1996.11 Management et gestion de projet : bilan et perspectives 1 Vincent Giard

1996.11 Management et gestion de projet : bilan et perspectives 1 Vincent Giard * et Christophe Midler ** * Professeur à l’ IAE de Paris ** Directeur de recherches au CRG (Centre de Recherche en Gestion - Ecole Polytechnique et CNRS) Résumé : Après avoir souligné les caractéristiques permettant d’identifier un projet “moderne”, une mise en perspective historique est proposée avec une mise en évidence des facteurs récents d’évolution des projets et de leurs champs d’application. Les tendances actu- elles d’évolution de l’organisation des projets sont ensuite examinées avec l’évolution des structures matricielles, le développement de l’ingénierie concourante, les nouveaux outils de coopération et les nouvelles formes de contractualisation. L’instrumentation de gestion est ensuite passée en revue, avec les outils d’analyse et ceux de pilotage temporel et économique ; le rôle et l’importance de ces outils selon le type de projet et la phase du projet est souligné. Mots-clés : Management de projet, gestion de projet. Abstract : The main characteristics that define a “modern” project are given. An historical perspective leads to recent evolution factors and application domains of projects. The current trends of project organization are examined with the evolution of matrix organization, the devel- opment of concurent engineering, the new cooperation tools and the new contractualization forms. The tools devoted to project analysis, time and cost control are presented with an emphasis given on the role and importance of those tools according to the type and to the phase of project. Key-words: Project management, Project control. Le développement de la notion de projet dans le champ de la gestion des entreprises constitue l’une des données marquantes de cette fin du XX ème siècle. Non que la notion soit nouvelle : l’idée de projet est aussi vieille que l’activité humaine et le développement de nouveaux produits ou d’ouvrages est au cœur du développement économique du XIX ème aux “Trente Glorieuses”. Mais la gestion de projet prend, depuis le milieu des années 80, une ampleur et des formes renouvelées. Au delà d’une mode passagère, il faut voir dans ce mouvement qui touche de nombreux secteurs l’effet de l’évolution des modes de concurrence d’une économie de masse à une économie de variété ou de réactivité (P. Llerena & P. Cohendet [10]). Dans ce contexte, la compétitivité des entreprises dépend, d’une part, de leur capacité à commercialiser rapidement et dans de bonnes conditions de qualité et de coût des produits, des services ou des ouvrages réellement innovants, et, d’autre part, de la focalisation de ces produits sur des niches spéci- fiques, afin de surclasser les produits banalisés. Ces stratégies conjuguées multiplient le nombre de projets à gérer, les rendent plus complexes et plus exigeants. Le mouvement de rationalisa- tion, hier orienté vers les activités productives, se déploie maintenant aussi sur les problèmes de la conception. Le monde économique se tourne alors vers le management de projet comme une réponse à ce besoin. Dans les milieux académiques, la notion de projet a aussi été abondamment traitée depuis plusieurs années. Dans le champ de la gestion, les notions de gestion et de management par projet ont été précisées, révisées et développées. Mais ces travaux profitent aussi des nombreuses réflexions menées sur des thèmes connexes dans d’autres disciplines : les approches des sciences de la conception, les recherches sociologiques et économiques sur les processus d’innovation et de coopération. 1. Cet article doit paraître dans la seconde édition de l’ Encyclopédie de Gestion d’Economica en 1996. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.11 - 2 Nous aborderons ce domaine assez foisonnant en cinq points : nous chercherons d’abord à identifier des caractéristiques spécifiques pour définir l’activité projet ; nous analyserons dans un deuxième temps comment cette notion s’est déployée dans le monde professionnel ; nous examinerons ensuite les formes d’organisation les plus avancées, puis les instrumentations clés que sont la planification et le pilotage économique des projets. Nous conclurons sur les perspec- tives induites par le développement de la logique projet pour l’organisation des entreprises. 1 Définition et caractérisation de l’activité projet Peut-on définir sur un plan théorique une spécificité de l’activité projet ? La littérature propose plusieurs approches pour une telle caractérisation. Dans sa démarche de normalisation, l’AFITEP-AFNOR [1] a défini un projet comme “une démarche spécifique qui permet de structurer méthodiquement et progressivement une réalité à venir” et ajoute qu’ “un projet est défini et mis en œuvre pour répondre au besoin d’un client (...) et implique un objectif et des besoins à entreprendre avec des ressources données ”. R.P. Declerck, J.P. Debourse et C. Navarre[11] ont proposé un positionnement de la gestion de projet fondé sur la mise en évidence de quelques différences essentielles entre l’activité “projet” et l’activité récurrente et stabilisée “opération”, ce qu’illustre le tableau ci-dessous. Nous développerons ici six caractéristiques des projets qui, tout en explicitant largement les définitions précédentes, nous permettront de montrer, au paragraphe suivant, les points clés des démarches projet modernes. 1-1 Une démarche finalisée par un but et fortement contrainte L’affirmation d’une finalité, d’une cible à atteindre est au cœur de la démarche projet. Le rôle même de chef de projet ne se définit pas autrement : il naît avec l’affirmation du but ; il disparaît avec sa réalisation. Il y a là évidemment une différence radicale par rapport à la logique du spécialiste, dont l’action est d’abord définie par un champ d’expertise et des méthodes. Dans le formalisme de la gestion de projet, cette cible se décline en un triptyque d’objectifs. - L’objectif de performances fonctionnelles et de spécifications techniques (respect de tolérances, fiabilité, maintenabilité, facilité d’usage, etc.) conditionne la valeur d’usage du futur produit ou ouvrage pour le ou les clients et positionne son intérêt relatif par rapport aux projets concurrents. - Le respect d’un délai imparti pour exécuter le projet est une composante importante de l’expression des besoins car un retard peut diminuer l’intérêt du projet et, dans certains cas, conduire à des surcoûts, sous forme de pénalités de retard, notamment. - L’objectif économique peut, suivant le périmètre du projet, prendre différentes formes (coût, rentabilité). Tableau 1 : Activité projet Activité opération non répétitive (one shot) répétitive décisions irréversibles réversible incertitude forte incertitude faible influence forte des variables exogènes influence forte des variables endogènes processus historiques processus stabilisés, gérables en statisti- ques a-historiques cashs flows négatifs cash flow positifs IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.11 - 3 La cible initiale d’objectifs s’avère souvent incohérente, car elle constitue une anticipation à la fois des attentes vis-à-vis du projet et des contraintes dans lesquelles il s’inscrit. L’un des rôles importants du directeur de projet dans la phase de définition du projet est donc de rendre rapi- dement cohérente cette cible d’objectifs. 1-2 Une prise en compte de la singularité de la situation L’une des tensions classiques entre le responsable de projet et les experts métiers réside dans la prise en compte de la singularité de l’objectif à atteindre et de la situation à intégrer. La logique des services fonctionnels peut s’interpréter comme un mouvement tendant à éliminer ou à s’abstraire des singularités des situations. Les pratiques professionnelles se façonnent en se spécialisant sur des problèmes types, en mémorisant et en reproduisant des réponses stan- dards. Chercher une solution à un projet par l’enveloppe de réponses standards est généralement très sous-optimal (les “produits de comités”), lorsque cela ne conduit tout simplement pas à l’abandon pur et simple du projet. 1-3 Les projets, une affaire de communication et d’intégration de différentes logiques La rationalisation industrielle s’est construite sur le principe de séparation et de spécialisa- tion. La logique des projets est profondément différente. Aucun spécialiste ne détient à lui seul la clé du produit nouveau réussi ou d’un ouvrage performant. Il faut combiner le point de vue du commerçant, de la recherche, des professionnels de la production ou de chantier, savoir tirer parti des apports des fournisseurs de composants tout en connaissant leurs contraintes. Cette nature combinatoire du projet s’exprime dans la définition initiale de la cible, où, pour assurer sa cohérence et son réalisme, on est amené à opérer des “trocs” entre le temps imparti, l’ambi- tion des performances et les ressources consommées. On la retrouve également dans les ajuste- ments opérés au cours de l’exécution du projet à la suite de dérives constatées. L’espace du projet doit alors susciter le dialogue et les explorations sur ces dimensions variées, expliciter les conflits entre critères hétérogènes et aider aux arbitrages (M. Akrich et al . [3], J.C Moisdon et B. Weil [21]). 1-4 Un processus d’apprentissage dans l’incertitude Le contexte de la communication est problématique non seulement du fait de l’hétérogénéité des points de vue réunis, mais aussi à cause de l’incertitude forte sur la validité des argumenta- tions mêlant les visions des enjeux et les causalités supposées. La gestion du risque est consub- stantielle à la notion de projet. On pourrait dire que ce qui différencie un processus de production d’un processus projet, c’est que l’issue du premier uploads/Ingenierie_Lourd/ dossier-projet.pdf

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