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L'ART N'EST PAS L'ARCHITECTURE Martine Bouchier in Chris Younès , Art et philos

L'ART N'EST PAS L'ARCHITECTURE Martine Bouchier in Chris Younès , Art et philosophie, ville et architecture La Découverte | Armillaire 2003 pages 104 à 118 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/art-et-philosophie---page-104.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Bouchier Martine, « L'art n'est pas l'architecture », in Chris Younès , Art et philosophie, ville et architecture La Découverte « Armillaire », 2003 p. 104-118. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 193.54.172.124 - 02/05/2014 15h43. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 193.54.172.124 - 02/05/2014 15h43. © La Découverte L’art n’est pas l’architecture par Martine Bouchier « Si quelque chose dans la conscience des hommes d’aujourd’hui a valeur d’Absolu ou d’Infini, ce n’est plus la puis- sance de Dieu ou la puissance de la nature, ni même les prétendues puissances de la morale ou de la culture : c’est notre propre puissance. À la création ex nihilo, qui était une manifestation d’omnipotence, s’est substituée la puissance opposée : la puis- sance d’anéantir, de réduire à néant, et cette puissance, elle, est entre nos mains. » Günther ANDERS 1 Il y a quelque temps déjà que la relation art(s)/architecture a commencé à faire parler d’elle et à interroger les artistes, les architectes, les philosophes. La raison principale de cette émer- gence est un intérêt accru pour les questions posées par l’inter- disciplinarité et par le réexamen de leur identité, de leur autonomie, du statut de leurs limites par les savoirs. Il me semble donc important de préciser d’emblée que dans le champ des arts plastiques, les relations interdisciplinaires s’effectuent dans une dynamique de proximité et dans le face-à-face d’une relation binaire qui se décline en termes de transfert, 1. Günther ANDERS, L’Obsolescence de l’homme. Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle (1956), Paris, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances/Éditions Ivrea, 2002, p. 266. 104 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 193.54.172.124 - 02/05/2014 15h43. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 193.54.172.124 - 02/05/2014 15h43. © La Découverte d’interaction, de solidarité ou, à l’inverse, de confrontation, de rapports de forces, de dénégation, et parfois même de repli. Si les relations des arts questionnent les catégories esthétiques en se développant dans des zones floues où se dédoublent leurs frontières et se redessinent sans cesse leurs contours, elles réin- ventent et recréent aussi dans une communauté d’échanges et de passages, précisément à l’endroit de leurs limites, la singula- rité et la multiplicité des mondes pour exhiber, comme le dit Nelson Goodman, de nouvelles dimensions de la disparité. Le contexte transdisciplinaire a été analysé et explicité par Theodor W. Adorno dans la célèbre conférence de Genève de 1967 où il a souligné la fluidification des frontières entre les arts, leur effrangement et leur dissolution. L’art est, selon lui, devenu de moins en moins « esthétique » au XXe siècle et aucun des arts n’échappe à une indifférenciation croissante coïnci- dant presque toujours avec un mouvement des formes tendant à capturer une réalité extérieure à l’esthétique 2. Ainsi, dans la relation art(s)/architecture, l’art et l’architecture se recouvrent deux-à-deux à l’endroit de leurs limites et il suffit de peu pour qu’ils basculent de l’autre côté. Cependant, leur résistance à l’homogénéité ouvre la perspective d’un autre lieu, d’un troi- sième domaine de connaissance mis à distance et maintenu hors de cette fausse et illusoire unité. Sauf à le considérer par la négative, ce lieu constitue un filtre au travers duquel se redé- finit chacun des arts et il lui revient d’établir la médiation et l’articulation entre les idées et les phénomènes qui distinguent ces différents domaines de la culture 3. Historiquement, dans le champ des arts plastiques, la rela- tion de l’art à l’architecture s’est réalisée dans un enchaînement mécanique de causes et d’effets et par un jeu sur leurs fron- tières. Comme un pendule condamné à l’oscillation, le destin de 2. Theodor W. ADORNO, « L’art et les arts », dans L’Art dans la société d’aujourd’hui, Rencontres internationales de Genève 1967, Neuchâtel, Les Éditions de la Baconnière, 1968, p. 40-55. 3. De nombreuses publications et manifestations culturelles organisées depuis plus de dix ans étudient les relations art et architecture, art et ville, ville et architecture, art et paysage, paysage et architecture, art et nature et bien plus rarement — voire jamais — les relations à trois termes, art, architecture, paysage ou art, architecture, ville. L’art n’est pas l’architecture 105 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 193.54.172.124 - 02/05/2014 15h43. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 193.54.172.124 - 02/05/2014 15h43. © La Découverte l’art s’est manifesté dans des mouvements centripètes d’appro- priation et de recyclage impliquant en retour des phénomènes de croissance ou de dilatation et la colonisation de territoires extérieurs à l’art. L’art du XXe siècle semble en effet battre comme systole et diastole, entre une inclusion de données exogènes qui contribuent à l’enrichissement de son champ et une expansion hors de la sphère d’influence balisée par le système des beaux-arts. C’est ainsi que, voulant sortir de ses cadres, la sculpture a, selon Rosalind Krauss, élargi son champ à celui du paysage dans les formes du land art et des earth- works, et importé dans son territoire ainsi augmenté (expended field) des readymades de toutes sortes, des végétaux, des frag- ments architecturaux ainsi que des processus de production. Dépassant la seule aire d’exercice de la relation art/paysage, on peut noter dans cette perspective les transferts les plus marquants du XXe siècle : citons, pêle-mêle, les expérimenta- tions de Kurt Schwitters qui faisait de la peinture en « clouant » ses tableaux, la relation art/vie quotidienne intrinsèque aux collages dadaïstes et les assemblages cubistes où sont intégrés, au sein même de l’œuvre, des fragments issus de la réalité quotidienne : papier peint, papier journal, tickets de tramway. Citons encore Marcel Duchamp niant la structure circonscrite des arts par l’introduction des célèbres objets manufacturés devenus dès lors les icônes de l’art moderne, la substitution du terme de création par celui de production issu de l’industrie, enfin, l’intrusion dans l’œuvre d’un être vivant et mobile : le spectateur qui jusqu’alors avait été maintenu hors de portée de l’œuvre dans la distance d’une approche essentiellement visuelle. La porosité des limites, les ruptures de frontière, les empiètements de problèmes, la mise en circulation de concepts « nomades » ont fécondé et enrichi les domaines jusqu’ici séparés, parfois jusqu’à l’hybridation de leurs formes ; Dan Graham, à qui un journaliste demandait si ses Pavillons étaient de la sculpture ou de l’architecture, répondit ceci : « Ils sont la rencontre impossible entre Venturi et Mies Van der Rohe. Ce sont des hybrides. Comme l’art actuel qui se trouve de plus en plus dans cette situation limite. » En 1910 déjà, dans le chapitre « Architecture » de ses chro- niques viennoises, Adolph Loos interrogeait la nature artis- tique de l’architecture en la comparant à l’œuvre d’art : Perspectives critiques 106 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 193.54.172.124 - 02/05/2014 15h43. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 193.54.172.124 - 02/05/2014 15h43. © La Découverte « Aujourd’hui la plupart des maisons ne plaisent qu’à deux personnes : au propriétaire et à l’architecte. La maison doit plaire à tout le monde. C’est ce qui la distingue de l’œuvre d’art, qui n’est obligée de plaire à personne […]. L’œuvre d’art est par essence révolutionnaire, et la maison est conservatrice. L’œuvre d’art pense à l’avenir, la maison au présent. Nous aimons tous notre commodité. Nous détestons celui qui nous arrache à notre commodité et vient troubler notre bien-être. C’est pourquoi nous aimons la maison et détestons l’art. Mais alors la maison ne serait pas une œuvre d’art ? L’architecture ne serait pas un art ? Oui, c’est ainsi. Il n’y a qu’une faible partie du travail de l’architecte qui soit du domaine des beaux-arts : le tombeau et le monument commémoratif. Tout le reste, tout ce qui est utile, tout ce qui répond à un besoin doit être retranché de l’art 4. » La question soulevée par Adolf Loos reste d’une actualité vivace et nous interroge encore aujourd’hui, car, si l’architecture a pu être considérée comme un art, les contextes actuels de sa production et ceux de sa uploads/Ingenierie_Lourd/ l-x27-art-n-x27-est-pas-l-x27-architecture.pdf