L’homme qui plantait des arbres Préface Thierry Crouzet Jean Giono Mise en page

L’homme qui plantait des arbres Préface Thierry Crouzet Jean Giono Mise en page Thierry Crouzet. Illustration de couverture Henry Salomé. © Jean Giono, 1953 Préface La célèbre phrase de Gandhi « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde. » peut paraître abstraite, voire idéaliste ou même utopiste. En 1953, avec L’homme qui plantait des arbres, Jean Giono lui associa un manuel pratique. Nous devrions tous lire et relire ces quelques pages pour nous prouver que des petits gestes, répétés jour après jour avec patience, peuvent changer un coin du monde, que nos gestes à tous, une fois cumulés, peuvent changer le monde. Nous n’avons rien à de- mander à personne. Aucune autorisation ne nous est nécessaire. Nous n’avons nul besoin d’attendre les prochaines élections ou de faire tomber le gouverne- ment. Nous sommes armés de nos volontés. Il nous suffit d’en prendre conscience comme Elzéard Bouf- fier le héros de Giono. Alors, offrons ce texte de révolutionnaire à nos amis, poussons-les eux aussi à changer le monde pour que nos petits gestes en apparence inutiles s’accumulent. Par chance, aujourd’hui, plus rien ne peut freiner la prolifération des mots de Giono qui, en 1957, dé- clara : J’ai donné mes droits gratuitement pour toutes les reproductions. Ainsi, Giono devança Creative Commons de près de 50 ans, affirmant : C’est un de mes textes dont je suis le plus fier. Il ne me rapporte pas un centime et c’est pourquoi il accomplit ce pour quoi il a été écrit. Espérons qu’il donnera du courage à toujours plus d’hommes et de femmes, désireux de prendre au mot Gandhi, ici et maintenant, sans plus attendre un homme ou une femme providentiel. Thierry Crouzet, Juillet 2010 L’homme qui plantait des arbres Pour que le caractère d’un être humain dévoile des qualités vraiment exceptionnelles, il faut avoir la bonne fortune de pouvoir observer son action pendant de longues années. Si cette action est dépouillée de tout égoïsme, si l’idée qui la dirige est d’une générosité sans exemple, s’il est absolument certain qu’elle n’a cherché de récompense nulle part et qu’au surplus elle ait laissé sur le monde des marques visibles, on est alors, sans risque d’erreurs, devant un caractère inoubliable. Il y a environ une quarantaine d’années, je faisais une longue course à pied, sur des hauteurs absolument inconnues des touristes, dans cette très vieille région des Alpes qui pénètre en Provence. Cette région est délimitée au sud-est et au sud par le cours moyen de la Durance, entre Sisteron et Mi- rabeau; au nord par le cours supérieur de la Drôme, depuis sa source jusqu’à Die; à l’ouest par les plaines du Comtat Venaissin et les contreforts du Mont-Ven- toux. Elle comprend toute la partie nord du départe- ment des Basses-Alpes, le sud de la Drôme et une petite enclave du Vaucluse. C’était, au moment où j’entrepris ma longue prome- nade dans ces déserts, des landes nues et mono- tones, vers 1200 à 1300 mètres d’altitude. Il n’y poussait que des lavandes sauvages. Je traversais ce pays dans sa plus grande largeur et, après trois jours de marche, je me trouvais dans une désolation sans exemple. Je campais à côté d’un squelette de village abandonné. Je n’avais plus d’eau depuis la veille et il me fallait en trouver. Ces maisons agglomérées, quoique en ruine, comme un vieux nid de guêpes, me firent penser qu’il avait dû y avoir là, dans le temps, une fontaine ou un puits. Il y avait bien une fontaine, mais sèche. Les cinq à six maisons, sans toiture, rongées de vent et de pluie, la petite cha- pelle au clocher écroulé, étaient rangées comme le sont les maisons et les chapelles dans les villages vi- vants, mais toute vie avait disparu. C’était un beau jour de juin avec grand soleil, mais sur ces terres sans abri et hautes dans le ciel, le vent soufflait avec une brutalité insupportable. Ses gron- dements dans les carcasses des maisons étaient ceux d’un fauve dérangé dans son repas. Il me fallut lever le camp. À cinq heures de marche de là, je n’avais toujours pas trouvé d’eau et rien ne pouvait me donner l’espoir d’en trouver. C’était partout la même sécheresse, les mêmes herbes ligneuses. Il me sembla apercevoir dans le lointain une petite si- lhouette noire, debout. Je la pris pour le tronc d’un arbre solitaire. À tout hasard, je me dirigeai vers elle. C’était un berger. Une trentaine de moutons couchés sur la terre brûlante se reposaient près de lui. Il me fit boire à sa gourde et, un peu plus tard, il me conduisit à sa bergerie, dans une ondulation du pla- teau. Il tirait son eau - excellente - d’un trou naturel, très profond, au-dessus duquel il avait installé un treuil rudimentaire. Cet homme parlait peu. C’est le fait des solitaires, mais on le sentait sûr de lui et confiant dans cette as- surance. C’était insolite dans ce pays dépouillé de tout. Il n’habitait pas une cabane mais une vraie mai- son en pierre où l’on voyait très bien comment son travail personnel avait rapiécé la ruine qu’il avait trouvé là à son arrivée. Son toit était solide et étanche. Le vent qui le frappait faisait sur les tuiles le bruit de la mer sur les plages. Son ménage était en ordre, sa vaisselle lavée, son parquet balayé, son fusil graissé ; sa soupe bouillait sur le feu. Je remarquai alors qu’il était aussi rasé de frais, que tous ses boutons étaient solidement cou- sus, que ses vêtements étaient reprisés avec le soin minutieux qui rend les reprises invisibles. Il me fit partager sa soupe et, comme après je lui of- frais ma blague à tabac, il me dit qu’il ne fumait pas. Son chien, silencieux comme lui, était bienveillant sans bassesse. Il avait été entendu tout de suite que je passerais la nuit là ; le village le plus proche était encore à plus d’une journée et demie de marche. Et, au surplus, je connaissais parfaitement le caractère des rares vil- lages de cette région. Il y en a quatre ou cinq disper- sés loin les uns des autres sur les flans de ces hauteurs, dans les taillis de chênes blancs à la toute extrémité des routes carrossables. Ils sont habités par des bûcherons qui font du charbon de bois. Ce sont des endroits où l’on vit mal. Les familles serrées les unes contre les autres dans ce climat qui est d’une rudesse excessive, aussi bien l’été que l’hiver, exas- pèrent leur égoïsme en vase clos. L’ambition irraison- née s’y démesure, dans le désir continu de s’échapper de cet endroit. Les hommes vont porter leur charbon à la ville avec leurs camions, puis retournent. Les plus solides qua- lités craquent sous cette perpétuelle douche écos- saise. Les femmes mijotent des rancœurs. Il y a concurrence sur tout, aussi bien pour la vente du charbon que pour le banc à l’église, pour les vertus qui se combattent entre elles, pour les vices qui se combattent entre eux et pour la mêlée générale des vices et des vertus, sans repos. Par là-dessus, le vent également sans repos irrite les nerfs. Il y a des épidé- mies de suicides et de nombreux cas de folies, presque toujours meurtrières. Le berger qui ne fumait pas alla chercher un petit sac et déversa sur la table un tas de glands. Il se mit à les examiner l’un après l’autre avec beaucoup d’at- tention, séparant les bons des mauvais. Je fumais ma pipe. Je me proposai pour l’aider. Il me dit que c’était son affaire. En effet : voyant le soin qu’il mettait à ce travail, je n’insistai pas. Ce fut toute notre conversa- tion. Quand il eut du côté des bons un tas de glands assez gros, il les compta par paquets de dix. Ce fai- sant, il éliminait encore les petits fruits ou ceux qui étaient légèrement fendillés, car il les examinait de fort près. Quand il eut ainsi devant lui cent glands parfaits, il s’arrêta et nous allâmes nous coucher. La société de cet homme donnait la paix. Je lui de- mandai le lendemain la permission de me reposer tout le jour chez lui. Il le trouva tout naturel, ou, plus exac- tement, il me donna l’impression que rien ne pouvait le déranger. Ce repos ne m’était pas absolument obli- gatoire, mais j’étais intrigué et je voulais en savoir plus. Il fit sortir son troupeau et il le mena à la pâture. Avant de partir, il trempa dans un seau d’eau le petit sac où il avait mis les glands soigneusement choisis et comp- tés. Je remarquai qu’en guise de bâton, il emportait une tringle de fer grosse comme le pouce et longue d’en- viron un mètre cinquante. Je fis celui qui se promène en se reposant et je suivis une route parallèle à la sienne. La pâture de ses bêtes était dans un fond de combe. Il laissa le petit troupeau à la garde du chien et il monta uploads/Ingenierie_Lourd/ l-x27-homme-qui-plantait-des-arbres.pdf

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