Alberto Sartoris, la photographie et l’architecture Symptômes et paradoxes Anto

Alberto Sartoris, la photographie et l’architecture Symptômes et paradoxes Antoine Baudin Table des matières Alberto Sartoris, la photographie et l’architecture ........1 Symptômes et paradoxes ....................................................... 1 Un miroir du Mouvement moderne .................................. 1 Sartoris architecte : sélection et occultation ..................... 3 Sartoris photographe : au service de la filiation ............... 5 Bibliographie ............................................................................ 6 L’auteur ..................................................................................... 8 Zusammenfassung .................................................................. 8 Riassunto .................................................................................. 8 Alberto Sartoris, la photographie et l’architecture Symptômes et paradoxes Conservées aux Archives de la construction moderne à l’EPFL (Acm), les abondantes archives de l’architecte italo-suisse Alberto Sartoris (1901-1998) donnent à la photographie une place considérable mais d’interprétation diverse et parfois paradoxale. On y distinguera un corpus principal identifié, à vocation publique, et plusieurs sous-ensembles mal connus, de nature plus privée, qui impliquent Sartoris architecte, pro- moteur, historiographe et même photographe. Chacun questionne à sa manière les relations entre le médium photographique et l’architecture. Un miroir du Mouvement moderne L’ensemble le plus spectaculaire est certes la collection de « photogra- phies d’architecture moderne », forte de plus de 8000 tirages originaux réunis trente années durant pour la publication des grandes anthologies promotionnelles qui ont d’abord valu à Sartoris sa notoriété internationale : les trois éditions progressivement augmentées des Elementi dell’architettura funzionale (1932-1941), puis, chez le même éditeur Hoe- pli à Milan, les trois volumes de l’Encyclopédie de l’architecture nouvelle (1948-1957), un panorama visuel de 2300 images pour la plupart photo- graphiques. On sait que cette entreprise éditoriale d’une ampleur inégalée a contribué à fixer le corpus canonique du Mouvement moderne interna- tional. La collection lui est indissociablement liée, dans sa substance à la fois physique (le format des tirages en noir et blanc, rarement supérieur à 18 Å~ 24 cm, leur éventuelle préparation pour la reproduction) et histo- rique. Elle illustre les travaux de quelque 650 architectes modernistes du monde entier, à commencer par les pionniers puis les leaders des années Antoine Baudin Alberto Sartoris, la photographie et l’architecture - 1 - 1920 à 1950(1). Les réalisations paradigmatiques y côtoient une majorité d’objets oubliés et non moins intéressants. L’Italie y domine décidément (2500 photos), suivie par l’Espagne (600 pièces), la Grande-Bretagne et la Suisse (500). A signaler aussi la rareté extrême de certains tirages, parfois même réputés uniques, comme certaines séries polonaises (activité du groupe varsovien Praesens) ou espagnoles (travaux d’Aizpúrua et Labayen à San Sebastián) (fig. 1)(2). C’est là un indice de la responsabilité historique par- ticulière du genre tout entier, dès lors que toute architecture nouvelle ne justifiait en principe qu’une seule séquence photographique de référence, prise entre la fin du chantier et la profanation annoncée des lieux par ses usagers. Outre son importance documentaire et esthétique, l’ensemble éclaire plus largement tout un versant de l’histoire de l’architecture au XXe siècle : les mécanismes de fabrication et de promotion de l’image de celle-ci, ainsi bien sûr que le rôle déterminant dévolu à la photographie dans ce pro- cessus. De même ces vues, signées par plus de 400 photographes pour la plupart méconnus, témoignent des relations historiques complexes entre architecture et photographie, dans un contexte où cette dernière lutte pour son autonomie. La collection et ses premiers usages ont été décrits dès 2003(3), la plupart de ses pièces sontmaintenant accessibles online (http://athanase.epfl.ch). Je me contenterai donc d’en rappeler quelques caractéristiques du point de vue de la photographie d’architecture. D’abord le corpus documente bien, à l’échelle mondiale et sur trois géné- rations au moins de praticiens, l’ambivalence des fonctions dévolues au genre, entre documentation technique, valorisation esthétique et (rare- ment) interprétation personnelle, ainsi que leur évolution durant cette période. Partout se met alors en place une manière de standard visuel fondé sur l’usage d’un même matériel – la grande chambre reste une norme quasi absolue – et des procédures de la photographie technique, industrielle et commerciale, une raison sociale que revendique d’ailleurs la majorité des photographes. La technique traditionnelle vient ainsi s’adapter, sans rupture formelle, à la représentation des valeurs matérielles et spatiales de la nouvelle architecture. C’est ce que montre la pratique évolutive des studios les mieux établis, tels Wolf-Bender à Zurich (fig. 2), Boissonnas à Genève, Vasari à Rome ou Chevojon à Paris. Au fil des années 1930, coeur de la collection, paraît s’instaurer une adéquation générale entre l’intention architecturale moderniste et sa valorisation pho- tographique, d’exécution technique toujours impeccable : l’incarneraient un Hans Finsler à Zurich, Arthur Köster à Berlin, Jan Kamman à Rot- terdam, Martin Gerlach à Vienne, Zoltán Seidner à Budapest (fig. 3), Rudolf de Sandalo à Brno, Crimella à Milan, Mazzoletti à Côme, Dell & Wainwright à Londres (fig. 4) ou encore Hedrich & Blessing à Chicago (fig. 5), puis bientôt Guillermo Zamora à Mexico, pour ne mentionner que quelques spécialistes très présents dans la collection. Ces conventions éminemment « professionnelles » ne feront que se renforcer après 1945, notamment avec les effets d’un nouveau modèle « américain » qui conjugue performance technique et mise en scène spectaculaire (Ezra Stol- ler, Julius Shulman). Mais l’évolution conjointe des formes architecturales Antoine Baudin Alberto Sartoris, la photographie et l’architecture - 2 - et de la photographie d’auteur stimulera aussi une personnalisation de la représentation, par exemple chez Lucien Hervé à Paris, Armando Salas Portugal à Mexico ou Francesc Català Roca à Barcelone (fig. 6). La nature concrète du corpus permet en tout cas de questionner une homologie volontiers présentée comme allant de soi dans l’historiographie embryonnaire de la photographie d’architecture moderne, entre Nouvelle architecture et Nouvelle vision, au sens de l’avant-garde des années 1920. Rares sont dans la collection – et dans tout le circuit de diffusion du Mouvement moderne – les photographes actifs au sein de la Nouvelle photographie, sauf avec des travaux marginaux et « conformes » (Man Ray, André Kertész, etc.). Le cas échéant, la dimension expérimentale (angle, cadrage, lumière, textures, etc.) transparaît de manière médiate dans leur travail, par exemple chez un Finsler ou un Kamman : la « modernité » de leurs images tiendra tout autant à la photogénie même des sujets et leur « vérité » est sans doute à chercher, comme dans le cas aussi emblématique que singulier d’un Sigfried Giedion, « au-delà de la Neue Sachlichkeit et du Neues Sehen ».(4) Rares sont aussi les architectes, fussent-ilseuxmêmes photographes ou grands manipulateurs d’images, réellement ouverts à une telle interaction. A l’instar d’un Le Corbusier, ils semblent plutôt nourrir une vision instru- mentale du vulgaire « service » technique et commercial que constitue à leurs yeux l’opération photographique, tout en cherchant bien sûr à maî- triser celle-ci en amont comme en aval.(5) Symétriquement, on constatera la disponibilité considérable de la plupart des photographes en question et leur aptitude à mettre en images également efficaces des architectures théoriquement antinomiques : ainsi les deux photographes favoris du même Le Corbusier au cours des années 1930, Marius Gravot (Pavillon suisse de la Cité universitaire, villa Savoye), puis Albin Salau?n, qui tra- vaillent aussi bien pour la concurrence (Perret, Lurçat) que pour l’« enne- mi » art déco ou néo-académique. A noter enfin que toutes les photos du corpus ont été collectées auprès des architectes – seuls responsables du choix des images fournies – jamais auprès des photographes. Qui plus est, la documentation notamment épistolaire qui l’accompagne ne comporte pratiquement aucune apprécia- tion sur les photographies ou sur leurs auteurs, presque jamais nommés non plus. Sartoris ne les créditera dans aucune de ses publications. Ces circonstances confirment une évidence : la précarité historique, identitaire et statutaire de la photographie d’architecture est inversement proportion- nelle au poids fonctionnel de ses usages. Divers indices ont cependant montré cette dernière décennie une indéniable progression de sa recon- naissance, d’abord dans les pays aux traditions les plus riches en cette matière,(6) mais aussi en Suisse, avec notamment la publication des monographies longtemps attendues de Finsler et de Giedion. Sartoris architecte : sélection et occultation L’indifférence avérée du compilateur Sartorispour le langage et la sub- stance visuelle de la photographie d’architecture – et de la photographie en général, comme le montre l’état de ses archives et de sa bibliothèque – Antoine Baudin Alberto Sartoris, la photographie et l’architecture - 3 - contraste vivement avec l’usage qu’il en a dans son oeuvre de propagande. Et jamais ce médium n’accèdera à la dignité de cet « art moderne » dont il souligne régulièrement la communication organique avec l’architecture. En revanche, il lui arrive de s’intéresser au cinéma.(7) Son attitude face à l’image photographique de ses propres constructions pourrait apporterun éclairage complémentaire. Je me limiterailà encore à quelques remarques. D’abord pour rappeler la concurrence des tech- niques graphiques que privilégie l’architecte, en particulierl’axonométrie, représentation présumée rationnelle, « exhaustive » et idéale, au-delà des contingences du projet concret et surtout de sa réalisation, et que Sartoris érigera au rang d’oeuvre d’art autonome.(8) Ce primat du dessin s’exprime aussi dans son travail par la prédominance écrasante des projets de nature « idéale » : sur 250 projets documentés dans ses archives, 70 environ auraient été réalisés, de statuts et de programmes très divers (dont un quart de rénovations). La plupart n’ont jamais uploads/Ingenierie_Lourd/ article-photographie.pdf

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