbusier, suite aux difficultés posées par les premiers pans de verre des années 1930. Enfin, nous montrons comment les questions solaires et climatiques sont prises en compte dans les projets indiens de Le Corbusier avec la méthode de la grille climatique et les tracés solaires de I. Xenakis. 2. L’élan solaire dans les théories hygiénistes au début du XXe siècle Durant la deuxième moitié du dix-neuvième siècle et jusqu'au début du vingtième siècle, les villes européennes sont le théâtre d'une succession de maladies épidémiques. Hommes de science et philanthropes dénoncent l'insalubrité des logements des villes qu’ils suspectent d’être des foyers d’infection. Les découvertes médicales (Pasteur, Koch) montrent l’influence de l’air et de la lumière sur le bacille de la tuberculose et mettent en avant l’ensoleillement comme facteur microbicide. Dès lors, l’habitation devient l’un des axes de la prophylaxie sociale de la tuberculose, décrite comme maladie de l’obscurité. C’est dans ce contexte qu'une ardente mobilisation du soleil va s'installer en architecture et en urbanisme. De nombreuses publications témoignent de cet élan solaire au tout début du vingtième siècle. Les préconisations des auteurs portent avant tout sur la forme urbaine permettant le meilleur accès au soleil en toute saison : orientations et gabarits des voies supposés optimaux, organisations du front bâti supposées augmenter l’accès au soleil (gradins, redents), etc. Le principal objectif est alors d’optimiser l’accès au soleil dans les bâtiments, en toute saison, l’idéal hygiéniste reléguant au second plan la question des surchauffes d’été. L’une des théories les plus emblématiques de ce mouvement est sans doute celle proposée en 1928 par A. Rey, J. Pidoux et C. Barde, dans un ouvrage dont le titre indique le caractère positiviste : La Science des plans de villes (Rey et al, 1928). La théorie héliothermique, supposée conduire à une optimisation solaire des tracés urbains, constitue l’un des fondements de l’ouvrage. Elle est basée sur le constat que la température maximale de l’air (ce que les auteurs appellent « la vague thermique ») n’est pas strictement superposée au maximum des flux solaires. Ce décalage entre irradiation maximale et température maximale justifie, selon les auteurs, la nécessité de définir une nouvelle unité de mesure, la « valeur héliothermique », produit de la durée d’ensoleillement en un point par la température moyenne de l’air pendant cette durée. De manière catégorique, Rey, Pidoux et Barde établissent qu’au nom de l’égalité héliothermique des façades, l’orientation optimale des bâtiments se situerait autour de 20° par rapport à l’axe nord-sud (19° à Paris), la façade est étant décalée vers le sud et la façade ouest vers le nord. IBPSA France 2006 à La Réunion – 2&3 Novembre 2006 - 2 - Les auteurs donnent des exemples d’application de réorganisation des villes, notamment Paris, suivant l’axe héliothermique. Ils proposent de conserver les voies principales, les places, les parcs et tous les édifices publics, puis de lotir les terrains suivant des barres parallèles orientées dans la direction héliothermique, en supprimant les cours fermées et en agrandissant les surfaces de jardin (figure 1). Figure 1 : Réaménagement héliothermique d’un quartier de Paris (Rey et al, 1928) Ces propositions ont suscité d’importantes controverses parmi les théoriciens de l’urbanisme. Certains adhèrent à la théorie héliothermique dans ses principes, comme l’ingénieur Edmond Marcotte ou l’architecte André Gutton. Mais c’est sans doute Le Corbusier qui a contribué le plus à faire connaître la théorie de Rey, en définissant l’axe héliothermique comme « l’armature du tracé urbain » (1935). Le Corbusier reprend ainsi à son compte la théorie de La Science des plans de villes (sans d’ailleurs jamais en citer les auteurs), et met en œuvre l’axe héliothermique comme principe fondamental pour l’orientation de la Ville radieuse dès 1930. Il l’utilise explicitement ou implicitement dans plusieurs projets urbains des années 1930 (notamment le plan pour la rive gauche de l’Escaut à Anvers en 1933) et contribue à diffuser largement cette théorie à travers La ville radieuse publiée en 1935. Ce principe perdure implicitement dans son œuvre jusqu’au début des années 1940 ; on peut ainsi montrer que le premier projet pour l’unité d’habitation de Marseille, en 1945, est orienté selon l’axe héliothermique. L’abandon assez discret de la théorie de l’axe héliothermique par Le Corbusier (il ne s’en explique pas) peut être interprété de plusieurs manières. D’une part, le rôle de l’ensoleillement dans la prévention de la tuberculose est devenu négligeable après l’invention de la pénicilline à la fin des années 1920. D’autre part, Le Corbusier se trouve alors confronté à la question de l’excès de chaleur derrière les façades de type pans de verre, et concentre ses recherches sur le dispositif du brise- soleil dont nous parlons plus loin. Enfin, les théories de Rey ont été violemment contestées au début des années 1940 par Gaston Bardet, qui estime que le principe de valeur héliothermique est physiquement vide de sens, faux et simpliste. Bardet compare Rey à un hydraulicien qui multiplierait la hauteur d’une chute d’eau par la durée de l’écoulement, en oubliant le débit ! Plus de 75 ans après la publication de La Science des plans de villes, nous disposons des connaissances et des moyens techniques facilitant l’élucidation des principales questions solaires qui se posent en matière d’architecture et d’urbanisme. La transcription de la théorie héliothermique en termes physiques nous a conduit à simuler, à l’aide du logiciel Solène, les températures de surfaces des façades d’un immeuble fictif (simple paroi de pierres, sans ouvertures) orienté par pas de 10° autour de l’axe nord-sud. Les hypothèses choisies sont conformes aux simplifications de La Science des plans de villes. Dans ces conditions, il a été possible de montrer que les intuitions de Rey étaient partiellement vérifiées : du fait de l’augmentation de la température dans la journée, la façade ouest d’un immeuble orienté exactement nord-sud s’échauffe légèrement plus que la façade est, ensoleillée durant la même durée. La différence n’est cependant sensible qu’en mars et juin, et quasi nulle en décembre. Cependant, contrairement à ce qu’affirment les auteurs de La Science des plans de villes, l’orientation héliothermique ne permet pas de réguler ces différences. Elle tend à augmenter sensiblement la température de la façade sud-est toute l’année sauf en été (2°C environ), et à diminuer celle de la façade nord-ouest, si bien qu’au final, elle accentue la différence entre les deux façades la plupart du temps. L’axe héliothermique ne réalise la « symétrie thermique » de l’immeuble qu’en été, amplifiant aux autres dates l’écart de températures entre les deux façades par rapport au cas de référence. L’analyse des températures moyennes horaires sur l’année confirme ce résultat ; l’axe héliothermique introduit en effet un déséquilibre thermique en faveur de la façade sud-est, bien supérieur au déséquilibre thermique « naturel » en faveur de la façade Ouest de la situation de référence. L’exemple de La Science des plans de villes illustre bien l’opposition mise en évidence par B. Barraqué (1988) entre les hygiénistes comme Rey, partisans du maximum d’ensoleillement en termes de durée d’exposition et peu soucieux des réalités physiques, et les « climatistes » comme Marboutin, qui considèrent, en plus de la durée d’exposition, l’angle d’incidence du soleil à chaque instant et l’énergie effectivement transmise. uploads/Ingenierie_Lourd/ architecture-et-controle-de-l-x27-ensoleillement.pdf
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- Publié le Mai 01, 2022
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