www.editionsparentheses.com / Guy Tapie — Sociologie de l’habitat contemporain

www.editionsparentheses.com / Guy Tapie — Sociologie de l’habitat contemporain Vivre l’architecture / ISBN 978-2-86364-666-3 Guy Tapie Sociologie de l’ habitat contemporain Vivre l’ architecture Éditions Parenthèses www.editionsparentheses.com / Guy Tapie — Sociologie de l’habitat contemporain Vivre l’architecture / ISBN 978-2-86364-666-3 Sociologie de l’habitat contemporain Liminaire La sociologie de l’ habitat aborde un élément primordial de la vie des individus et des sociétés. Quasiment sacralisé, médiateur d’ un bien-être universel (s’ abriter), l’ habitat supporte un chez-soi identi- taire et incorpore des traits culturels et sociaux majeurs des groupes pour transmettre des références collectives. D’ un usage éclectique et sophis- tiqué dans les sociétés développées, il est un espace de réalisation de soi, une base de mobilités plus fréquentes et intenses, et stimule l’ expérience des individus en même temps qu’ il témoigne de leur intégration ou de leur exclusion. De l’ intime, où l’ individu se replie et se libère, au cercle familial, puis au voisinage et à la collectivité, l’ habitat enracine une mémoire indivi- duelle et sociale. L’ espace résidentiel porte les traces d’évolutions sociétales majeures. La domination du modèle bourgeois d’ habiter a rendu étanches les frontières entre public et privé, deux sphères spatiales et sociales distinctes. Dans la société contemporaine, elles sont paradoxales : le monde s’ invite dans l’ espace domestique par des technologies de commu- nication innovantes et plus performantes ; l’ espace domestique s’ en coupe en multipliant les barrières d’ accès, physiques ou servicielles. L’ individu sociologisé de la fin des années soixante-dix, dans un moment encore gouverné par l’ appartenance de classe, mute vers un autre, plus libre de ses choix, aux multiples expériences, aux désirs plus personnels ; individu plus incertain et instable, délesté de convictions sur la force d’ un collectif vécu comme anxiogène, il s’ approprie l’ habitat à l’ aune de ses expériences. La diversification des usages est toujours ancrée dans les inégalités socio- économiques (malgré les progrès du confort, le mal-logement reste une réalité), mais l’est aussi désormais dans les besoins objectifs des individus tels que les affichent le droit et les normes et dans la recherche de l’ affir- mation de soi comme règle d’ appropriation. Ce qui pose question à tous, chercheurs et acteurs, pour caractériser des codes partagés d’ appropria- tion au-delà de la singularité de chacun. La sociologie a reconnu un objet du quotidien au fort pouvoir symbolique, support d’ un ancrage territorial des pratiques sociales et culturelles. L’ analyse du lien entre social et spatial a nourri www.editionsparentheses.com / Guy Tapie — Sociologie de l’habitat contemporain Vivre l’architecture / ISBN 978-2-86364-666-3 6 1 Pierre Bourdieu, Le Sens pratique, Paris, Minuit, 1980. Norbert Elias, La Société de cour, Paris, Flammarion, 1974. Maurice Halbwachs, Classes sociales et morphologie, Paris, Minuit, 1972. Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques [1950], Paris, Plon, 1980. Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, Puf, 1983. Georges Simmel, La Tragédie de la culture, Paris, Rivages, 1988. Institut de sociologie urbaine, Les Modes de vie, Approches et directions de recherches, contrat dgrst, 1975. quelquefois de violents débats théoriques sur l’ explication des usages, entre importance des formes matérielles et poids des significations socié- tales, causalité déterministe mainte fois contestée scientifiquement. Pour les uns l’ essentiel est dans la façon dont les individus, les groupes, les insti- tutions et la société investissent l’ espace à partir des règles du jeu social ; d’ autres privilégient l’ importance des dimensions physiques, architectu- rales et urbanistiques, choix qui a mis l’ accent sur les formes matérielles pour expliquer les pratiques. Une telle liaison ne s’est pas présentée comme problé- matique pour de nombreux auteurs. Pour Marcel Mauss quand il met en évidence chez les Esquimaux le fonctionnement pendulaire et saison- nier des rites sociaux, entre maison commune l’ hiver et tentes disper- sées sur un large territoire l’ été. Pour Claude Lévi-Strauss quand il analyse le plan d’ un village indigène brésilien qui incorpore l’ opposi- tion hommes/femmes par la distinction centre et périphérie, et celle entre clans et familles par une partition sud/nord. Il souligne la dialectique entre religion et organisation spatiale et révèle la brisure des croyances causée par la réorganisation du plan (du cercle au damier) du village sous l’ autorité des missionnaires chrétiens. Pierre Bourdieu lui, voit dans la maison kabyle la projection spatiale et territoriale de clivages sociaux (relations de genres ou de classes) et l’ expression d’ une cosmogonie. Chez Norbert Elias, dans la société de cour, un style de vie et l’ organisation d’ espaces habités 1 convergent, dont l’ usage régulateur est « l’ étiquette » et la finalité, l’ expression du pouvoir royal. Georges Simmel interprète les représentations symboliques des frontières territoriales (le pont, la porte) et, par ailleurs, analyse la naissance d’ une civilisation urbaine (modes de vie, état d’ esprit) au travers de l’ expansion des villes et de l’ industriali- sation. Maurice Halbwachs insiste sur la relation entre mémoire collec- tive et espace matériel à propos de l’ espace ouvrier en particulier. Michel Foucault marque l’ importance des dispositifs spatiaux dont le panop- ticum, symbole de l’ enfermement, dans les processus de domination. Plus proche de nous, l’ étude de l’ espace ouvrier et des beaux quartiers décline les relations étroites entre groupes sociaux et territoires. Tous le font à partir d’ un regard approfondi sur l’ essentiel, la pratique, le symbole, le changement social 2. Le logement incorpore dans sa matérialité, dans la www.editionsparentheses.com / Guy Tapie — Sociologie de l’habitat contemporain Vivre l’architecture / ISBN 978-2-86364-666-3 7 2 Pierre Bourdieu, « Effets de lieu », in La Misère du monde, Paris, Seuil, 1993. Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Dans les beaux quartiers, Paris, Seuil, 1989. 3 Pierre Bourdieu, La Distinction, Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979. 4 Michel Conan, Concevoir un projet d’ architecture, Paris, L’ Harmattan, 1990. Daniel Pinson, Usage et architecture, Paris, L’ Harmattan, 1993. 5 Jean-Michel Léger, Derniers domiciles connus, Paris, Créaphis, 1995. Daniel Pinson, Du logement pour tous aux maisons en tous genres, Paris, Plan Construction Architecture, 1988. composition de ses espaces, dans son mobilier, les habitus de classe : « Si l’ on peut lire tout le style de vie d’ un groupe dans le style de vie de son mobilier et de son vêtement […] c’ est aussi parce que les rapports sociaux objectivés dans les objets familiers, dans leur luxe ou dans leur pauvreté, dans leur distinction ou leur vulgarité, dans leur beauté ou dans leur laideur s’ imposent par l’ intermédiaire d’ expériences corporelles aussi profondément inconscientes que le frôlement rassurant et discret des moquettes beiges ou le contact froid et maigre des linoléums déchirés et criards, l’ odeur âcre et crue de l’ eau de Javel ou les parfums imperceptibles. Chaque intérieur exprime, dans son langage, l’ état présent et même passé de ceux qui l’ occupent, disant l’ assurance sans ostentation de la richesse héritée, l’ arrogance tapageuse des nouveaux riches, la misère discrète des pauvres 3. » Pour Pierre Bourdieu, aucune structure matérielle n’ échappe au déterminisme du social, pas même les plus ordinaires. Au croisement de l’ anthropologie, de la sociologie, de l’ architecture et de l’ urbanisme, d’ autres voies ont analysé les modes d’ appropriation des espaces de vie. Un courant d’ analyse socio-architec- turale a posé avec force la question des rapports entre conception architec- turale et usagers dans la continuité d’ une réflexion sur l’ articulation entre modes de vie et espaces habités. Par ailleurs, un courant de la recherche architecturale et urbaine s’ est préoccupé de la façon dont les concepteurs ou experts projettent et matérialisent les aspirations résidentielles des habitants 4. Le concept d’ appropriation sert la connaissance des relations usagers/architecture et l’ identification des pratiques sociales et cultu- relles. Certes le fondement problématique est la critique des pratiques des concepteurs, architectes compris ; mais l’ approche affine le regard sur la pratique de l’ habitat qui s’ est diversifiée au fur et à mesure de la moder- nisation économique, d’ une division du travail accentuée, de besoins plus complexes liés à la montée en puissance de l’ individu et à la recon- naissance de sa liberté d’ action. En ce sens, l’ articulation des réflexions entre architecture et sociologie a conduit à des analyses poussées sur le terrain de l’ habitat et des formes urbaines ou architecturales 5. De www.editionsparentheses.com / Guy Tapie — Sociologie de l’habitat contemporain Vivre l’architecture / ISBN 978-2-86364-666-3 8 6 Collection « Données sociales », Insee. 7 Nous intégrons dans nos réflexions une analyse de la littérature existante et des enquêtes de terrain que nous avons réalisées de 1985 à 2010. Pour une vue générale et synthétique, les dictionnaires et encyclopédies apportent les savoirs nécessaires. Jean-Paul Flamand, L’ Abécédaire de la maison, Paris, Éditions de La Villette, 2004. Marion Segaud, Anthropologie de l’ espace, Habiter, fonder, distribuer, transformer, Paris, Armand Colin, 2010. Marion Segaud, Jacques Brun et Jean-Claude Driant (dir.), Dictionnaire de l’ habitat et du logement, Paris, Armand Colin, 2002. multiples facteurs sont mis à contribution pour uploads/Ingenierie_Lourd/ p666-sociologie-habitat-extraits.pdf

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