COMPRENDRE 18 l e s c a u l e r p e s Les caulerpes un genre envahissant En Méd

COMPRENDRE 18 l e s c a u l e r p e s Les caulerpes un genre envahissant En Méditerranée, il suffit de plonger pour rencontrer les caulerpes accusées de tant de maux. Mais que sont-elles réellement ? CALYPSO LOG n° 222/3 1/03/04 10:10 Page 18 COMPRENDRE 19 l e s c a u l e r p e s Le succès des caulerpes Les caulerpes envahissantes L’envahisseur envahi Histoire de caulerpes en Méditerranée La vie dans la prairie de Caulerpa taxifolia en Méditerranée Une reproduction au gré des courants Les fonds marins vus du ciel 20 24 28 35 40 44 50 Dossier réalisé par Jean Jaubert, professeur de biologie marine. CALYPSO LOG n° 222/3 1/03/04 10:10 Page 19 Cette Caulerpa taxifolia, cultivée sans sol, dans un milieu nourricier, montre sa pseudo-feuille pennée qui ressemble à celle de l’if (d’où le nom de “taxifolia” qui signifie “feuille d’if” en latin), sa tige horizontale rampante (stolon) et ses pseudo-racines dénommées rhizoïdes. Les organes de cer- taines algues, notamment ceux des caulerpes, ressemblent aux feuilles, aux tiges et aux racines des plantes supé- rieures, mais sans en avoir la structure. C’est la raison pour laquelle on parle de pseudo-feuilles, de pseudo-tiges et de pseudo-racines. omme toutes les végétaux chlorophyl- liens, les caulerpes absorbent du gaz carbonique et produisent de l’oxygène. Comme les autres algues, elles absorbent des substances nutritives en solution dans l’eau, mais leur spécificité est de puiser l’essentiel de leur nourriture dans le sol, comme les plantes terrestres. À cet effet, elles utilisent des organes ramifiés, les rhizoïdes, qui fonctionnent comme des racines (voir encadré page 22). Cette propriété, découverte en 1996 (1), a permis de mieux comprendre les raisons d’un com- portement qui a longtemps semblé étrange et déroutant : leur capacité à proliférer sur certains types de fonds marins, notamment pollués. > Une cellule géante en forme de tube Pour utiliser les substances nutritives qu’elles puisent dans le sol, les caulerpes doivent les transporter jusque dans leurs pseudo-feuilles, siège de la photosynthèse. Chez les plantes supérieures, cette fonction est assurée par un liquide, la sève, qui circule dans des canaux. Chez les algues, où il n’y a ni sève ni canaux, aucun transport n’est possible. Seules les caulerpes échappent à cette contrainte grâce à leur structure très particulière. Chaque individu est une cellule géante en forme de tige rampante tubulaire dont la longueur peut dépasser deux mètres. Les rhizoïdes et les pseudo-feuilles sont de simples excroissances de ce tube rempli d’une gelée vivante, le cytoplasme, dans laquelle flottent des millions de noyaux. Lorsque la plante est coupée, cette gelée s’écoule mais coagule rapidement au contact de l’eau, formant un bouchon qui arrête l’hémorragie. Sans ce processus, qui évoque la coagulation du sang, une caulerpe blessée perdrait toute sa substance et ne pourrait survivre. > Une croissance en rampant La croissance des caulerpes est généralement rapide, mais elle n’a rien d’exceptionnel. De C Les caulerpes sont des algues vertes parfois envahissantes mais dont les propriétés sont étonnantes. Aujourd’hui elles sont présentes partout dans le monde. Quel est leur secret ? Cette Caulerpa taxifolia, cultivée sans sol, dans un milieu nourricier, montre sa pseudo-feuille pennée qui ressemble à celle de l’if (d’où le nom de “taxifolia” qui signifie “feuille d’if” en latin), sa tige horizontale rampante (stolon) et ses pseudo-racines dénommées rhizoïdes. Les organes de certaines algues, notamment ceux des caulerpes, ressemblent aux feuilles, aux tiges et aux racines des plantes supérieures, mais sans en avoir la structure. C’est la raison pour laquelle on parle de pseudo-feuilles, de pseudo-tiges et de pseudo-racines. Le succès des caulerpes COMPRENDRE 20 l e s c a u l e r p e s © J. Jaubert CALYPSO LOG n° 222/3 1/03/04 10:10 Page 20 nombreuses algues, comme les laminaires géantes, et plantes terrestres, comme les bam- bous, les lianes et autres plantes grimpantes, poussent beaucoup plus vite. En matière de croissance, l’originalité des caulerpes réside dans le fait qu’elles perdent d’un côté ce qu’elles gagnent de l’autre. Lorsque ces algues sont parvenues à leur taille adulte, le gain de toute feuille qui pousse à l’extrémité antérieure du stolon est compensé par la perte d’une vieille feuille qui se nécrose à l’extrémité postérieure de ce même stolon. Ainsi, filmées en accéléré, ces algues, dressées sur leurs rhizoïdes, semblent ramper sur le sol comme de gigantesques mille-pattes. En fonctionnant de cette manière, les caulerpes injectent rapidement dans le réseau trophique (chaîne alimentaire) la matière organique qu’elles fabriquent en utilisant les substances nutritives qu’elles extraient du sol. Ce processus permet à l’espèce Caulerpa taxifolia - qui n’est généralement pas consommée par les herbi- vores parce qu’elle contient des substances répulsives et (ou) toxiques - de contribuer de façon très significative au développement de la faune des lieux où elle se développe. Cette contribution se fait par le biais des microorga- nismes qui décomposent très rapidement les feuilles mortes et inactivent les toxines qu’elles contiennent. Ces microorganismes sont ensuite consommés par de petits inverté- brés (vers et crustacés) qui eux-mêmes sont la proie des poissons. Ainsi, dans les zones où elles prolifèrent - généralement des fonds sédimentaires pollués par des rejets domes- tiques - le développement des prairies de caulerpes entraîne une augmentation rapide de la biomasse et de la biodiversité. > Des plantations de caulerpes Cette constatation, faite il y a une vingtaine d’années à propos de Caulerpa prolifera (espèce que l’on rencontre de la Méditerranée à la Floride en passant par les Caraïbes) avait conduit le biologiste niçois Alexandre Meinesz à planter cette algue, devenue rare sur la Côte d’Azur, pour régénérer des fonds Les nutriments du sol (1) sont assimilés par la caulerpe au niveau de la rhizosphère grâce à ses pseudo-racines, ou rhizoïdes ( ). Alors qu’à la partie antérieure du stolon de nouvelles pseudo-feuilles apparaissent, la partie postérieure se décompose et la matière organique entre dans la chaîne alimentaire . 1 1 2 2 3 3 4 4 5 5 6 6 Comment la caulerpe grandit COMPRENDRE 21 l e s c a u l e r p e s Ce dispositif expérimental permet d’étudier les variations de l’intensité de l’activité des bactéries de la rhizosphère. Cette activité produit suffisamment de chaleur pour qu’il soit possible de la mesurer à l’aide d’un thermomètre différentiel très sensible. Au moment de la prise de vue, le thermomètre affichait une différence de 0,13 ° C. L’activité des bactéries est plus intense pendant la journée que pendant la nuit. Un apport de substances nutritives dérivées de la photosynthèse pourrait expliquer ce phénomène. © J. Jaubert © J. Jaubert CALYPSO LOG n° 222/3 1/03/04 10:10 Page 21 Pseudo-racines et bactéries associées dévastés par la pollution. Ainsi, de 1974 à 1983, ce biologiste et les scientifiques avec lesquels il collaborait de façon plus ou moins directe ont-ils planté des Caulerpa prolifera sur la Côte d’Azur et dans les Bouches-du- Rhône. La dernière plantation, signalée dans un document publié, fut faite dans les eaux monégasques, en 1983. Les résultats de ces travaux, considérés comme très positifs par leurs auteurs, notamment le fait que cette caulerpe soit capable de recouvrir rapidement le fond d’un tapis verdoyant, sont consignés dans divers rapports et articles scientifiques. Aussi est-il quelque peu surprenant de constater que ces mêmes auteurs furent très alarmés de voir Caulerpa taxifolia, et plus récemment Caulerpa racemosa, se répandre en Méditerranée. Et ceci d’autant plus que Caulerpa prolifera fait partie, comme son nom l’indique, des nombreuses espèces qui peuvent se montrer envahissantes. Au début du siècle dernier, elle proliférait de Cannes à Menton et le naturaliste Raphelis (1925), cité par Alexandre Meinesz dans sa thèse de doctorat, écrivait : "La végétation de Caulerpa se déplace le long du rivage sur deux à trois kilomètres et envahit la rade et le port de Cannes". Il y a plus de 75 ans, cet auteur accusait les pêcheurs d'accélérer cette invasion en rejetant les algues qui encombraient leurs filets. Ces propos prennent un relief particulier à la lumière de ce que l’on a pu lire et relire à propos de l’expansion de Caulerpa taxifolia. > L’impact de Caulerpa taxifolia en méditerranée Lorsque Caulerpa taxifolia forme des prairies très denses, ce qui arrive souvent, l’augmen- tation globale de la richesse du fond a l’inconvénient d’entraîner la raréfaction d’espèces commerciales inféodées au sable comme les soles et les rougets. Mais comme les surfaces concernées sont infimes, ce phénomène n’a aucun impact mesurable sur la pêche. La grande nacre, Pinna nobilis, espèce protégée, se développe très bien dans les prairies de Caulerpa taxifolia. On y rencontre Caulerpa taxifolia utilise ses rhizoïdes pour se fixer et surtout pour absorber les substances nutri- tives organiques et inorganiques contenues dans le sol. Cette absorption fait appel à des mécanismes complexes dont la nature exacte est loin d’avoir été élucidée. Chaque rhizoïde trans- forme, de façon radicale, la portion de substrat (rhizosphère) dans laquelle il pénètre et se ramifie. Celle-ci noircit et devient anoxique (sans oxygène) sous l’effet d’une activité bactérienne très intense et consommatrice d’oxygène. On s’interroge uploads/Ingenierie_Lourd/ caulerpes-calypsolog-2004.pdf

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