RÉSEAUX SOCIAUX DE L'INTERNET Dominique Cardon Le Seuil | « Communications » 20
RÉSEAUX SOCIAUX DE L'INTERNET Dominique Cardon Le Seuil | « Communications » 2011/1 n° 88 | pages 141 à 148 ISSN 0588-8018 ISBN 9782021045789 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-communications-2011-1-page-141.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. © Le Seuil. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Mais en 2008 ceux-ci ont disparu du classe- ment des dix premiers sites, au profit de YouTube, Myspace, Facebook, Hi5, Wikipédia et Orkut1. Ce changement dans les pratiques d'Internet, souvent qualifié de tournant du « Web 2.0 », se caractérise par l'importance de la participation des utilisateurs à la production de contenus et par leur mise en relation. En la matière, les chiffres sont toujours sujets à caution et ne cessent d'évoluer, mais on peut estimer qu'en 2010 on dénombrait 500 millions d'utilisateurs actifs sur Facebook dans le monde, et 18 millions en France. On comptait 19 milliards de commentaires sur Skyblog et chaque mois sur Facebook étaient postés 2,5 milliards de nouvelles photos, dont 130 millions en France. Depuis 2009, si l'on décompose les heures qu'ils passent devant l'ordinateur, les internautes consacrent plus de temps aux réseaux sociaux qu'à leur messagerie électronique. Si de nombreux éléments peuvent expli- quer cette soudaine réussite des réseaux sociaux de l'Internet, on voudrait insister sur la manière dont ils articulent et recomposent la sociabilité des individus en profitant de leurs nouvelles pratiques d'exposition de soi. Conversations en clair-obscur et réseaux relationnels. Nicole Ellison et danah boyd définissent les sites de réseaux sociaux comme « des services Web qui permettent aux individus de construire un profil public ou semi-public dans le cadre d'un système délimité, d'articuler une liste d'autres utilisateurs avec lesquels ils partagent des relations ainsi que de voir et de croiser leurs listes de relations et celles faites par d'autres à 141 © Le Seuil | Téléchargé le 14/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 154.72.150.150) © Le Seuil | Téléchargé le 14/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 154.72.150.150) travers la plateforme2 ». La nouveauté apportée par les réseaux sociaux de l'Internet tient donc à la mise en place progressive de la liste d'amis comme principal outil de navigation. S'inspirant des travaux de Stanley Milgram sur les « six degrés de séparation » qui de proche en proche réuniraient diverses personnes prises au hasard au sein de la population américaine, les premiers sites de réseaux sociaux, Classmates (1995) et Six Degrees (1996), ont ouvert la voie dès le début du Web grand public, mais il faudra attendre 2003 pour voir arriver les premiers sites relationnels accordant une place décisive à la fonctionnalité « Contacts/Amis » : ainsi, LinkedIn, Hi5, Friendster, Myspace et Cyworld, qui ont tous été créés cette année-là, Facebook datant, lui, de 2004. La réussite exceptionnelle de ces sites s'appuie sur une nouvelle forme de navigation qui, prenant acte des imperfections des moteurs de recherche, s'enracine dans une expérience beaucoup plus proche des attentes et des pratiques ordinaires des utilisateurs. Ainsi la découverte d'informations est- elle souvent plus pertinente lorsqu'elle emprunte les chemins frayés par le réseau des proches. Elle procède de l'exploration des traces d'activité des amis de ses amis3. Véritable opérateur de territorialisation, le réseau social transforme l'univers proliférant du Web en un espace familier et navigable. Il impose aussi une contrainte de réalisme pour les participants puisqu'il est beaucoup plus difficile de jouer avec ses caractéristiques identitaires lorsque celles-ci sont soumises au regard des proches. En effet, la réussite des plates-formes relationnelles du Web 2.0 doit beaucoup au fait que les personnes y exposent différents traits de leur identité. Ce phénomène renvoie à deux dynamiques des processus d'indivi- dualisation observables dans les sociétés contemporaines : un processus de subjectivation, qui conduit les personnes à extérioriser leur identité dans des signes qui témoignent moins d'un statut incorporé et acquis que d'une capacité à faire (écrire, photographier, créer…) ; et un processus de simu- lation, qui les conduit à endosser une diversité de rôles exprimant des facettes multiples, et plus ou moins réalistes, de leur personnalité. Ces deux dynamiques contribuent à l'accélération et à la diversification des signes identitaires exposés : statut civil, photos et vidéos, liste d'amis, de goûts, préférences politiques, mais aussi pseudonymes, avatars et travestisse- ments multiples. Se publier sous toutes ses facettes sert à la fois à afficher sa différence et son originalité et à accroître les chances d'être identifié par d'autres4. Sur les réseaux sociaux de l'Internet, l'exposition de soi est donc la principale technique relationnelle. Cependant, loin d'être des données objectives, attestées, vérifiables et calculables, le patchwork désordonné et proliférant de signes identitaires produits sur les réseaux sociaux est tissé de jeux, de parodies, de pastiches, d'allusions et d'exagérations. Mais, sur- tout, les formes identitaires projetées sur le Web s'adressent à des publics différents et ont des visées multiples. De façon cursive, on peut en effet 142 Dominique Cardon © Le Seuil | Téléchargé le 14/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 154.72.150.150) © Le Seuil | Téléchargé le 14/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 154.72.150.150) opposer les pratiques visant la conversation avec les proches (friendship- driven) et celles qui promeuvent le partage de contenus avec des personnes ayant les mêmes centres d'intérêt (interest-oriented)5. Dans nombre d'usages des plates-formes relationnelles, les utilisateurs s'adressent non pas à cet agrégat d'anonymes unifiés en une fiction abstraite et surplombante qui figure le public dans les architectures normatives de l'espace public, mais à un groupe plus ou moins circonscrit de proches identi- fiables. Certes, ils parlent en public. Mais, à leurs yeux, ce public est une zone d'interconnaissance, un lieu plus ou moins clos, un territoire qui conservera les propos dans son périmètre avant de les laisser s'évaporer. Il y a loin de la prise de parole publique à cette sorte de parler à la cantonade. Dans une typologie des différentes plates-formes relationnelles qui met en correspon- dance les facettes identitaires que les personnes sont prêtes à exposer avec la taille et la nature du public devant lequel elles s'exposent, on a proposé d'appeler clair-obscur cette zone de familiarité contrôlée dans laquelle les utilisateurs rendent publics des éléments parfois très personnels de leur vie quotidienne tout en pensant ne s'adresser qu'à un réseau de proches6. Or ces plates-formes de réseau social en clair-obscur (Skyblog, Cyworld, Friendster, Facebook…) ont joué un rôle considérable dans la venue à l'expression sur le Web de très larges publics cherchant à se raconter en s'exposant dans des espaces à la visibilité (partiellement et imparfaitement) préservée. Ce n'est que dans un second temps, et en proposant une exposition identitaire différente, caractérisée par la production et le partage de contenus (textes, photos, vidéos), qu'un autre type de plates-formes de réseau social (Myspace, Flickr, Dailymotion, YouTube, etc.) a installé une visibilité beau- coup plus large et encouragé les participants à élargir leur audience. Dans la zone en clair-obscur de l'Internet, la conversation emprunte beaucoup plus aux formes dialogiques de l'échange interpersonnel entre interlocuteurs ratifiés qu'à la prise de parole publique distanciée. C'est aussi pourquoi elle s'habille souvent de ce ton badin, informel, quotidien, familier, implicite et puéril du bavardage entre proches7. Cependant, à la différence de l'échange « fermé » sur des services tel MSN, cette conversa- tion entre proches est, différemment selon les plates-formes, plus ou moins ouverte vers l'extérieur ; elle préserve la possibilité d'être vue ou d'accro- cher un public en périphérie de la scène sur laquelle elle s'expose. Si l'on voulait trouver une correspondance dans l'espace physique à ces conversa- tions à la cantonade des réseaux sociaux, il faudrait imaginer que des personnes parlent avec des amis qu'elles ne connaissent pas tous très bien dans une grande pièce lors d'une fête, d'un repas ou d'une réunion, que les fenêtres sont grandes ouvertes sur l'extérieur et que des passants peuvent, si l'occasion s'en présente, entendre des bribes des propos échangés. Même s'ils ne méconnaissent pas la porosité de l'espace dans lequel ils s'exposent, 143 Réseaux sociaux de l'Internet © Le Seuil | Téléchargé le 14/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 154.72.150.150) © Le Seuil | Téléchargé le 14/12/2020 sur uploads/Ingenierie_Lourd/ commu-088-0141.pdf
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- Publié le Fev 17, 2021
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