Entretien : Oscar Niemeyer, l'Algérie et la mosquée révolutionnaire Extrait du
Entretien : Oscar Niemeyer, l'Algérie et la mosquée révolutionnaire Extrait du Alger républicain http://www.alger-republicain.com/Entretien-Oscar-Niemeyer-l-Algerie.html Entretien : Oscar Niemeyer, l'Algérie et la mosquée révolutionnaire - Hommages - Hommage aux amis et aux camarades disparus - Date de mise en ligne : mercredi 12 décembre 2012 Description : Entretien réalisé par Smaïl Hadj Ali Dans le cadre d'une étude qu'il consacre au Brésil, Smaïl Hadj Ali s'est entretenu avec l'architecte brésilien Oscar Niemeyer à Rio de Janeiro, à la fin du mois d'août 2005. Repris du quotidien Le Soir d'Algérie du 9 décembre 2012 Copyright © Alger républicain - Tous droits réservés Copyright © Alger républicain Page 1/7 Entretien : Oscar Niemeyer, l'Algérie et la mosquée révolutionnaire En 1962, l'indépendance acquise, l'Algérie devint une terre d'accueil et d'asile, et Alger plutôt que la « Mecque des révolutionnaires », formule consacrée de l'époque, la New York des révolutionnaires. Cité cosmopolite, ouverte sur le monde, elle hébergeait alors des femmes et des hommes, qui de l'Angola au Brésil, de l'Afrique du Sud au Portugal, de la Palestine aux Black Panthers et au Mozambique combattaient le colonialisme, l'apartheid, le salazarisme, le racisme et les dictatures golpistes d'Amérique du Sud. Cette solidarité, la première Constitution, née de l'indépendance et rédigée en 1963, la rendait ainsi : « La République algérienne garantit le droit d'asile à tous ceux qui luttent pour la liberté. » [1] C'est dans ce contexte de résistance, de « tiersmondisme » et de lutte anticolonialiste que cristallisera, par les arts, la musique, les chants et les danses, le Festival panafricain en 1969, alors que les pays du « Tiers-Monde » étaient des acteurs de l'histoire, qu'Oscar Niemeyer est sollicité par l'Algérie. En 1967, trois années après le coup d'Etat militaire contre le président Joao Goulart, persécuté et empêché de travailler par la dictature militaire, il s'exile. Résidant à Paris, il reçoit un coup de main d'André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles de Charles de Gaulle, qui lui obtient un décret l'autorisant à exercer son métier en France. « Mais, nous dit-il, je n'ai jamais travaillé pour l'État français. » Fidèle à lui-même et à ses amis, parmi lesquels Castro, l'inventeur de Brasilia [2], et d'une esthétique des courbes, n'a jamais renié son engagement politique ni son idéal révolutionnaire. Cette constance, dans et de l'idéal révolutionnaire, n'altère et ne limite en rien son immense largesse d'esprit et sa créativité artistique hors du commun, contrairement à ce que des esprits étroits et chagrins peuvent penser. « Une douceur particulière » Ici, l'océan, les collines et le ciel se combattent et s'épousent, s'affrontent et s'enlacent dans une perpétuelle débauche de lumières et de luxuriance végétale. Rares sont les villes si profuses en plages, en baies et en flore prodigieuses. Génésique, la nature guette la moindre négligence pour réoccuper ses espaces perdus. Douce comme une mélodie de Cartola ou de Jobim, envoûtante et vibrante comme sa samba, excessive comme les chansons de Bezzera, telle est cette cité déboussolée et endurcie par une violence urbaine qui empoisonne d'abord la vie de ceux qui vivotent de leurs maigres salaires. Incapable de combattre la pauvreté, la ville de la bossa nova, du carnaval, de la créativité artistique la plus foisonnante, et des favelas avec vue inexpugnable sur mer, sorte de pieds de nez des pauvres faits aux puissants, rêve encore à sa splendeur passée de capitale déchue. La gaieté et la joie demeurent malgré tout chez les Cariocas, alors qu'ici et là surgissent des condominiums, sortes de résidences médiévales new-look pour nouveaux riches apeurés que protègent, simulacres de ponts-levis, portes électroniques, murs surmontés de vidéos-surveillance et de miradors. Pour autant, on ne se sent pas étranger à Rio, et d'une manière générale au Brésil. Probablement à cause de son métissage, mais aussi en raison de l'absence de tous préjugés à l'égard de l'Autre, de l'étranger. C'est dans cette mégapole, qui le chérit et qui porte en elle, tranquillement, nombre de ses ouvrages, tels le sambodrome dédié au carnaval, la gare maritime qui relie Rio à la ville de Niteroi où se trouve le Musée d'art contemporain, « ovni » survolant la baie, ou encore le siège de sa Fondation, que naquit en 1907 Oscar Ribeiro de Almeida de Niemeyer Soares. « C'est un nom métissé, me dira-t-il : Ribeiro le Portugais, Almeida l'Arabe, Niemeyer l'Allemand. Il y a aussi de l'Indien et de l'Africain en moi. J'en tire une tranquille fierté. C'est aussi cela qui me fait aimer le Brésil, son métissage, notre métissage. C'est ce mélange qui donne à ce pays cette douceur si particulière. » « Tortura nunca mais » Copyright © Alger républicain Page 2/7 Entretien : Oscar Niemeyer, l'Algérie et la mosquée révolutionnaire Il est 9 heures du matin, je me trouve face à l'un des plus vieux immeubles, de petite taille, situé sur l'interminable et célèbre Avenida Atlantica, gagnée sur l'océan, comme d'autres parties de Rio. C'est là, au dernier étage, que se trouve le lieu de travail de l'un des plus grands architectes du siècle passé et de celui qui commence. Être au bord de la plage de Copacabana ne donne pas forcément droit au soleil, à l'azur du ciel et aux belles naïades cariocas nageant dans les eaux de l'océan. Attention stéréotypes !!! Le temps est au gris et le ciel est bas, si bas qu'« il fait l'humilité ». Un crachin, la fameuse garoa, tenace et tiède, ajoute à la brume océane qui enveloppe la baie. Au loin, spectrales, les petites montagnes sensuelles, les morros, dont les formes sont si présentes dans l'architecture de courbes libres, celles des vagues et des femmes, grâce auxquelles le maître a su poétiser le béton. Dans un moment, le temps d'un « cafezinho », l'équivalent d'un « fendjel qahoua » d'Alger, je serai face à ce lutteur infatigable, presque centenaire, dont l'architecture est non seulement rupture avec l'hégémonie de l'angle droit, mais aussi songe et fantaisie. C'est dans une modeste pièce, qui est aussi son espace de travail, que cet arpenteur de courbes me reçoit. Les rendez-vous officiels, nombreux, liés à ses projets architecturaux se déroulent dans une grande pièce circulaire, spacieuse, lumineuse, ouverte sur la baie. Sur les murs blancs, un environnement de croquis, d'esquisses de corps féminins et d'inscriptions, dont l'une condamne la torture, « Tortura nunca mais » : plus jamais la torture. Je lui offre le livre L'Arbitraire, témoignage sur la torture, du poète communiste algérien Bachir Hadj Ali, dans les prisons de l'Algérie indépendante. Poignée de mains chaleureuse. Très vite, l'entretien en portugais du Brésil, rendu dans toute sa saveur et ses couleurs, par Flavia Nascimento, et quelquefois en français, devient conversation amicale, fraternelle, ponctuée par une blague décapante ou une vive protestation contre l'état du monde. J'ai conscience de vivre des moments précieux, rares et privilégiés. L'Algérie, son peuple, le colonialisme, l'exil, le Brésil, la révolution. Ce mot est inaltérable pour cet homme, pour qui celle-ci est mouvement et novation. Bien entendu, il sera aussi question de son art, de ses réalisations architecturales et de ses projets, dont celui de la Mosquée d'Alger. La rencontre avec l'Algérie « Je suis arrivé en Algérie au bon moment, quelques années après la victoire contre la colonisation. Il y avait encore beaucoup de bonheur, de joie, et une certaine gravité, face aux besoins énormes du peuple algérien que les colonialistes avaient méprisé. Je pense qu'on oublie cela. J'y ai trouvé la meilleure des solidarités. J'ai aimé ce pays, j'ai gardé de l'affection pour lui. J'ai adoré la ville d'Alger si lumineuse et accueillante, avec sa baie, ses criques, ses plages de galets et de sables blonds, la Méditerranée si riche de cultures, d'histoire, et de mystères. Et puis il y a sa Casbah, construite au XVIe siècle, je crois. C'est un très beau patrimoine, avec ses petites mosquées, ses mausolées, ses maisons blanches presque aveugles pour se protéger du vent. Je m'y suis souvent promené, montant et descendant ses escaliers, ses ruelles qui donnent sur la mer. Ce fut aussi un lieu de luttes pour la libération. La victoire des Algériens contre le colonialisme français a été un moment inoubliable pour moi. Cette victoire fut celle de l'humanisme contre l'oppression coloniale. Un tel combat mérite le respect. Mais il y a aussi celui des Algériennes. Leur combat armes à la main, leur résistance, leur courage face aux oppresseurs. J'ai eu le grand plaisir de passer de très bons moments avec une ancienne résistante algérienne ici, à Rio. Elle avait été condamnée à mort par les autorités françaises [3]. De telles choses sont des faits rares dans l'Histoire des luttes pour la liberté, la dignité. Elles honorent non seulement le peuple algérien, mais aussi le monde entier. Les personnes que j'ai pu rencontrer en Algérie voulaient faire de belles et grandes choses pour leur pays. Il fallait répondre aux attentes, aux aspirations, aux manques, aux frustrations engendrées par la domination coloniale, dans un pays où ce qui avait été construit ne profitait pas aux Algériens. » Copyright © Alger républicain Page 3/7 Entretien uploads/Ingenierie_Lourd/ entretien-oscar-niemeyer-l-alg-rie-a1012 1 .pdf
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- Publié le Nov 16, 2021
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