Raymond Bellour La Querelle des dispositifs Cinéma – installations, expositions
Raymond Bellour La Querelle des dispositifs Cinéma – installations, expositions P.O.L 33, rue Saint-André-des-Arts, Paris 6e En souvenir de Miriam Hansen et d’André Iten Des Entre-Images à La Querelle des dispositifs L’Entre-Images, en 1990, réunissait des textes écrits à partir de 1981. Construit au fil des événements (sortie de films, expositions, colloques, publication de livres, numéros spéciaux de revues ou catalogues), ce livre se proposait – selon son sous-titre, « Photo. Cinéma. Vidéo » – de cerner d’un côté les rapports inédits qui s’accentuaient alors entre le cinéma et l’art vidéo, de l’autre les rapports plus anciens, trop peu envisa- gés encore, entre le cinéma et la photographie. Ceux-ci et ceux-là se mêlant, surtout, se liant de diverses manières, de sorte à configurer un espace mouvant, subtil, en partie nouveau, au moins par son intensité, et de nature largement énigmatique. Je déci- dai d’appeler cet espace « l’entre-images ». Ce terme descriptif n’était pas vraiment un concept ; mais sa valeur d’interaction en faisait plus qu’un simple outil de classifica- tion. Il désignait plutôt un lieu, physique et mental, fait de tous les passages opérant continuellement, dans des œuvres toujours plus nombreuses, entre les diverses modali- tés d’images qui les composent et s’y mêlent. « Passages de l’image » : ce sera, au même moment, le titre de l’exposition dont je fus responsable avec Catherine David et Chris- tine Van Assche au Centre Pompidou, mêlant, pour la première fois sans doute avec autant d’ampleur, dans un espace double d’exposition et de projection, films, bandes vidéo, installations – film et vidéo –, photographies, et déjà ce qu’on appelait alors « images de synthèse ». Dans le texte que je donnai au catalogue, « La double hélice », je dégageai deux modes, fondamentaux et corrélatifs, de ces passages entre les images : la tension tissée de contagions entre les images qui bougent et celles qui ne bougent apparemment pas, avec toutes les indécisions qu’on pressent ; et les mutations de l’ana- logie photographique, décuplées par la vidéo et devenant virtuellement sans limites Des Entre-Images à La Querelle des dispositifs Des Entre-Images à La Querelle des dispositifs à travers la synthèse numérique. Transversal à ces deux modes, un troisième niveau s’imposait, tenant aux interpénétrations déployées entre le langage et l’image, ainsi d’autant plus virtualisée. C’est donc naturellement que je sous-titrai « Mots, images » un second volume de L’Entre-Images dont « La double hélice » formait l’introduction, et qui réunissait en 1999 des textes d’inspiration similaire, écrits à nouveau sur une période de presque dix ans. Mais déjà, au tournant du siècle, après un centenaire du cinéma vécu comme un passage symbolique de relais vers d’autres modes de conception et de consommation d’images, après la Documenta X de Catherine David (1997) et les deux Biennales de Venise de Harald Szeemann (1999, 2001) qui consacraient l’exposition d’images en mouvement au détriment des arts traditionnels dont ces images proposaient une trans- formation en même temps qu’elles attiraient dans leur dérive celles du cinéma, deux instances, sans commune mesure mais vivement liées, confirmaient leur emprise croi- sée : l’ordinateur et le musée, entre lesquels le cinéma, pour peu qu’on veuille encore le considérer comme un art et un fait social, s’est trouvé pour une part capturé. C’est dans ce contexte bouleversé par des accélérations sans précédent qu’ont été conçus entre 1999 et 2012 les textes qui composent le présent volume. Il aurait pu former de même un troisième Entre-Images – tout sous-titre éventuel cherchant à désigner la constellation des réalités comme des raisons proliférantes paraissant aujourd’hui devenues internes aux mouvements et aux temps des images. C’eût été pourtant accepter trop sereinement la violence doucereuse de l’époque. Car on aimerait qu’il y ait querelle, au risque de quelque clarté. Alors qu’on n’aperçoit que glissements, chevauchements, scintillements, emboîtements, hybridations, méta- morphoses, transitions, migrations, assimilations et similarités entre ce qu’on appelle encore cinéma et les mille et une façons de montrer des images en mouvement dans le domaine vague nommé arts plastiques ou arts visuels et surtout art contemporain. Un art dont on voudrait si fort et de façon si ambiguë que le cinéma participe. Comme si le cinéma n’était pas, plus ou moins, en lui-même un art, tout simplement, et contem- porain comme toute chose l’est, banalement (à moins d’en croire Mallarmé, sa fameuse apostrophe : « mal informé celui qui se crierait son propre contemporain »). C’est donc du point de vue de la querelle que les pages qui suivent ont été écrites. Querelle des dispositifs déployés à perte de vue et entre lesquels le cinéma, apparemment multiple, demeure pourtant un, et unique, bien que rongé souvent par l’incertitude accrue qui confronte son mouvement et son temps à d’autres en nombre illimité, comme à autant de fixités qui de tous côtés l’enserrent. Ou comment dénouer le syntagme devenu fatal : cinéma et art contemporain. Remarques sur les mouvements et les temps des images Pierre-Marie Goulet, Encontros, 2006, couleur, beta numérique, 105'. Querelle – Vous voulez déclarer la guerre ? – J’aimerais surtout avoir la paix. – Air connu, la rengaine de tous les dictateurs. – Je n’impose rien, juste une très modeste idée du cinéma. Je voudrais seule- ment qu’on laisse un peu en paix le cinéma. – Le cinéma ? – Oui, le cinéma, le vrai cinéma. – Comment ça, le vrai cinéma, cet art semi-moribond dont son avocat prédes- tiné, Serge Daney, « le cinéfils », annonçait déjà périodiquement la mort voilà près de trente ans, on imagine que ça ne s’est pas vraiment arrangé depuis. – C’est bien ce qui vous trompe. Le pire n’est pas toujours sûr. Le cinéma a sur- vécu, survit, son bulletin de santé vous surprendrait. C’est aussi qu’il y a, qu’il y a eu plusieurs morts du cinéma, correspondant à autant de ses mutations, à l’idée qu’on s’en fait, aux fixations dont on a été le sujet selon l’époque et sa généalogie person- nelle. Il suffit de voir aujourd’hui la variété prodigieuse des réponses données chaque semaine à la question posée dans la rubrique « Séance tenante » des pages cinéma de Libération : « Le cinéma meurt. Une épitaphe ? » – réponses qui oscillent de l’incré- dulité à l’indignation, de la tristesse à l’indifférence. Ou aussi bien la BD décoiffante de Blutch, Pour en finir avec le cinéma. Une fin qui n’en finit pas de ne pas finir. Au moment où par phases, au fil des années 1980, Daney a un peu trop désespéré du cinéma frappé, de l’extérieur comme de l’intérieur, par l’envahissement de la télé, la pub, les « images de marque », tout ce qu’il appelait « le visuel », avec la désertification 14 Remarques sur les mouvements et les temps des images des salles qui allait de pair, au moment même où il écrit ce texte apocalyptique, « Du défilement au défilé », qui semble consommer une mort ou au moins une transforma- tion irrémédiable du cinéma, cette même année 1989 Daney conçoit symboliquement dans son Journal l’idée d’une chronique : « Le cinéma, seul ». Il précisait : « ce que seul le cinéma a à charge de poursuivre ». Et encore : « Elle devrait être la sortie de la période “images”, celle de tous les incestes et de toutes les ruses de petit malin. C’est, en tout cas, mon nouveau point de départ. » C’était le programme de Trafic, revue de cinéma, créée deux ans plus tard, et que depuis sa mort nous continuons. Je revien- drai, si vous le voulez bien, sur ces mots, « le cinéma, seul », pour tenter d’éclairer leur valeur de réalité historique. – Je vois que vous ne donnez pas de références. – Écoutez, j’ai pensé qu’on pouvait les regrouper à la fin de notre échange, pour le rendre plus libre. – Bon. Mais, dites-moi, pourquoi me ressusciter ? Je me demande quel besoin vous avez eu de me sortir de mon cercueil pour vous servir encore de faire-valoir. – Franchement, j’ai hésité. Mais j’avoue que j’ai eu du mal à m’imaginer enfiler tout seul avec un sérieux épiscopal les arguments à opposer à tous ceux qui mélangent si allégrement le cinéma et l’art contemporain. – Dites-moi au moins l’argument principal de la querelle. – Oh ! il est tout simple… Il est même si simple qu’il paraît pauvre face à une multiplicité scintillante de points de vue, d’origine et de style divers, qui ont en com- mun d’aménager plus ou moins cette dilution du cinéma à l’intérieur de l’art contem- porain, et son histoire dans celle, plus vaste et apparemment plus honorable, de l’histoire de l’art. Ce si simple argument est le suivant : la projection vécue d’un film en salle, dans le noir, le temps prescrit d’une séance plus ou moins collective, est devenue et reste la condition d’une expérience unique de perception et de mémoire, définissant son spectateur et que toute situation autre de vision altère plus ou moins. Et cela seul vaut d’être appelé « cinéma » (quelque sens que uploads/Litterature/ 01-bellour-querelle.pdf
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- Publié le Aoû 16, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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