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HAL Id: halshs-00005830 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00005830 Submitted on 20 Nov 2005 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Comment décrire les objets techniques? Madeleine Akrich To cite this version: Madeleine Akrich. Comment décrire les objets techniques?. Techniques et culture, Éditions de la Maison des sciences de l’homme 1987, pp.49-64. ￿halshs-00005830￿ 1 COMMENT DECRIRE LES OBJETS TECHNIQUES? Madeleine Akrich Techniques et Culture, 9, 49-64, 1987 Plusieurs auteurs se sont intéressés à la manière dont la technique peut prolonger dans l'espace et le temps l'action politique (1). Nous nous proposons d'inverser cette hypothèse et de montrer comment, loin de ne représenter que des appendices sur un dispositif politique pré-éxistant, les objets techniques ont un contenu politique au sens où ils constituent des éléments actifs d'organisation des relations des hommes entre eux et avec leur environnement. Les objets techniques définissent dans leur configuration une certaine partition du monde physique et social, attribuent des rôles à certains types d'acteurs - humains et non-humains - en excluent d'autres, autorisent certains modes de relation entre ces différents acteurs etc... de telle sorte qu'ils participent pleinement de la construction d'une culture, au sens anthropologique du terme, en même temps qu'ils deviennent des médiateurs obligés dans toutes les relations que nous entretenons avec le "réel". Nous nous attacherons à déterminer les conséquences de cette hypothèse sur la nature des descriptions que les sciences humaines peuvent proposer des objets techniques. Bien que sciences et techniques soient souvent associées dans le langage courant, elles présentent des physionomies fort différentes. Les sciences renvoient à l'extérieur du monde social et se veulent l'expression d'une vérité non soumise aux contingences de la vie humaine. De là un certain nombre de tâches que la sociologie des sciences s'est définie: l'analyse fine du travail du scientifique, la mise en évidence de l'hétérogénéité des ressources qu'il manipule et associe, la re-construction des mécanismes par lesquels il étend le domaine de pertinence d'un savoir localisé jusqu'à lui faire atteindre le statut de vérité universelle et intemporelle... Le sociologue des techniques se trouve devant un objet qui, bien que clairement défini dans son aspect physique, n'en est pas moins curieusement insaisissable: les objets techniques se donnent d'emblée comme composites, hétérogènes; mi-chair, mi-poisson, on ne sait par quel bout les prendre. Ils renvoient toujours à une fin, une utilisation pour laquelle ils sont conçus, en même temps qu'ils ne sont qu'un terme intermédiaire sur une longue chaîne qui associe hommes, produits, outils, machines, monnaies... Même l'entrée dans les contenus proprement techniques ne permet pas de faire une mise au point parfaite qui substitue à cette image floue aux contours mal définis la vision simultanée et détachée de l'objet et du "fond" sur lequel il s'inscrit. Sans aller aux cas extrèmes, comme 2 ceux analysés par B. Latour et L. Winner, où la forme de l'objet technique épouse strictement la volonté politique d'un groupe social (2), il suffit de considérer les objets les plus banaux qui nous entourent pour constater que leur forme est toujours le résultat d'une composition de forces dont la nature est des plus diverse. La résistance des matériaux qui sont utilisés pour la construction des voitures est en rapport avec la violence supposée des chocs qu'ils peuvent avoir à subir, lesquels chocs sont liés à la vitesse des véhicules, qui elle-même est le résultat d'un compromis complexe entre performances des moteurs, réglementation en vigueur, moyens mis en oeuvre pour la faire respecter, valeur attribuée aux différents comportements individuels... En retour, l'état d'une carosserie devient ce par quoi on (les experts des assurances, la police, les badauds etc) évalue la conformité d'un comportement à la norme dont elle est une matérialisation. Nous voyons déjà sur ce petit exemple que l'objet technique est la mise en forme et la mesure d'un ensemble de relations entre des éléments tout-à-fait hétérogènes. Décrire en ces termes l'ensemble du véhicule automobile requerrait un travail colossal. Il y aurait sans doute quelque satisfaction esthétique à considérer un grand tableau où partant de boulons et d'écrous, de pistons et de bielles, de pignons et de courroies, on arriverait en certains endroits au mode de scrutin électoral, à la stratégie des grands groupes industriels, à la définition de la famille ou à la physique des solides... Tout au long de notre enquête, nous trouverions probablement une foule d'indicateurs (hommes, textes, objets...) prêts à effectuer pour nous une traduction supplémentaire qui étendrait encore un peu plus le réseau constitué; et tant qu'il s'en présenterait, au nom de quel principe les refuser autre que l'arbitraire lassitude de l'analyste? Outre la durée indéfinie d'un tel travail, la question principale qui se pose est celle de son intérêt; il y a fort à parier que, de cette grande fresque se dégagerait une impression de banalité: l'automobile adhère tellement au monde dans lequel nous vivons que sa sociographie (c'est-à-dire la mise en évidence de l'ensemble des liens qu'elle effectue) se présenterait comme une constellation de lieux communs, c'est-à-dire d'endroits où éléments techniques, sociaux, économiques etc se superposent rigoureusement, l'acteur étant libre à un moment donné, en fonction de la relation particulière dans laquelle il est pris, d'accomoder sur l'un ou l'autre élément, d'utiliser l'un ou l'autre registre (3). Or, c'est précisément à cet endroit que se joue l'"efficacité" d'un objet technique, dans ce clignotement incessant entre "intérieur" et "extérieur". L'objet technique ne peut pas plus être confondu avec un dispositif matériel qu'avec l'ensemble des usages "remplis" par ce dispositif: il se définit très exactement comme le rapport construit entre ces deux termes. Si nous voulons décrire ces mécanismes de prise élémentaire, il nous faut nous éloigner de ces zones où les mouvements sont trop bien ajustés les uns aux autres; il nous faut introduire une distance, une discordance là où tout et tous adhèrent. 3 Plusieurs solutions ou terrains se présentent qui défont "naturellement", c'est-à-dire indépendamment de la volonté de l'analyste, l'évidence d'une offre qui irait sans effort particulier à la rencontre d'une demande, ou d'un objet qui viendrait se loger en douceur dans l'espace défini par une fonction: l'histoire ou l'archéologie, l'innovation, le transfert de technologies. En replongeant dans les problèmes et projets technologiques des siècles, voire des millénaires précédents, l'on "bénéficie" d'une double distance: nous n'avons plus en face de nous les utilisateurs des technologies en question, et les développements ultérieurs des techniques nous ont amenés à re-former les concepts, catégories et critères de jugement qui nous permettent d'appréhender les technologies; la composition de ses deux mises à distance rend la tâche de l'analyste singulièrement compliquée, puisqu'il doit faire simultanément l'archéologie de la technique et de son propre savoir sur elle. Les deux autres terrains ont en commun un avantage substanciel par rapport au précédent: à la place d'objets muets et immobiles, nous nous trouvons devant des mouvements multiples et surtout des acteurs qui se posent en pratique la même question que nous et qui expérimentent des solutions pour la résoudre. Dans la suite, nous nous appuierons sur un ensemble d'exemples tirés d'expériences dans des pays en voie de développement (PVD), expériences que nous avons pu suivre personnellement et qui recouvrent des situations contrastées, depuis la transplantation pure et simple d'un dispositif technique largement diffusé dans les pays industrialisés, jusqu'à l'élaboration d'objets spécifiquement destinés aux PVD. Au travers de ces exemples, nous nous attacherons à mettre en évidence les mécanismes élémentaires d'ajustement réciproque de l'objet technique et de son environnement. Par la définition des caractéristiques de son objet, le concepteur avance un certain nombre d'hypothèses sur les éléments qui composent le monde dans lequel l'objet est destiné à s'insérer (4). Il propose un "script", un "scenario" qui se veut prédétermination des mises en scène que les utilisateurs sont appelés à imaginer à partir du dispositif technique et des pre-scriptions (notices, contrats, conseils...) qui l'accompagnent. Mais tant qu'il ne se présente pas d'acteurs pour incarner les rôles prévus par le concepteur (ou en inventer d'autres), son projet reste à l'état de chimère: seule la confrontation réalise ou ir- réalise l'objet technique. Si ce sont les objets techniques qui nous intéressent et non les chimères, nous ne pouvons méthodologiquement nous contenter du seul point de vue du concepteur ou de celui de l'utilisateur: il nous faut sans arrêt effectuer l'aller-retour entre le concepteur et l'utilisateur, entre l'utilisateur-projet du concepteur et l'utilisateur réel, entre le monde inscrit dans l'objet et le monde décrit par son déplacement. Car dans ce jeu incessant de bascule, seuls les rapports nous sont accessibles: ce sont les réactions des utilisateurs qui donnent un contenu au projet du concepteur, de même que l'environnement réel de l'utilisateur est en 4 partie spécifié par l'introduction d'un nouveau dispositif. uploads/Ingenierie_Lourd/ comment-decrire-les-objets-techniques-to-cite-this-version.pdf

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