1 Maurice Merleau-Ponty Phénoménologie de la perception (1945) Motivation Il y

1 Maurice Merleau-Ponty Phénoménologie de la perception (1945) Motivation Il y a trois approches rationnelles pour appréhender la perception : la physiologie, la psychologie expérimentale, et la phénoménologie. Dans le cas de la perception visuelle, la première approche s’intéresse au système visuel et à ses performances intrinsèques ; la seconde met l’accent sur les aspects cognitifs et contextuels de la vision ; la phénoménologie est centrée sur le sujet percevant, et cherche à préciser ce que signifie « voir » pour la conscience du sujet. Cette dernière approche a été abordée au départ par des philosophes, d’abord par Husserl, puis en France par Sartre et Merleau-Ponty. Sur la question de la perception, l’ouvrage de référence de la phénoménologie est celui de Merleau-Ponty, dont les 4 chapitres de l’introduction sont résumés ci-dessous1. I la sensation A première vue, la notion de « sensation » paraît claire ; elle ne l’est pas. Le premier malentendu est qu’on a tendance, spontanément, à penser en termes de sensations élémentaires (du rouge, du chaud, etc.). Or on n’a jamais accès à de telles sensations : il y a toujours un contexte, et une désignation comme « du rouge » est en réalité une représentation a posteriori. Si on s’intéresse à la perception comme processus interne de la conscience, il faut se débarrasser du réflexe qui consiste à isoler des éléments, des objets dans la perception (une note de musique, un cendrier) et à décrire les objets perçus plutôt que perception elle-même en tant qu’activité de la conscience. La physiologie, notamment, écarte la conscience de son champ d’investigation, et donc la perception en tant que telle, et se concentre sur le transport, la transmission et la transformation du stimulus. Il est clair, de plus, pour Merleau-Ponty, que contrairement à ce qu’affirme la physiologie des années 30, la «transmission» du signal n’est pas constante, mais qu’elle est modifié par le contexte. Le mot « sensation » n’est pas clairement différencié, pour Merleau-Ponty, du mot « perception ». Cherchant à définir en quoi consiste, pour le sujet, la perception, il fait d’abord quelques observations. ƒ La première observation porte sur le fait qu’il n’y a pas de perception sans signification. La perception consiste à donner un sens à un stimulus. ƒ La deuxième observation est qu’il faut distinguer l’étude de la perception de l’étude du monde perçu. Une tache de peinture sur un mur, c’est tout de suite une forme, un contour, on est perçoit le mur derrière la peinture. Par contre, la couleur « rouge » est une qualité de la tâche, pas de la perception, c’est une qualité de ce qui est perçu. ƒ La troisième observation porte sur la netteté de la perception. On n’accède pas à une description précise, exhaustive, du monde extérieur : au contraire, on se débrouille avec ce qu’on a, par exemple à partir d’un stimulus visuel, pour voir « quelque chose ». ƒ La quatrième observation porte sur le champ visuel. La perception des objets n’est pas limitée précisément par le champ visuel, dont la frontière n’est pas nette ; on peut « percevoir » une table en n’en voyant que la moitié. De même, un objet peut être dans le champs visuel sans être perçu (par exemple un piéton, présent sur l’image rétinienne, mais pas vu). 1 Ce résumé contient sans doute des contresens par rapport à la pensée de Merleau-Ponty. On m’en excusera en considérant que j’ai essayé de résumer l’introduction de la Phénoménologie de la perception, non pas pour expliquer la pensée de Merleau-Ponty, mais pour débroussailler les concepts de la phénoménologie de la perception. 2 Sur ce dernier point, il pense que la notion d’attention est une fausse piste, si on la comprend comme une disposition de l’esprit à identifier ou non des objets présents dans une scène. Pour lui, l’indétermination est une propriété essentielle du stimulus. La perception n’est pas le déchiffrement d’un monde objectif, une reconstitution du sens qui serait présent dans le stimulus, c’est au contraire une construction. Voilà le noyau de la thèse de Merleau-Ponty. II L’association, et la projection des souvenirs Merleau-Ponty s’intéresse ici à bien distinguer l’expérience intime de la perception, qui est une activité spécifique de la conscience, et le monde perçu, qui est une construction a posteriori de la conscience (et de la science tout court). Il examine le rôle de la mémoire comme cadre de la perception. Tout d’abord, les mots banalement utilisés pour décrire la perception (par exemple « une tâche rouge ») ne désignent pas des archétypes existant en dehors de soi, ils se réfèrent à une expérience intérieure. En règle générale, le fait de se mettre d’accord sur le sens des mots permet la communication entre plusieurs personnes, mais repose sur une ambiguïté entre l’archétype partagé par tous et défini par le dictionnaire, et l’expérience intime du locuteur. C’est particulièrement vrai en matière de perception. Le sujet ne saisit pas directement les qualités d’un stimulus (du rouge, de l’aigu, etc.), ce qu’il saisit directement c’est une organisation dans les stimuli, un système de rapports (ce que Merleau-Ponty appelle un sens). Pour la vision, par exemple, ce sont des notions comme le bord, le contour, l’extérieur, etc. La perception élémentaire, dans le domaine visuel, consiste à identifier des «choses», et du vide entre les « choses ». Les principaux critères dans l’identification de ces « choses » sont la cohérence géométrique, notamment les invariants dans le temps et par rapport au mouvement, et le rapport aux expériences antérieures. Mais l’essentiel, pour Merleau-Ponty, c’est le mouvement spontané de la perception qui veut voir des choses. Il décrit une illusion d’optique (un mât qui se confond avec des arbres) comme une situation qui crée une insatisfaction, une attente imprécise. La résolution du conflit perceptif apparaît à la conscience comme satisfaisante, et il considère cette satisfaction comme partie prenante dans la perception. Le lien entre perception et mémoire passe par la notion d’association. Le fait de nommer un objet («un cercle») signifie seulement une proximité entre la perception actuelle et des perceptions antérieures. Reste à clarifier ce que peut signifier, du point de vue de la conscience, cette proximité entre deux perceptions : on voit se profiler une notion de distance perceptive. De nombreux auteurs (sans parler de Proust) voient un lien entre percevoir et se souvenir. C’est le cas lorsqu’on explique la compréhension d’un stimulus inhabituel ou incomplet en supposant que la mémoire « complète » l’information manquante. Merleau-Ponty remarque que ce mécanisme suppose que le sujet a décidé avant d’avoir reconnu l’objet à quel souvenir il va faire appel, donc pratiquement que l’objet est déjà reconnu. Pour lui, au contraire, les souvenirs ne participent pas à la perception sinon indirectement, en créant un horizon d’attente. Et c’est la mémoire qui est stimulée par la perception. Il insiste sur le fait que la conscience se rend très bien compte de la différence entre une perception (qui est « vraie ») et un souvenir (qui est « dans la tête »). Merleau-Ponty identifie ensuite des catégories spontanées de la perception : les rapports entre figure et fond, entre chose et non-chose. Il constate que la physiologie ne peut pas accéder à ces catégories, à la notion de « sens » en général : c’est sa limite. Elle ne peut pas non plus accéder à la notion de « personne », et donc à ce que peut signifier la perception par un sujet de l’émotion chez autrui, ni d’ailleurs de l’émotion attachée à une « chose » (un endroit sinistre, un chemisier élégant). La physiologie limite la perception à une opération de l’ordre de la connaissance. De ce point de vue, la phénoménologie se situe du côté de la psychologie. III L’attention et le jugement Merleau-Ponty critique la théorie classique de l’attention. Selon cette théorie, lorsqu’on « voit » mais qu’on ne « perçoit » pas, c’est qu’on n’est pas attentif. L’attention, dans ce sens classique, consiste à reconnaître quelque chose qui est déjà là, quelque chose de connu, alors que pour Merleau-Ponty, il ne faut pas 3 préjuger de l’existence d’une « chose » avant qu’elle soit perçue, c’est raisonner à l’envers, il vaut mieux constater que la perception construit son objet. L’idée banale que plus on est attentif (ou concentré) et plus on perçoit la « vérité » de l’objet, que l’attention déplace une sorte de curseur interne de « validité » sur le résultat de la perception, laisse Merleau-Ponty perplexe. D’abord parce que exprimée ainsi, c’est une notion qui lui semble arbitraire, qui n’est liée à rien dans l’expérience de la conscience, et qui semble plutôt faite de toutes pièces pour pallier un défaut des théories psychologiques antérieures. Et ensuite parce qu’elle n’explique rien, puisqu’il reste à savoir ce qui pousse cette attention à se porter sur un objet ou sur un autre. Le paradoxe est que si on sait ce qu’on cherche, on n’a plus besoin d’être attentif, alors que si on ne sait pas, il n’y a pas moyen de choisir sur quoi concentrer uploads/Ingenierie_Lourd/ merleau-ponty-synthese-de-phenomenologie-de-la-perception.pdf

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