Peter Zumthor Penser I'architecture Peter Zumthor Penser Tarchitecture Traduit

Peter Zumthor Penser I'architecture Peter Zumthor Penser Tarchitecture Traduit de Tallemand, d'apres le texte de Tedition de 2006. Birkhauser Basel • Boston • Berlin Une vision des choses 7 Le noyau dur de la beaute 29 Des passions aux choses 39 Le corps de I'architecture 53 Enseigner I'architecture, apprendre I'architecture 65 La beaute a-t-elle une forme ? 71 La magie du reel 83 La lumiere dans le paysage 89 Une vision des choses A la recherche de Tarchitecture perdue Quand je pense a I'architecture, des images remontant en moi. Beaucoup de ces images sont en rapport avec ma formation et mon travail d'archi- tecte. Elles contiennent le savoir sur I'architecture que j'ai pu accumuler au cours du temps. D'autres evoquent mon enfance.Je me rappelle le temps ou je faisais I'experience de I'architecture sans y reflechir. Je crois sentir encore dans ma main une poignee de porte, une piece de metal arrondie comme le dos d'une cuillere. C'est celle que ma main saisissait quand j'entrais dans le jardin de ma tante. Aujourd'hui encore, cette poignee-la m'apparait comme un signe particulier de I'entree dans un monde fait d'atmospheres et d'odeurs diverses.Je me rappelle le gravier sous mes pas, le doux eclat du chene cire dans I'escalier, j'entends encore le bruit de la serrure au moment ou la lourde porte se refermait derriere moi,je me revois longer le couloir obscur et entrer dans la cuisine, I'unique piece veritablement lumineuse de la maison. Cette piece etait la seule - dans mon souvenir du moins - dont le plafond ne s'estompait pas dans un demi-jour ;les petits carreaux du sol, hexagones rouge fonce aux joints serres,opposaient a mes pas une impitoyable durete et du placard se degageait I'odeur particuliere de la peinture a I'huile. Ce n'etait pourtant qu'une cuisine comme n'importe quelle autre.Tout y etait comme dans n'importe quelle autre cuisine ordinaire. Mais c'est peut- etre justement parce qu'elle avait cette manlere presque naturelle d'etre simplement une cuisine qu'elle est restee si presente dans ma memoire comme I'lncarnation d'une cuisine. L'atmosphere de cette piece restera toujours associee pour moi a I'idee de cuisine. II me faudrait maintenant continuer a raconter, a parler de toutes les poi- gnees de porte qui ont suivi celle du portail du jardin de ma tante, des sols que j'ai foules,des surfaces d'asphalte ramollies par le soleil,des sols paves recouverts par les feuilles des chataigniers en automne,et des portes qui se ferment de manieres si differentes, les unes avec un son plein et distingue, les autres dans un bruit de pacotille, d'autres encore, durement, avec gran- deur, intimidantes..., avec une sonorite dure, solennelle, intimidante. De tels souvenirs portent en eux les impressions architecturales les plus profondement enracinees que je connaisse. C'est en eux que se fondent les atmospheres et les Images que je tente de sonder dans mon travail d'archltecte. Quand je travaille a un projet,je suis a nouveau plonge dans des souvenirs anciens et a demi oublies et je me demande: comment cette architecture se presentait-elle, que signifiait-elle pour moi alors, et qu'est-ce qui pour rait m'aider afaire resurgir cette atmosphere qui paraitgorgee de I'evidente presence des choses, ou tout a la place et la forme qui conviennent? II n^y auralt meme pas besoin pour cela de trouver de nouvelles formes, mais de rendre perceptible ce premier signe d'une plenitude, d'une richesse aussi, qui nous fait dire j'ai deja vu ga quelque part, meme si je sais que tout est nouveau et autrement et qu'aucune citation directe d'une ancienne architec- ture ne saurait percer le secret d'une atmosphere chargee de souvenirs. Fait de matiere Les travaux de Joseph Beuys et de quelques artistes du mouvement de I'Arte povera sont pour moi riches d'enseignements.Ce qui m'impressionne, c'est la mise en ceuvre precise et sensuelle des materiaux dans ces travaux. EHe paraTt s'ancrer dans des savoirs anciens sur I'usage fait par I'homme de la matiere, mais en meme temps mettre au jour I'essence meme du materiau, qui est libre de toute signification heritee d'une culture. Dans mon travail, j'essaie de faire un usage similaire des materiaux. Je crois que, dans le contexte de I'objet architectural, les materiaux peuvent revetir des qualites poetiques. Mais il faut pour cela creer, au sein de I'objet lui-meme, un certain rapport de forme et de signification, parce que les materiaux ne sont intrinsequement pas poetiques. Le sens qu'il s'agit d'instituer au cceur de la materialite se situe au-dela des regies de composition, et de meme la tactilite, I'odeur et I'expres- sion acoustique des materiaux ne sont que des elements de la langue dans laquelle nous devons parler. Le sens apparaTt lorsqu'on reussit a produire dans I'objet architectural des significations propres pour certains mate- riaux de construction qui ne deviennent perceptibles de cette manlere que dans cet objet. Lorsque nous tendons a ce but, nous devons constamment nous deman- der ce que peut signifier un materiau donne dans un contexte architectu- ral donne. Des reponses justes a cette question peuvent laisser apparaTtre sous un jour nouveau aussi bien la maniere dont ce materiau est utilise habituellement que ses qualites sensuelles et sa capacite a produire du sens. Parvenus au but, nous pouvons donner resonance et rayonnement aux materiaux. Le travail a rinterieur des choses Ce qui est le plus impressionnant dans la musique de Jean-Sebastien Bach est son «architecture». Sa construction paraTt claire et transparente. il est possible de suivre le detail des elements melodiques, harmoniques et rythmiques de sa musique sans perdre le sens de la composition de I'ensemble, qui seule donne leur raison d'etre aux details. L'ceuvre paraTt basee sur une structure claire, et en suivant les differents fils du tissu de la musique, on peut entrevoir les regies qui en regissent la construction. 10 La construction est Tart de former a partir de nombreux elements un tout coherent. Les batiments sont des temoins de I'aptitude de I'etre hu- main a construire des choses concretes. L'acte de construire represente pour moi le cceur meme de tout travail architectural. La oCi des materiaux concrets sont assembles et edifies, I'architecture imaginee devlent une part du monde reel. J'eprouve du respect pour I'art de I'assemblage, I'habilete du constructeur, de Partisan et de I'ingenieur. Les connaissances des hommes sur la produc- tion des objets que suppose leur savoir-faire m'impressionnentje m'efforce done de concevoir des batiments qui rendent justice et qui accordent de la valeur aux enjeux de ces savoir-faire. A la vue d'un objet bien faq:onne, dans lequel on croit ressentir le soin et I'art de celui qui Ta cree, on a coutume de dire: il y a beaucoup de travail la-dedans. L'idee que notre travail est veritablement au coeur des choses que nous avons reussi a creer nous pousse aux limites de la reflexion sur la valeur d'une oeuvre. Notre travail est-il vraiment au coeur des choses ? Je suis parfois tente de le croire lorsqu'une oeuvre construite me touche autant qu'une musique,une oeuvre litteraire ou un tableau. Pour la tranquillite du sommeil J'aime la musique. Les mouvements lents des concertos pour piano de Mo- zart, les ballades de John Coltrane, le son de la voix humaine dans certains chants me touchent profondement. Je m'etonne toujours de la capacite de I'etre humain a inventer des melo- dies, des harmonies et des rythmes. Mais le monde des sons est aussi fait de contrastes dans la melodie, I'harmonie ou le rythme. II y a des dissonances, des rythmes heurtes, des sons fragmen- tes ou amplifies, et des emissions sonores purementfonctionnelles que nous appelons bruits. La musique contemporaine travaille avec ces elements. Je pense que I'architecture actuelle devrait disposer de fondements aussi radicaux que la musique contemporaine. Cette exigence a neanmoins des limltes. Si la composition architecturale se fonde sur la disharmonie et la fragmentation, sur des rythmes heurtes, sur des clusters (sons en grappe) et des ruptures structurelles, I'oeuvre pourra certes communiquer un message, mais la curiosite s'arretera a la comprehension de ce message, et la question de I'utilite de I'objet pour la vie pratique sera negligee. L'arch itectu re existe dans un domaine qui lui est propre. Elle entretient avec la vie une relation particulierement physique. Selon I'idee que je m'en fais, elle n'est en premier lieu ni un message, ni un signe, mais une en- veloppe, un arriere-plan pour la vie qui passe, un subtil receptacle pour le rythme des pas sur le sol, pour la concentration au travail, pour la tran- quillite du sommeil. Dessine d'apres desir La place de {'architecture construite est dans le monde concret. C'est la qu'elle a sa presence. Qu'elle parle pour elle. Les representations architec- turales de ce qui n'est pas encore bati portent la marque des efforts visant a faire parler une chose destinee au monde concret, mais qui n'y a pas encore trouve sa place. Le dessin d'arch itectu re cherche a donner une image aussi precise que possible du rayonnement de I'objet dans le lieu qu'il devra occu- per. Mais c'est par I'effort dont elle temoigne que la representation peut rendre particulierement evidente I'absence de I'objet reel.Toute represen- tation peut uploads/Ingenierie_Lourd/ penser-l-architecture.pdf

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