LA MACROSÉMANTIQUE François RASTIER C.N.R.S. (Texte issu du chapitre VII de Sém
LA MACROSÉMANTIQUE François RASTIER C.N.R.S. (Texte issu du chapitre VII de Sémantique pour l’analyse, Paris, Masson, 1994 ; révisé pour la traduction anglaise Semantics for Descriptions, Chicago UP, 2002) SOMMAIRE 1. Le paradigme du texte 1.1. Trois définitions négatives 1.2. Définition positive 1.3. Diversité des textes 2. Texte empirique et textualité 3. Un modèle cognitiviste de la compréhension de texte 4. L’entreprise typologique 4.1. Problématique 4.2. La thématique 4.3. La dialectique 4.4. La dialogique 4.5. La tactique 4.6. L’interaction entre composantes sémantiques et les genres 5. La conception morphosémantique du texte 6. La lancinante question des dinosaures 6.1. Les anaphores et la construction des acteurs et des fonctions 6.2. Les isotopies temporelles et tonales 7. Analyse de textes d’expert 7.1. Deux stratégies 7.2. L’exemple de l'exemple 7.3. L’énonciation représentée 1. Le paradigme du texte Pour le caractériser, il convient d’abord de définir ce qu’est un texte. 1.1. Trois définitions négatives a) Considérer un texte comme une chaîne de caractères serait le réduire à sa seule substance graphique, encourager son traitement séquentiel ou plus exactement déterministe (au moyen d’une fenêtre de lecture déplacée linéairement, comme c’est souvent le cas dans les analyseurs syntaxiques) ; enfin le couper de ses entours local (sa situation) et global (la culture dont il procède). Ce serait aussi réduire le langage au seul plan du signifiant ; encore ne s’agirait-il que des mots, à quoi correspondent dans le meilleur des cas les chaînes de caractères. b) Un texte n’est pas non plus une suite d’instructions, algorithmique ou non, comme le voudrait la sémantique dite procédurale et la psychologie qu’elle a influencée (chez Johnson-Laird, par exemple). En fait, cette conception assimile le texte à un programme informatique (qui est bien une suite d’instructions) et la compréhension à sa mise en œuvre par l’esprit, implicitement comparé à un ordinateur. Cependant, une instruction informatique est nécessairement exécutée par l’ordinateur, tandis qu’un interprétant, tel qu’on le définit en sémantique interprétative, n’est qu’un indice qui doit être reconnu comme tel par le lecteur. Par ailleurs, si un programme consiste en une suite d’instructions, elles sont collectivement nécessaires et suffisantes à son exécution. En revanche, les interprétants d’un texte peuvent lui être extrinsèques, et appartenir à un autre système de signes (des illustrations, par exemple) ; en outre, le recours à des interprétants est réglé par des facteurs comme le pacte générique que son lecteur ou son auditeur scelle en lui donnant sens [1]. Rastier : La macrosémantique (1) http://www.revue-texto.net/Inedits/Rastier/Rastier_Macrosemantique1.html 1 de 16 26/06/2014 5:19 La notion d’instruction suppose, semble-t-il, une conception normative de l’interprétation. Or, il ne s’agit pas d’imposer des normes, mais simplement de les décrire. Dans un cadre général de prohibitions et de prescriptions, l’activité interprétative ne se déploie pas selon un système, mais dans le cadre de ce qu’on pourrait appeler une grammaire permissive. c) Enfin, un texte n’est pas une suite de schémas cognitifs (comme les propositions mentales, modèles mentaux, scripts, plans etc.). Sa lecture suscite certes des corrélats mentaux, mais sa structure ne consiste pas en de tels corrélats. Par rapport à la psychologie, un texte apparaît non pas comme un ensemble de représentations, mais comme (i) un ensemble structuré de contraintes sur la formation des représentations et (ii) un réseau de récepteurs sémantiques, qui ne sont pas des marques, mais des lieux d’accomplissement des attentes, ou du moins d’épreuve des présomptions. Pour ces raisons, nous préconisons une approche non-cognitive — sans préjuger des mérites des approches cognitives. 1.2. Définition positive Résumons-nous en une définition préliminaire. Un texte est une suite linguistique empirique attestée, produite dans une pratique sociale déterminée, et fixée sur un support quelconque. Un texte peut être écrit ou oral, voire présenté par d’autres codes conventionnels (Morse, Ascii, etc.), et en interaction avec d’autres sémiotiques (film, etc.). Ces trois conditions s’entendent ainsi : 1. Le texte est attesté : il n’est pas une création théorique comme l’exemple de linguistique, même considéré comme texte. Cette première condition énonce un principe d’objectivité. 2. Il est produit dans une pratique sociale déterminée : c’est là un principe d’écologie. La connaissance ou la restitution hypothétique de cette pratique est nécessaire, bien que non suffisante. La délimitation du texte est assurée par la pratique sociale dont il procède [2] 3. Il est fixé sur un support : c’est la condition de son étude critique, supposant débat des conjectures. Cette condition empirique rompt avec le privilège exclusif de l’écrit et rappelle que la substance de l’expression n’est pas définitoire du texte. L’unité empirique du texte ne préjuge pas (i) de la fixité de sa signification, (ii) de l’intention de son ou ses auteurs, (ii) de ses références non ostensives, (iv) ni de l’interprétation qui en est donnée par ses destinataires. Au sein de la sémiotique des cultures, c’est à la linguistique considérée comme science des textes qu’il revient de caractériser, par des conjectures rationnelles, sinon formelles, ces quatre facteurs. On convient alors que l’analyse du sens permet des conjectures rationnelles sur le rapport du texte au monde physique, (tel qu’il trouverait des corrélats dans ses références non ostensives), comme sur son rapport au monde des représentations (tel qu’il trouve ses corrélats dans les intentions de son auteur et dans les interprétations de ses destinataires). Nous n’évoquons pas pour l’instant de traits structurels qui définiraient la textualité, car il nous semble que le texte en soi n’existe pas, et que la textualité est une abstraction (comme d’ailleurs le langage). Nous ne postulons pas d’universaux textuels. Certains genres peuvent prescrire des textes composés d’une phrase, d’un mot, d’une énumération. Par ailleurs, de nouvelles pratiques sociales peuvent demain susciter des genres aujourd’hui imprévisibles. S’il existe des règles de bonne formation [3], elles sont relatives aux genres, non à la textualité. Les universaux en la matière ne sont que des catégories descriptives, en d’autres termes des universaux de méthode qui paraissent utiles pour décrire les discours, les genres, et les textes. Nous proposerons donc des critères propres à décrire la textualité, dans le cadre méthodologique d’une typologie des textes. 1.3. Diversité des textes Si nous proposons une sémantique des textes, et non du texte, c’est parce que le texte en soi n’est Rastier : La macrosémantique (1) http://www.revue-texto.net/Inedits/Rastier/Rastier_Macrosemantique1.html 2 de 16 26/06/2014 5:19 qu’une abstraction temporairement utile. Une théorie du texte est utile si elle élabore et hiérarchise des concepts descriptifs pour affronter la diversité. De la même façon que la diversité des langues est le problème fondateur de la linguistique, la diversité des textes fonde la sémantique des textes. Dans les domaines techniques, on a pu sous-estimer cette diversité, car on assiste à présent à une normalisation des textes industriels, qui unifie leurs règles de rédaction, d’indexation et de stockage, et facilite leur traitement informatique, du moins dans la phase de documentation. La norme la plus connue est la norme SGML ( Standard Generalized Markup Langage, ou langage normalisé de bali- sage généralisé). Cependant les normes usuelles formatent le plan de l’expression mais non celui du contenu, et laissent ouverte la question du rapport entre ces deux plans. En outre, trois facteurs de diversité doivent être rappelés : la diversité des genres, la diversité corrélative des formats et présentations des textes, enfin celle des descriptions elles-mêmes. 1) Les besoins de description sémantique concernent aussi des textes non normalisés, ou dont les normes ne sont pas explicites. Par exemple, tel assureur veut analyser 9.000 constats d’accidents mortels qui comprennent des déclarations sous forme libre, tel service officieux chargé de faire de la prospective cherche à traiter 120.000 pages de textes d’histoire ou d’extraits de presse sur la politique balkanique, rédigés à diverses époques et selon des perspectives variées. Enfin, plus généralement, si la description sémantique doit satisfaire des demandes techniques, elles ne concernent pas nécessairement des textes techniques. Beaucoup de demandes intéressent des textes fortement évaluatifs, idéologiques : études d’opinion, analyses d’image institutionnelle, d’impact, etc. Aussi faut-il éviter d’ériger les textes techniques en parangons de toute textualité. Une sémantique des textes doit pour répondre aux besoins pouvoir s’adapter à tous les genres et discours. 2) De plus en plus de textes sont aujourd’hui présentés sous une forme délinéarisable : la structure arborescente traditionnelle qui les découpait en chapitres, paragraphes, etc., se trouve redoublée voire dépassée par une structure en réseau qui exploite les possibilités ouvertes par l’indexation et la co-indexation. On les nomme hypertextes. Les nouveaux supports numériques permettent de nouveaux moyens d’édition et de consultation, et sans doute facilitent certaines stratégies de production et de lecture. En outre, les textes sont de plus en plus souvent inclus dans des documents plus complexes, hétérogènes, qui juxtaposent plusieurs systèmes de signes, codes, ou moyens de représentation. Ces hyperdocuments se multiplient avec l’essor de la communication multimédia. Les problèmes qu’ils posent relèvent de la sémiotique, qui permet d’articuler la linguistique avec les disciplines de l’image, de la musique, etc. Ils ne sont pas nouveaux dans leur principe, car une grand-messe ou un opéra sont à leur manière des documents multimédia ; mais ils ne concernent plus seulement l’ethnolinguistique ou l’esthétique. Aussi la description sémantique doit uploads/Ingenierie_Lourd/ la-macrosemantique.pdf
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- Publié le Nov 21, 2022
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