88 Vers une définition épistémologique de l’archive en histoire de l’architectur

88 Vers une définition épistémologique de l’archive en histoire de l’architecture contemporaine De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque les archives d’archi tecture : d’une source historique ? D’un dispositif légal ? D’un outil historio- graphique ? D’un enjeu disciplinaire ? Plus qu’un travail de définition, notre démarche ici s’apparente plutôt à une entreprise de caracté- risation et de problématisation de cet objet d’étude. Partant du cas particulier des archives d’architectes collectées par l’Institut Français d’Architecture à partir des années 1980, il s’agit d’élaborer une défini- tion qui permette de considérer les archives de l’architecture comme une source historiographique et épistémologique de l’histoire de l’architecture française contemporaine. Cette démarche consiste donc à problématiser un objet qui est le plus généralement considéré dans sa réalité technique et matérielle et plus rarement pensé dans sa portée historiographique et épistémologique, alors que nous avons déjà eu l’occasion de mettre en évidence la contribution des archives d’architecture au renouvellement de leur discipline/1. Com- ment y contribuent-elles ? Nous verrons, que dans une perspective historiographique, la collecte d’une des sources principales de l’his- toire de l’architecture, à savoir les archives des architectes, a permis de renouveler les objets de la recherche dans cette discipline et par là a contribué à développer de nouveaux champs d’investigation et de nouveaux récits historiques. D’un point de vue épistémologique, la création du Centre d’Archives d’Architecture de l’IFA en 1986 et la mise à disposition de sources originales a participé à la construction de la discipline Histoire de l’architecture en façonnant des méthodo- logies d’analyse et de traitement d’ordre scientifique mais également /1 Nina Mansion, « Archives et histoires de l’architecture », Périphéries et recentrements en histoire de l’architecture, Séminaire d’histoire de l’architecture / Séminaire de l’Intru, Tours, 6 février 2015. 89 en s’affirmant en tant que « lieu social » de cette science en de venir. Plus précisément, cette perspective épistémologique consiste à interroger le rôle des archives d’architecture en tant qu’outil de cons- truction disciplinaire et scientifique de l’histoire de l’architecture. Autrement dit, la redécouverte des archives des architectes et la création d’un centre d’archives spécialisé entre le milieu des années 1970 et 1980 ne devraient-ils pas être considérés comme un moment de rupture pour la discipline Histoire de l’architecture rap pelant l’épisode « méthodique » au cours duquel la discipline Histoire, grâce notamment à l’insistance sur les archives prônée par Langlois et Seignobos/2, s’est assumée et confirmée en tant que science ? Nous avons souhaité interroger le singulier de l’archive afin de savoir si cette mutation par le nombre permettait de s’approcher de la nature épistémologique de ces archives si particulières. Parce qu’elle apparaît première dans son usage assumé (mais peu explicité) du sin- gulier, la notion d’archive proposée par la philosophie de l’histoire, et plus particulièrement le concept d’« archive » tel qu’il est défini par Foucault et réinterprété, entres autres, par Michel de Certeau et Paul Ricœur constitue ici une première étape dans la mise en œuvre d’une définition problématisée des archives d’architecture. L’examen de l’archive, dans sa filiation foucaldienne, entend mettre au jour des éléments conceptuels et épistémologiques susceptibles de définir un espace intermédiaire entre l’archivistique, la philosophie et l’his- toire de l’architecture. Il envisage ainsi les archives d’architecture dans leur épaisseur, en tenant compte de leurs multiples registres et champs d’application, ce que peu de définitions parviennent à réunir. Les archives d’architecture : une définition lacunaire Un état de la définition À l’heure actuelle, il ne semble pas exister de définition d’ordre épis- témologique de ce que serait l’archive dans le champ de l’histoire de l’architecture. Si l’on s’en tient à une définition d’ordre technique et légal, on ne tient pas compte de la place et du statut de la source dans la construction de l’histoire de l’architecture en tant que disci- pline. En effet, si l’histoire de l’architecture n’est pas une invention du 20e siècle, c’est cependant à cette période qu’elle est parvenue à se constituer en tant que science et en tant que discipline universitaire. Dans les années 1960-1970, l’histoire de l’architecture adopte ainsi « les apparences d’une discipline satisfaite/3 », d’après les mots de Gérard Monnier en se reposant notamment sur l’institutionnalisation de la protection du patrimoine monumental/4. La création d’un Dépar- tement Histoire et Archives au sein de l’Institut Français d’Architecture /2 Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, Introduction aux études historiques, Paris, Hachette et Cie, 1898. /3 Gérard Monnier, « L’histoire de l’architecture aujourd’hui, 1997 », Bulletin de la Société d’histoire moderne et contemporaine, n° 1-2, 1997, p. 21-27. /4 On pense notamment à la création de l’Inventaire général des richesses artistiques de la France par André Chastel en 1964 et aux listes de protection d’édifices du 20e siècle lancées à partir de 1963 par le ministère de la Culture. 90 dès sa création en 1980 participe de cette construction à laquelle la collecte des archives des architectes français par le Centre d’archives de l’IFA va nettement contribué en fournissant notamment les sources de nombreux travaux de recherche et en valorisant des pans de l’histoire de l’architecture jusque là négligés. Jusqu’à la création de l’IFA, on peut considérer que les sources de l’histoire de l’architecture française étaient largement dominées par les ou vrages et sources imprimées produites par les précédentes générations d’historiens et par l’étude directe du bâti. Cette dernière a même été affirmée par cer- tains comme la seule véritable source de l’histoire de l’architecture/5. Cependant, il serait abusif de dire que les archives d’architecture n’ont fait l’objet d’aucun travail de définition. Le champ de l’archivis- tique s’est emparé de la question à partir des années 1970 et a pro- posé plusieurs définitions. Le congrès du Conseil International des Archives de 1972 constitue la borne de départ d’un renouvellement des ré flexions concernant les archives d’architecture dans le monde occidental. Les archives d’architecture ne sont pas une invention du 20e siècle – on connaît des expériences de collecte dès le 19e siècle/6 – mais les années 1970 représentent un renouveau, voire une redé- couverte de cette question et ouvrent la voie de politiques publiques en la matière. Dans son Rapport au VIIe Congrès International des archives/7 dont le thème était les archives d’architecture, Michel Le Moël, alors conservateur aux Archives Nationales, déclare dès les premières lignes avoir observé une confusion quant à la compréhen- sion du sujet de cette 7e édition. Selon lui, « il n’est peut-être pas inutile de chercher à définir la notion d’archives de l’architecture/8 ». Il explique ainsi que dans de nombreux pays, tels qu’Israël ou l’Italie cette notion est rejetée et que dans d’autres, elle est négligée car ils « repoussent le concept d’archives spécialisées ». Sans proposer de véritable définition, il donne des précisions sur les types de docu- ments concernés ainsi que sur les institutions détentrices de ce type d’archives. Le maître mot est l’ouverture. Il analyse ainsi que « la nature des documents intéressant l’architecture est multiple » et que tous « les documents écrits » et « les documents figurés ou photogra- phiques » doivent être intégrés à la définition. La définition évolue peu dans les dernières décennies du 20e siècle et on en retrouve une toute aussi large, mais beaucoup plus exhaus- tive dans le Manuel de traitement des archives d’architecture XIXe- XXe siècles/9, publié par la Section des archives d’architecture du Conseil International des Archives (CIA) en 2000. Ce dernier offre une définition analytique et technique, à destination prioritairement des archivistes et conservateurs en charge de ce type de documents. Il détaille les types de documents concernés, les principes, critères et /5 Voir, par exemple, Bruno Queysanne, « En histoire de l’architecture, le document, c’est le bâtiment », La recherche en architecture. Un bilan international, Actes du colloque Rencontres, Recherche, Architecture, Marseille, Nancy, Nantes, Paris, 12-13-14 juin 1984, Parenthèses, Marseille, 1986, p. 45-51. /6 En France, on pense aux dessins d’architectes réunis dès 1843 par la Société centrale des Architectes qui deviendra par la suite l’Académie d’architecture, et aux fonds d’architectes déposés aux Archives Nationales. /7 Michel Le Moël, « Archives de l’architecture : rapport au VIIe Congrès International des Archives », Moscou, 21-25 août 1972, Archives d’André Chastel, conservées à l’INHA, consultées le 18 novembre 2014. /8 ibid. /9 Manuel de traitement des archives d’architecture XIXe- XXe siècles, Conseil International des Archives, Paris, 2000. 91 méthodes d’acquisition, les méthodes d’évaluation, de tri et d’élimi- nation, les principes de classement, les méthodologies de descrip- tion, celle de conservation et, enfin, leur diffusion dans le cadre de la recherche et d’expositions. Le texte est assorti d’un glossaire qui propose des définitions validées par le CIA des notions rela tives aux archives d’architectes. Ces définitions larges et détaillées démontrent l’existence d’une véritable difficulté à proposer une définition har- monieuse des « archives d’architecture » tant les réalités divergent : statuts, volumes, périodes, supports, etc. sont autant de variables à prendre en compte. Signe de cette complexité descriptive, la défi- nition du CIA est pour le moins ouverte : « La notion de do cuments architecturaux est ici envisagée dans son acception uploads/Ingenierie_Lourd/ marges-1323.pdf

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