Perspective Actualité en histoire de l’art 2 | 2017 Le Maghreb Alger, 1830-1980
Perspective Actualité en histoire de l’art 2 | 2017 Le Maghreb Alger, 1830-1980 : chronique d’une historiographie en construction Algiers, 1830–1980: Chronicle of a Historiography Under Construction Algier, 1830-1980: Chronik einer sich Aufbau befindenden Historiographie Algeri, 1830-1980: cronaca di una storiografia in costruzione Argel, 1830-1980: crónica de una historiografía en construcción Nabila Chérif Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/perspective/7596 DOI : 10.4000/perspective.7596 ISSN : 2269-7721 Éditeur Institut national d'histoire de l'art Édition imprimée Date de publication : 31 décembre 2017 Pagination : 131-152 ISBN : 9782917902394 ISSN : 1777-7852 Référence électronique Nabila Chérif, « Alger, 1830-1980 : chronique d’une historiographie en construction », Perspective [En ligne], 2 | 2017, mis en ligne le 30 juin 2018, consulté le 01 octobre 2020. URL : http:// journals.openedition.org/perspective/7596 ; DOI : https://doi.org/10.4000/perspective.7596 131 Travaux Nabila Chérif est architecte des sites et monuments historiques et docteur en histoire de l’art de l’université Paris-Sorbonne. Elle est maître de conférences HDR à l’École polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’Alger (EPAU), directrice du laboratoire Ville, Architecture et Patrimoine (LVAP-EPAU) et responsable de la formation doctorale « Patrimoines et cadre bâti ancien » à l’EPAU. Nabila Chérif Alger, 1830-1980 : chronique d’une historiographie en construction Le début des années 2000 marque un tournant important dans la politique algérienne de réhabilitation du bâti hérité de la période coloniale. À Alger, les réalisations architecturales et urbanistiques françaises qui forment une part importante du paysage de la ville montrent des signes de grande vétusté et de vulnérabilité. Leur prise en charge a été inscrite dans les priorités du Plan directeur d’architecture et d’urbanisme (PDAU 2000-2029) qui définit un programme d’interventions et de protection. Les nombreuses opérations de réhabilitation lancées dans ce cadre ont été un formidable levier à l’investissement de la recherche uni- versitaire sur l’architecture et l’urbanisme de la ville produits durant la période française. À cet égard, deux évènements consécutifs et fondateurs ont fait date : le colloque « Alger : lumières sur la ville », qui s’est tenu à Alger en 2002 et l’exposition « Alger : paysage urbain et architectures, 1800-2000 », organisée à Paris et qui a donné lieu à la publication d’un ouvrage collectif réunissant plusieurs travaux de chercheurs d’horizons et de disciplines différents1(Chabbi-Chemrouk et al., 2002 ; Alger : paysage urbain…, 2003). Les contribu- tions rassemblées à ces occasions, sans avoir la prétention d’offrir un bilan historiographique exhaustif, ont revisité et renouvelé, par leur travail sur les archives, les postures épistémo- logiques mêmes de la recherche dans ce domaine, et ont ouvert le champ à de nombreuses pistes qui concernent aussi bien la formation et le développement des projets qui ont façonné la ville et le contexte de leur production que l’interprétation et la réception dans l’histoire contemporaine des idéologies, philosophies et politiques qui les ont engendrées. En 2005, dans le cadre du programme « Patrimoines partagés » d’Euromed-Heritage2, la recherche sur l’histoire urbaine et architecturale d’Alger s’est enrichie d’un répertoire biblio- graphique construit au sein d’un vaste inventaire de travaux sur les villes et architectures des anciens terrains coloniaux (xixe-xxe siècles) qui, au-delà de présenter des notices exclusivement occidentales, a intégré plus largement la production académique locale repérable notamment dans certains catalogues du réseau des centres de recherche français à l’étranger3. Aiche Boussad et Farida Cherbi, qui analysent le corpus bibliographique constitué, esquissent un premier essai historiographique sur la perception et l’appréciation des « savoirs et des savoir-faire» en jeu dans les différentes phases de production de la ville et de son cadre bâti (Aiche, Cherbi, 2005, p. 103-114). Aujourd’hui, en Algérie, et après deux décennies de recherche sur la place de l’architecture et de l’urbanisme produits en situation coloniale, l’heure est au discours sur la patrimonialisation de certains fleurons architecturaux de cette période qui s’imposent par 132 2 | 2017 PERSPECTIVE Le Maghreb leur qualité esthétique exceptionnelle comme par leur place dans la mémoire affective des Algérois : La Grande Poste de Marius Toudoire et Jules Voinot, 1907 (fig. 1) ; les anciennes Galeries de France converties en Musée national d’art moderne et contemporain d’Alger de Henri Petit, 1909 ; la Faculté cen- trale d’Alger de Henri Petit, 1889. Ce processus de reconnaissance, au titre de patrimoine national, de l’héritage bâti lié à la période coloniale, même s’il demeure encore problématique, semble engagé, tout au moins sans réelle ambiguïté, dans les milieux de la recherche universitaire qui enregistrent, en particulier pour les dix dernières années, un accroissement considérable de travaux monographiques sur l’histoire de l’art, de la ville et de l’architecture algéroise des xixe et xxe siècles, explorant les formes de production de l’espace urbain et des objets architecturaux et axés le plus souvent sur l’analyse des politiques urbaines ou sur les formes du pouvoir colonial et ses impacts sur la question esthétique. D’El-Djazaïr à Alger : « rapport de force dans la Casbah » (1830-1860) Les travaux d’aménagement urbains et architecturaux réalisés dans les premières années de la conquête ont été analysés et décryptés selon deux angles d’approche. Le premier aborde la perception et les représentations de la ville et de son architecture par les hommes de l’art (artistes, architectes et ingénieurs) qui ont participé aux missions de l’exploration scientifique de l’Algérie. Le second s’intéresse à l’œuvre du génie militaire français, principal acteur en charge de l’appropriation de l’espace urbain, en étudiant les idéologies politiques et culturelles sous-jacentes à ses démarches, les savoir-faire techniques qu’il met en œuvre dans la maîtrise et la sécurisation des territoires et enfin les adaptations et conformations qu’il opère sur les établissements urbains préexistants ou nouvellement créés. Plus récem- ment, dans le sillage des écrits de Jacques Berque de 1978, une troisième voie de réflexion sur l’histoire coloniale, englobant les questions des mécanismes et modes de domination des institutions politiques et culturelles au centre desquelles se construisit la ville française, a été empruntée par Isabelle Grangaud et M’hamed Oualdi qui, sous le prisme d’une démarche historiographique symétrique et « non dichotomique », proposent des lectures du temps et de l’espace colonial intégrant « les dynamiques passées et nationales » (Berque,1978 ; Grangaud, Oualdi, 2014). Les travaux de Nabila Oulebsir puis d’Ahmed Koumas et Chehrazade Nafa, qui relèvent de la première approche, livrent à l’historiographie des éléments de compréhension du regard porté par les premiers architectes européens sur le cadre bâti de la ville au moment de la conquête du pays. En analysant les parcours de deux d’entre eux, Amable Ravoisié (1801-1870), missionnaire de l’exploration scientifique de l’Algérie (entre 1839-1842) et Edmond Duthoit (1837-1889), fonctionnaire au sein du premier service des Monuments 1. Marius Toudoire et Jules Voinot, Grande poste d’Alger, 1907-1910. Nabila Chérif. Alger, 1830-1980 133 Travaux historiques à partir de 1872, ces auteurs montrent « leur contribution à la constitution d’un savoir historique et archéologique » sur les monuments et sites antiques et médiévaux de l’Algérie (Oulebsir, 1994, p. 57-97 ; Koumas, Nafa, 2003, p. 197). Dans sa thèse, Nabila Oulebsir analyse en outre le transfert des méthodes et procédés de conservation que les travaux de ces architectes ont permis de mettre en œuvre, notamment leur impact sur « la genèse et la formation d’une conscience et d’un discours sur le patrimoine », aspect déterminant dans la construction d’une nouvelle esthétique architecturale locale au début du xxe siècle (Oulebsir, 2004, p. 162-164 ; p. 251-259). Durant les premières décennies de la présence française, les architectes explorent et étudient les villes et les architectures algériennes mais ne construisent que très peu. Ce sont en général les ingénieurs du génie militaire qui ont la tâche d’organiser le territoire et la construction des villes et infrastructures pour l’accueil des troupes armées et des populations européennes. Les travaux de recherche qui analysent l’œuvre du génie militaire sont nom- breux. Xavier Malverti examine les outils mobilisés par ces ingénieurs et leur savoir-faire dans le dessin des villes. Les plans de villes qu’ils conçoivent découlent d’une démarche issue de « l’école de la fortification permanente », comme le souligne l’auteur, mais également « du principe de la régularité et de l’ordre géométrique propices aux conditions d’hygiène, de fonctionnalité et de sécurité » (Malverti, 1994, p. 231-235). Ces principes trouvent leurs applications, avec des adaptations à la spécificité du lieu, dans le cas des premières interventions militaires sur la structure de la ville précoloniale d’Alger. La vieille Casbah, héritée de la période médiévale et ottomane, est en l’espace de trois décennies (de 1830 à 1860) phagocytée par le nouvel Alger européen aux allures d’un « Paris très chaud », contrastant ainsi avec l’image de « la ville orientale, hybridation de Constantinople ou de Zanzibar », imaginée par certains voyageurs, comme le souligne Christine Peltre, qui décrypte, quant à elle, les témoignages de l’iconographie et de la littérature du début du xixe siècle (Peltre, 2003, p. 126). Plusieurs travaux sur l’urbanisme colonial algérois des premières décennies françaises étudient les mécanismes et modalités suivant lesquels la structure de la ville française prend forme. Les thèses de Federico Cresti et de Maouia Saidouni se rejoignent pour décrire « un rapport de force et un affrontement » entre uploads/Ingenierie_Lourd/ perspective-7596-pdf.pdf
Documents similaires
-
18
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 21, 2021
- Catégorie Heavy Engineering/...
- Langue French
- Taille du fichier 1.0407MB